1. Égalité des citoyens devant la loi

L’idée de l’égalité devant la loi a été, semble-t-il, inventée par les philosophes grecs de l’Antiquité. Les Athéniens, au 5ème siècle avant J-C, sont les premiers à mettre en œuvre le principe d’égalité juridique et politique entre les citoyens en introduisant un « cadre juridique commun dont la loi est l’expression et dont l’ensemble des citoyens bénéficie selon le principe d’isonomie, c’est-à-dire d’égalité de tous devant la loi » 27 . On doit à Aristote, l’idée de l’égalité proportionnelle et hiérarchisée entre les citoyens de la cité. Selon lui, «  Elle est hiérarchique parce qu’elle est légitime, à l’intérieur de la cité, les rapports entre maîtres et esclaves ainsi que la domination du mari sur la femme » 28 . Les citoyens, selon ce philosophe, ne comprennent pas les femmes et les esclaves. Pourtant, « elle est égalitaire puisque les hommes libres par nature (les citoyens) ne sont pas nés ou créés égaux, et qu’ils ont besoin d’une institution politique qui les rend égaux » 29 . Des siècles plus tard, Jean-Jacques ROUSSEAU souligne à son tour qu’à l’état naturel, les hommes ne sont pas égaux physiquement et intellectuellement. C’est par le concept du Contrat social, qu’il avance l’idée de l’égalité juridique entre les hommes. Selon lui, « au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes et que, pouvant être inégaux en force et en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit » 30 .

Ces deux philosophes réfutent donc l’idée d’égalité naturelle entre les être humains. Cette thèse est contraire à celle soutenue par d’autres auteurs comme Voltaire. Cependant, si l’on voit les choses de manière assez raisonnable, on ne pense pas que l’égalité entre les citoyens est un attribut naturel. C’est ce que souligne Monsieur Jean-Michel SERVAIS : « il est faux que l’égalité soit une loi de la nature, écrivait Vauvenargues au XVIII siècle, la nature n’a rien fait d’égal ; sa loi souveraine est la subordination et la dépendance. Effectivement, et l’on pourrait multiplier les citations, la naissance nous a laissé beau ou laid, vigoureux ou chérif, intelligent ou stupide, d’un caractère trempé ou hésitant…La vie en société n’a fait qu’accentuer ces inégalités. Selon que vous serez puissance ou misérable, disait à son tour La Fontaine, le jugement de cour vous rendra blanc ou noir » 31 .

L’étude de la question d’égalité entre les citoyens selon les penseurs grecs nous permet peut être de retracer la même question sur le Royaume du Cambodge. Il semble que l’idée de l’égalité hiérarchisée entre les hommes de la cité trouve un écho dans le régime politique et juridique khmer depuis l’époque d’Angkor, parce que le Cambodge vivait sous un régime de monarchie absolue et que la société était divisée en quatre classes sociales 32 . Les rapports entre les maîtres et les esclaves ont été légitimés jusqu’à l’instauration du régime du protectorat français sur le Cambodge en 1863.

L’abolition de l’esclavage n’est qu’une amélioration des conditions d’égalité entre des citoyens, mais rien n’assure que l’égalité de droit soit respectée entre les gens. Cela résulte du fait, d’une part, qu’il n’y a pas encore de proclamation officielle de textes écrits sur la question de l’égalité parce que le système juridique du Cambodge se base essentiellement sur des traditions, des coutumes, et d’autre part, parce qu’il existe également des privilèges de classes, surtout entre les familles royales, les bourgeois et les classes pauvres.

Notes
27.

S. HASQUENOPH, Initiation à la citoyenneté, éd., Ellipses, 2000, p. 28., citée par Patricia ROTKOPF, Le principe de non-discrimination en raison du sexe, Thèse, Université Paris XI, 2004, p. 4.

28.

Imad AFARA, L’égalité entre les travailleurs en droit du travail, thèse, université de Nantes, 2000, p. 5.

29.

Patricia ROTCOPF, Le principe de non-discrimination en raison du sexe, op.cit., p. 4.

30.

J-J ROUSSEAU, Du Contrat social, 1762, Livre I, Chapitre IX, Flammarion, 2001.

31.

Jean-Michel SERVAIS, L’égalité dans l’emploi ou droit à la différence ? Un point de vue international, Cahiers de Droit, vol. 33, n° 2, juin 1992, p. 516.

32.

Jean IMBERT, L’histoire des institutions khmères, Annales de la Faculté de Droit de Phnom Penh, Volume II, 1961, p. 35 et s. L’auteur cite le récit de Tchéou Ta-Kouan qui mentionnait qu’il existait quatre classes sociales au Cambodge : 1. Les membres de la famille royale et les Kshatryas (des nobles guerriers) ; 2. Les sectes religieuses ; 3. Les hommes libres ; 4. Les esclaves.