Chapitre III : Au risque de la théorie, rythme et chaos en littérature.

Les deux chapitres précédents, en opérant un choix parmi différentes approches critiques, tentent de repérer les recoupements possibles de ces approches avec l’analyse que les trois auteurs ont de leur pratique d’écriture. On l’a vu, la préoccupation que nous voulons ainsi faire ressortir est celle du travail dans le langage lui-même, travail prosodique, syntaxique et sémantique à la fois, en ce qu’il fait advenir une nouvelle subjectivité dans le récit de l’histoire. Il ne s’agit pas du style de chaque œuvre, conception par trop marquée par l’intentionnalité esthétique, et définitivement rattachée à la pensée rhétorique de l’écart, que nous avons délibérément laissée de côté précédemment. Il s’agit d’étudier l’avènement conjoint d’une parole et d’un sujet, c’est à dire d’une vision du monde. Or la nécessité de cette mise en relation parole/sujet articule le particulier et l’universel : elle est à la fois la singularité d’un dire, unique, littéralement inouï, et à chaque lecture le moment d’ouverture d’un sujet collectif universel, du moins dans la sphère linguistique de la francophonie, auquel vont s’identifier et contribuer les lecteurs, saisis par la force du texte. Il nous a donc paru important, avant enfin d’entrer dans le détail des œuvres elles-mêmes, et pour saisir l’invention conjointe de l’histoire et d’une forme littéraire à laquelle elles s’adonnent, de prendre position par rapport au travail théorique d’Édouard Glissant qui traite de près ces questions et cherche à synthétiser les données éparses de l’écriture composite et dynamique qu’il pratique et qu’il constate également dans le contexte des Antilles francophones. Cela fait, on pourra proposer un usage restreint d’une notion dévoyée à l’heure actuelle dans la critique, celle du chaos, dont la manipulation nécessite de nombreuses précautions, mais qui peut rendre compte de manière assez nouvelle du mouvement dynamique de la parole dans le texte littéraire.