II. La naissance du droit du travail

Le Cambodge connait depuis très longtemps la notion de droit du travail. Grâce à des recherches sur le droit khmer ancien menées par un français, Adhémard LECLERE, qui a réuni tous les documents nécessaires relatifs au mode de régulation sociale par le droit intitulé « les Codes cambodgiens » de 1898, on peut savoir que le travail subordonné est pris en compte par le droit cambodgien avant 1863. On a retrouvé des textes de loi dits « Krâm Téasa Kamokar » 23 c’est-à-dire la loi régissant les esclaves. Cette loi a été améliorée en 1853 par le Roi Ang Duong qui dirigea le pays de 1845 à 1859. On peut citer notamment l’article 8 de cette loi qui énonce que « quiconque emmène l’esclave d’autrui pour faire du commerce sans prévenir le maître, si l’esclave prendre la fuite, devra rembourser au maître la valeur de l’esclave. Si plus tard, il retrouve l’esclave, il pourra le garder comme lui appartenant. Si l’esclave ne veut pas rester avec lui, l’esclave devra rembourser ou faire rembourser tout ce que ce maître a payé à l’ancien maître. Si l’esclave meurt, c’est tant pis pour le second maître qui en a payé le prix ».

Après l’instauration du protectorat français, le régime de l’esclavage a été supprimé en 1884 24 . Cependant, cela ne veut pas dire que les esclaves dans tout le pays ont retrouvé leur liberté, il faudra attendre 1898 pour que ce régime soit complètement aboli 25 . Même si l’esclavage était aboli, la relation du travail n’était pas vraiment encadrée par la loi. Pour parler de la relation du travail au sens juridique du terme, il faut attendre 1920, date à la quelle le premier Code civil cambodgien a été promulgué. Dans ce Code, on trouve les dispositions des articles 1145 à 1175 régissant les relations du travail entre employeurs et travailleurs. Quant aux articles 827 à 834, ils mentionnent les obligations des maîtres en cas d’accident de travail de leurs préposés. Ce Code a été utilisé jusqu’à l’indépendance du Cambodge en 1953. Pour développer l’économie du pays et attirer des investisseurs étrangers, le premier Code du travail rédigé par le Maître Marcel CLAIRON a été adopté dans les années 1960. Cependant, le changement de régime politique intervenu en 1970 par le coup d’État a amené le pays à adopter un nouveau Code du travail en 1972 pour adapter les règles applicables aux relations du travail. Ce Code continua à s’appliquer, sauf pendant le régime des Khmers Rouges, jusqu’en 1992. Il fut remplacé, cette même année, par un nouveau Code. Ce Code de 1992 fut à son tour remplacé en 1997 par le Code du travail actuel, en raison de l’évolution du régime politique vers la démocratie libérale.

Après la signature de l’Accord de paix de Paris en 1991, mettant fin à une guerre civile de près de vingt ans, le nouveau Gouvernement du Cambodge s’est attelé avec beaucoup d’ambition aux nouveaux défis politiques et économiques afin de relever le pays pour combattre la pauvreté et rechercher le progrès social dans le respect de la loi de l’État. D’ailleurs, avec le nouveau régime politique mis en place après les élections législatives de 1993 soutenues par la communauté internationale, le pays disposait d’une nouvelle Constitution inspirée du modèle occidental. Cette Constitution garantit les droits fondamentaux des citoyens comme le principe d’égalité devant la loi, le principe de non-discrimination, le droit et la liberté syndicale, etc. Dans le domaine du droit du travail, le nouveau Code du travail, inspiré des anciens codes des années 70 et 92, avec le soutien des experts internationaux, a été adopté et promulgué en 1997 pour prolonger et détailler la protection des droits et des libertés accordés par la Constitution et pour réglementer le marché du travail après l’ouverture du pays à l’économie de marché 26 .

Notes
23.

Adhémard LECLERE, Les Codes cambodgiens, tome 1, Paris, Ernest Leroux, 1898, p. 386 et s.

24.

Article 8 de la Convention du 17 juin 1884 conclue entre la France et le Cambodge pour régler les rapports respectifs des deux pays: « L’esclavage est aboli sur toute l’étendue du royaume ». L’intégralité de cette Convention peut être trouvée dans la thèse de Armand ROUSSEAU, Le protectorat français du Cambodge, organisation politique, administrative et financière, op.cit., p. 27 et s.

25.

Marcel CLAIRON, Notions essentielles du droit du travail au Cambodge, Annales de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Phnom Penh, 1965, p. 291.

26.

L’article 56, alinéa 1er de la Constitution de 1993 énonce que « le Royaume du Cambodge applique le système de l’économie de marché ». Il est à noter que depuis le début des années 1980 et jusqu’en 1991, l’économie cambodgienne était planifiée et ce malgré la tentative de réformes en 1985. In, SUM Map, Marché du travail et emploi au Cambodge : Contraintes à court terme et Enjeux à long terme, op.cit., p. 1.