C. L’illusoire commencement du texte.

La prise de Gibraltar, de Rachid Boudjedra, concorde de manière assez étonnante avec la recherche inachevée des origines dans Le Fou d’Elsa, d’autant qu’elle redouble cette quête d’une question, « Où donc est l’issue ? », qui montre assez que l’écriture est saisie comme en cours de route… La fameuse proposition « Tout a commencé par une faute de français… », qui ouvre Le Fou d’Elsa, n’est pas confirmée par la suite de l’œuvre : l’origine est laissée en suspens, comme on l’a vu dans l’étude du Prologue. Ce phénomène pourrait bien être pris comme l’indice d’un décalage, voire d’une contradiction, entre le commencement matériel du livre (ses premières pages, ses exergues, son prologue…) et le fait que l’écriture était déjà là. En même temps, l’aventure de la conception littéraire fait que ce n’est qu’après coup, en écrivant, que se dévoilent de possibles motivations : le récit fait l’histoire de sa propre conception, qui peut apparaître dans ses ébauches, paradoxalement en fin de parcours. Ce phénomène est assez frappant notamment dans la Sixième et dernière Partie de La prise de Gibraltar, qui peut passer pour une esquisse de la matrice de l’œuvre.

On l’observera en suivant à la trace le traitement que le récit fait subir à une œuvre picturale, la miniature de Wâsiti, qui en constitue un des leitmotive présents dès les premières pages. Cette peinture mérite en soi l’attention ne serait-ce qu’en raison de sa provenance. Elle illustre un manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France : il s’agit des Séances (ou Mâqâmât) de Al-Harîrî, un écrivain arabe du 5ième/12ième siècle. Si l’on en croit l’étude consacrée par Abdelfattah Kilito aux Séances 282 , l’œuvre de Al-Harîrî aurait déjà été reproduite, c’est à dire recopiée, pas moins de sept cents fois du vivant même de l’auteur. C’est dire son renom à l’époque abbasside. Une confirmation de ce succès qui fut durable, c’est la poursuite des copies après la mort de Harîrî, et spécialement des copies illustrées de miniatures peintes, à une époque qui tolère très peu la représentation figurée. Celle de Wâsiti, d’après A. Kilito est la plus célèbre et date de 1237, soit au 6ième siècle de l’Hégire ou au 13ième siècle P.C. Or Boudjedra connaît très bien cette date, qu’il cite p. 268 de La prise de Gibraltar, de même qu’il donne les dates qui délimitent la vie de Wâsiti : 1210 – 1278 (p. 41 ou 197) et qu’il annonce la « nationalité » irakienne du peintre.

En outre la description détaillée de la miniature choisie en quelque sorte pour illustrer le roman est très précise et permet clairement d’identifier la scène de fête ou de départ en pèlerinage qui accompagne la Séance n°7 283 (on la retrouve également en première page de couverture de l’édition Denoël de La prise de Gibraltar). Pourtant l’ensemble de ces précisions et cette espèce de transparence ne doivent pas faire illusion : dès le départ, la miniature offrait un décalage assez mystérieux par rapport au texte. R. Ettinghausen signale en effet deux particularités étonnantes à son propos :

« le récit n’évoque qu’en passant une troupe de cavaliers à la veille d’une grande fête religieuse » (p. 117) . Ainsi la peinture s’empare d’un motif accessoire du récit, et par un effet de loupe valorise un détail infime.

cette miniature ne se trouve pas en face du texte qu’elle concerne. Il est probable qu’elle a été créée pour un autre manuscrit, et placée là opportunément. Autrement dit, les textes étant interchangeables, la miniature censée les illustrer peut renvoyer à des référents multiples.

Il s’avère donc que la miniature, dès l’origine, n’a pas la place fixe d’un tableau, elle est comme douée de mobilité ; elle accompagne par définition un texte, mais ce texte peut varier : il y a une sorte d’adaptabilité de la représentation imagée qui d’ailleurs va être exploitée par Boudjedra.

Dans le même temps où débute La prise de Gibraltar par l’écriture d’un mimotexte très identifiable tant il semble reproduire le début de La bataille de Pharsale 284 de Claude Simon, le développement du récit débouche sur l’insertion d’une description de la miniature de Wâsiti qui va prendre en charge la dimension fractale de l’œuvre en assumant à sa manière le discours général du roman. D’une part en effet, à la manière de La bataille de Pharsale, la peinture offre l’occasion d’une saisie de l’écriture. D’autre part la description picturale telle qu’elle est menée dans La prise de Gibraltar laisse entendre un rapport diffus avec l’ancien genre de l’adab, qu’illustrait traditionnellement la miniature, et marque une appropriation de l’écriture arabe classique. Enfin elle donne vraiment corps à certains types de souvenirs (ou à l’auto-fiction), et les cristallise en les associant.

Hangni Alemdjrodo a noté que la description de la miniature fait écho à l’utilisation de tableaux dans le nouveau roman, et notamment chez Claude Simon :

‘Et ce « tableau vu où ? »[…] Boudjedra l’intertextualise à son tour dans La Prise de Gibraltar, par allusion à la miniature de Al Wasiti (1210-1278) utilisée pour la mise en abîme du récit. Au passage, signalons qu’on retrouve la même utilisation des tableaux de Pannini dans La Modification (1957) et plus tard de multiples détails picturaux dans Description de San Marco (1963), Mobile (1962) et 6 810 000 litres d’eau par seconde (1965) de Michel Butor. » 285

Dès la première page de La bataille de Pharsale se trouvent effectivement associées la couleur jaune et l’oiseau-flèche dont les trajectoires se recoupant dessineraient un espace, comparé à un tableau : « oiseau flèche fustigeant fouettant déjà disparue l’empennage vibrant les traits mortels s’entrecroisant dessinant une voûte chuintante comme ce tableau vu où ? combat naval entre Vénitiens et Génois sur une mer bleu-noir… » 286 . Mais on remarque aussitôt que la référence picturale est éludée par la question « vu où ? », restée sans réponse. À juste titre Hangni Alemdjrodo conclut au refus chez Claude Simon de tout référent. Il met d’ailleurs en relation ce refus avec le nihilisme historique propre au Nouveau Roman 287 . Ainsi le tableau du combat naval reste un matériau quelconque du roman, utilisé au même titre que n’importe quel autre.

Il n’en va pas de même avec la miniature de Wâsiti. Certes, elle semble introduite dans La prise de Gibraltar avec des modalités assez similaires à celles de La bataille de Pharsale : association de la couleur jaune et d’un mouvement rotatif de grue (qui rappelle comparativement l’oiseau-flèche de Claude Simon : « une sorte d’aile évincée » dans La prise de Gibraltar, p. 13) débouchant mais plus tard dans le récit sur la comparaison avec un tableau, « jaune donc à la manière des chevaux amassés devant le détroit de Gibraltar » (op. cité, p. 14). Ici en revanche, la référence à une peinture particulière n’est pas éludée, elle est exploitée dans ses moindres détails. On l’a déjà vu, d’ailleurs, le peintre est nommé, situé dans le temps, par le narrateur ce qui constitue une référence de même portée que le travail lexicographique dans L’amour, la fantasia ou dans Le Fou d’Elsa. De plus la description de la miniature va constituer un véritable leitmotiv du roman (plus de quinze occurrences) et occupe dans certains passages de cinq à sept pages. Ce qui s’y joue, c’est effectivement la mise en abîme de l’écriture par la répétition d’infimes détails, et surtout leur réécriture avec des variantes, elles-mêmes infimes. Par exemple la description minutieuse des bannières portées par les cavaliers sur la miniature de Wâsiti (p. 79 à 80) au début de La prise de Gibraltar est reproduite p. 199 à 201 avec des variantes sur les inscriptions qu’on peut y déchiffrer :

Bannière grise :
p. 80/ (Dis que Dieu est unique.Dieu). Quant à la suite des mots elle est cachée. 

p. 199 / (Dis que Dieu est unique et qu’Allah…). Quant au reste de la sourate il n’était pas visible mais il était facile dela compléter de la sorte (…est l’Absolu. Il n’a jamais engendré n’a pas été engendré non plus. Et nul n’est égal à lui…).
Bannière rouge :
p. 80 /  (Dieu est grand)[…] il y a un dessin sorte d’étoile à quatre branches.

p. 199 / (Allah est grand) ; et entre les mots on voit des dessins géométriques d’un rouge plus terne. 
Bannière jaune :
p. 80 / …plusieurs mots peints en blanc et qu’il est impossible de déchiffrer à cause de la ressemblance entre le fond et la forme. 
 
Bannière noire :
p. 80 / … les mots (il n’y a de Dieu qu’Allah) tronqués de leur suite logique (Mahomet est son prophète)…


p. 199 / … des inscriptions de couleur noire sur lequel on a brodé ces mots : (il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah…). Quant au reste de la phrase (et d’autre prophète que Mahomet) il est aussi invisible…
Bannière grenat :
p. 80
/ (Il n’y a de Dieu qu’Allah Mahomet) 

p. 199 / ( il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah Mahomet…)

Il nous semble intéressant de remarquer à ce propos que la mise en abîme de l’écriture évoquée plus haut consiste dans un double travail de lecture et de modification (ou réécriture). Ainsi la miniature est littéralement déchiffrée et reproduite avec des ajustements qui montrent le côté partiellement aléatoire de l’interprétation. Borges vraisemblablement n’aurait pas démenti cette conception de l’écriture qui tente de se saisir elle-même dans un ressassement sans fin. 

La miniature donne véritablement lieu à une exploration mentale. Une clé nous en est donnée dès le premier passage de description, au début du roman :

‘ Incapable de dire exactement d’où elle provenait, cette vieille miniature persane. Ou arabe ? S’agirait-il seulement d’une image mentale composée de plusieurs souvenirs picturaux accumulés, entassés ? Seulement d’une. 288

Le traitement que le narrateur lui fait subir montre en effet un empilement de données diverses. Tout d’abord la miniature est délibérément associée à Tarik ibn Ziad et à ses cavaliers se préparant à la conquête de l’Espagne (alors qu’on a pu voir précédemment à quel point cette association est fictive). C’est par l’affirmation du lieu que se nouent les deux scènes : « amassés devant le détroit de Gibraltar » 289 . Pourtant le texte laisse assez rapidement planer le doute quant à cette affirmation. Par exemple dès le début un détail insolite est relevé dans la miniature :

‘« …portant des instruments musicaux et des étendards militaires qui n’ont rien à voir avec les armes que l’on s’attendrait à voir 290 dans les mains de ce genre de personnages et dans de telles circonstances. 291

Le doute se poursuit loin en avant dans le récit, comme on le voit à la concession suivante :

‘…à cause de la présence de cette miniature qui, bien qu’elle n’eût rien de guerrier ou de violent 292 , ne faisait pas moins penser à la guerre ; ou bien, ce qui était plus atroce, à l’idée de la guerre 293

Le phénomène d’appropriation d’une image pour illustrer un autre signifié que celui d’origine est évidemment suggéré dans ces courts passages. Et on peut effectivement y voir, comme plusieurs critiques l’ont fait, la mise en cause de l’interprétation des archives, le détournement auquel cette interprétation peut conduire – d’autant qu’un des moments forts du roman consiste dans le cours d’histoire de M. Achour qui dévoile la manipulation à l’œuvre dans l’utilisation de la prosopopée et la mythification de Tarik ibn Ziad par les nationalistes algériens.

Cependant la superposition d’autres images sur la miniature revient avec trop d’insistance pour qu’on n’y lise pas d’autres valeurs. Le père du narrateur est substantiellement rattaché à elle et de deux manières : il est dit qu’elle « trônait au-dessus du bureau paternel » (p. 187) ; il est dit aussi qu’elle figure dans un livre consacré aux peintures de Wâsiti : « Mon père me surprenait souvent plongé dans ce livre qui me répugnait et me fascinait à la fois. Il me l’arrachait (le livre) des mains et me giflait en hurlant… » (p. 299). C’est quasiment un lien métonymique qui s’instaure entre la peinture et le père, confirmé par le sentiment de répugnance et la fascination que le père exerce à son tour sur le fils :

‘ …ce chef-d’œuvre pictural qui allait affoler le père, le passionner, le séduire, le mettre sous le charme, à tel point qu’il décida de l’acheter à un prix exorbitant et de l’accrocher au-dessus de son bureau, devenant – la miniature – non pas un pur chef-d’œuvre de la peinture arabe, mais surtout une sorte de manifeste rappelant, insistant et attirant l’attention d’une façon exemplaire sur la pugnacité des conquérants musulmans, leur courage et leur génie militaire dont il (le père) était non seulement le témoin sincère et le propagandiste notoire mais aussi l’archétype moderne et contemporain, le modèle fidèle, certes, mais terriblement narcissique, infatué, et se permettant une sorte de subjectivité fanatique et aveugle qui le rendait particulièrement antipathique. 294

L’image de la miniature se présente en fait comme le legs du père dans l’imagination du narrateur : en elle se cristallisent le souvenir du père, le souvenir de son idéologie nationaliste, et donc par imbrications, des clichés historiques véhiculés par cette idéologie. On peut à cet égard souligner l’usage stratégique qui est fait du participe présent, par exemple dans le début de la citation « ce chef-d’œuvre qui…à tel point qu’il décida de l’acheter…et de l’accrocher…, devenant – la miniature - … ». Dans une phrase nominale énumérative, à défaut de verbe principal, le participe présent se rattache au sujet de la proposition relative qui le précède, ici le père représenté par le pronom « il ». Seule l’incise « - la miniature » rectifie le tir, mais après coup dans la lecture, de sorte que le père se trouve véritablement assimilé à elle. C’est ainsi qu’on peut comprendre le ressassement du narrateur revenant sur cette image contaminée par le cliché idéologique, qu’il s’épuise à décrire sans jamais parvenir à une version satisfaisante ou achevée : la « vision » de Tarik et ses cavaliers dressés face au détroit de Gibraltar à la fois relève de la réalité vécue et de la fiction idéologique, on ne peut pas lui assigner une place fixe.

Par surimpression se greffent aussi les massacres de Constantine perpétrés par l’armée française en 1846, et leur réplique en août 1955 (racontée par la mère). Pourtant on a l’impression que c’est une autre peinture dont se souvient le narrateur, semble-t-il un tableau de Delacroix, sans qu’il soit possible de l’identifier clairement. Il en est question à la page 50 du roman : 

‘…N’oubliant pas non plus ces têtes coupées qui roulaient dans l’eau boueuse et torrentielle du Rhumel depuis 1846 selon une gravure d’Eugène Delacroix que son père le laissait regarder de temps à autre... 295

Mais un glissement s’opère en cours de récit et la description de ce qui semble être la gravure ou le tableau de Delacroix se replie sur la miniature :

‘ L’une des miniatures, particulièrement spectaculaire, m’avait toujours impressionné. La toile [sic…les miniatures ont pour support le papier ou leparchemin…] baignait dans des couleurs toutes dérivées du rouge. Il y régnait un climat d’obscurité impossible à discerner avec précision. Il y avait plusieurs taches rouges qui vont de l’écarlate au brun foncé. Au-dessus des guerriers, le ciel était ardoisé par endroits et cuivré en d’autres. Les flammes dévoraient tout ce qui était contenu dans la toile, y compris le ciel lui-même et jusqu’à l’horizon rougeâtre… 296

À lire cette description, il devient évident que la miniature est devenue le prétexte à développer des scènes imaginaires, fantasmatiques, qui s’offrent comme une réécriture de différentes représentations picturales vues puis interprétées et assimilées. Chaque nouvelle description contient l’image précédente ou renvoie à elle, tout en étant différente par ses variations, en une sorte d’arborescence littéraire qui est assimilable à une structure fractale. De là la complexité de la composition de l’œuvre où se réalise son rythme.

Or plusieurs passages de La prise de Gibraltar, par exemple la page 147 en ce qui concerne les scènes de traduction avec le père, et surtout la Sixième Partie semblent se présenter comme une mise en ordre des différentes unités narratives qui sont par ailleurs, comme on vient de le voir, liées entre elles par échos et glissements successifs dans les cinq autres parties du roman (unités narratives auxquelles appartient le motif de la miniature de Wâsiti). Cette dernière partie de l’œuvre vient comme mettre une chronologie aux différents motifs enchâssés les uns dans les autres depuis le départ du roman et donner des justifications au choix qui a été fait. En effet, ce dernier développement ré-expose les uns après les autres les différents motifs récurrents sans plus les enchâsser, et sans plus revenir sur les multiples corrections qui s’étaient sans cesse produites tout au long des cinq premières parties. Pour s’en rendre compte, on peut comparer la première apparition de la miniature, en Première Partie de roman, et ce qui est dit d’elle dans la Sixième Partie :

Ce premier passage en ouverture de la Sixième Partie explicite le leitmotiv del’illustration ou de la peinture de la guerre. Il montre aussi comment une scène picturale non référencée, mais qui rappelle la facture de Delacroix par exemple, se superpose à la miniature de Wâsiti, par la correspondance du motif des chevaux
  p. 257 / [Tout le début de la Sixième Partie] Enfant, j’ouvris un jour un livre. J’y vis plusieurs illustrations. L’une d’elles m’horrifia et se fixa pour toujours dans ma mémoire. Le tableau donnait une impression de quelque chose de vague et d’obscur ; comme une couleur marron ou – plus exactement – brune et sanguine, à la fois. Le ciel comme badigeonné à la va-vite était cuivré. Il laissait apparaître des incendies gigantesques et orangés à tous les horizons. Leurs flammes envahissaient toute la surface de l’illustration et passaient sous les sabots, les ventres et les poitrails des chevaux aux muscles exagérément saillants et brillants, comme huileux ; chevaux donc effrayés, bondissants, hennissants et debout sur leurs pattes arrière.
On remarque dans le passage de la page 14 que la nomination de la couleur jaune assure à elle seule le passage de la description de la grue à celle de la miniature, laquelle n’est pas nommée en tant que telle, puisqu’il n’est question que des chevaux dans un premier temps. Ainsi s’accomplit la composition fractale du récit. En revanche dans la Sixième Partie la désignation de la miniature et de sa localisation première est tout à fait explicite.
p. 14 / [à propos de la grue dont il est question depuis la première page, p.11]. Opulente. Divine. Jaune… Comme si elle – la grue – était en quête de quelque chose, à la recherche d’une proie, à l’affût des oiseaux. Mais essentiellement, elle est comme enfoncée dans une sorte de liquéfaction bizarre. De liquidité impure. Plantée dans une matière louche. Trouble. Troublée. Puis.
Jaune donc à la manière des chevaux amassés devant le détroit de Gibraltar et portant leurs cavaliers envoyés en éclaireurs, à l’avant-garde des troupes restées à l’arrière, avec parmi eux (les éclaireurs) les porteurs de tambours, les souffleurs de trompettes et les porte-étendard. Jaunes donc ces chevaux en arrêt devant le Détroit. Ou plutôt en majorité jaunes.




p. 266 / [Juste après l’évocation de Kamel, le fort en maths, et sans aucun lien même lexical avec ce passage.] Jaune, de la même couleur que celle qui dominait dans la miniature de Wasity (XVIIIe siècle) représentant Tarik ibn Ziad et son avant-garde, face au Rocher du Détroit, plus tard Gibraltar. Le groupe militaire ne dépassait pas la dizaine de cavaliers. Mais le reste des chevaux était de couleur rouge foncé, marron ou camaïeux.[…]
Ici on retrouve la couleur rouge et feu de l’illustration présentée en début de Sixième Partie, mais cette fois explicitement superposée à la miniature de Wâsiti. Les métamorphoses de cette dernière dans le roman se trouvent donc expliquées par ce passage, qui n’est pourtant en quelque sorte que l’ébauche de la fusion opérée par l’écriture dès le début du roman.
  p. 298 / Je vis donc dans ce livre consacré aux miniatures de Wasity, des scènes de guerre concernant la conquête de l’Espagne par Tarik ibn Ziad, dessinées au XIIIe siècle, c’est à dire cinq siècles après la prise de Gibraltar. L’une des miniatures, particulièrement spectaculaire, m’avait toujours impressionné. La toile baignait dans des couleurs toutes dérivées du rouge.

Cependant, les erreurs de datation (XVIIIe à la place de XIIIe siècle…), les variantes sur les couleurs, l’absence de rapport entre la miniature qui montre les chevaux et celle, rouge, qui montrerait une scène de guerre, toutes ces hésitations ou ces inexactitudes font qu’on aurait tort de penser que cette fin d’œuvre donne en quelques sortes les clés de lecture de ce qui précède. Il faut rendre cette justice au texte que son rythme spécifique était en jeu dès la première page du roman, et que la mise à plat finale n’est qu’une ébauche imparfaite de ce qui a été accompli précédemment ! C’est ce qui fait conclure que la fin du roman n’est peut-être que le matériau de départ, avant qu’il ne prenne forme dans l’écriture et que la logique plus au moins fiable qui est exposée ne saurait être purement et simplement le dévoilement de ce que le récit aurait précédemment crypté. D’ailleurs ce qui est exposé au passé simple et au plus que parfait dans la Sixième Partie, dans un schéma temporel de roman traditionnel, est installé au présent de l’indicatif, et au participe présent dans les premières pages. L’organisation des phrases sous la forme de la parataxe marque le procès en cours d’accomplissement, de telle sorte que seule la durée de la parole en train d’advenir est mise en avant : c’est clairement l’actualité de l’écriture comme mouvement qui est ainsi mise en scène pendant la majeure partie du roman ; quant à la Sixième Partie et son exposé plus ou moins en ordre, ils ne peuvent occulter la question qui clôt le roman, « où donc est l’issue ? » et qui rétrospectivement annule cette pseudo mise en ordre : la parole est sans fin, qui déroule et reprend et mélange les mêmes discours.

Notes
282.

Abdelfattah Kilito, Les Séances. Récits et codes culturels chez Hamadhanî et Harîrî, La Bibliothèque arabe, Sindbad, 1983, p. 192.

283.

Richard Ettinghausen, La peinture arabe, coll. Les trésors de l’Asie, Skira – Flammarion, 1977

284.

Claude Simon, La bataille de Pharsale, Minuit, 1969

285.

Hangni Alemdjrodo, op. cit., p. 90.

286.

La bataille de Pharsale, p. 9

287.

Hangni Alemdjrodo, op. cité, p. 95

288.

Rachid Boudjedra, ibid., p. 16

289.

Idem., p.14

290.

C’est nous qui soulignons.

291.

Idem., p.15

292.

C’est nous qui soulignons.

293.

Idem, p. 188

294.

Ibid., p.145.

295.

Inutile de préciser qu’il n’existe aucune gravure de Delacroix sur ce massacre ni sur cette ville. . .

296.

Ibid., p. 298