a. Égalité femmes- hommes avant et pendant le 13ème siècle

Nous voulons préciser, à titre de précaution, qu’une étude de la vie sociale, familiale des Cambodgiens, surtout l’égalité entre femmes et hommes (…) durant cette période, ne peut se réaliser sans faire référence aux documents des pays étrangers comme la Chine parce qu’on ne trouve pas de traces de documents cambodgiens pouvant servir de base de réflexion, à l’exception des inscriptions artistiques dans les temples et dans les légendes khmères.

Selon le voyageur chinois, Tcheou Ta-Kouan 33 , qui entra dans le Royaume du Cambodge en 1296, les femmes cambodgiennes jouent un rôle plus important que les hommes dans la vie sociale, familiale et juridique. Certaines inscriptions prouvent qu’en matière de donation ou d’acquisition à titre onéreux 34 , l’épouse pouvait intervenir seule même en l’absence de son mari. En revanche, ce dernier ne pouvait intervenir qu’avec l’accord de son épouse. D’ailleurs, dans le domaine successoral, la succession se fait selon la ligne féminine. À cette époque, ce sont les femmes qui dominent les hommes. Tcheou Ta-Kouan et les autres chercheurs européens ont démontré qu’en ce qui concerne la demande en mariage, c’est la fille qui demande le garçon. Cela n’explique pas l’infériorité des filles par rapport aux garçons, mais il s’agit toutefois de la liberté de choix de la jeune fille de son futur mari.

À l’heure actuelle, la règle a évolué : un homme qui veut épouser une fille doit se mettre au service de la maison des parents de la jeune fille pendant quelques temps. À l’issue de cette épreuve, les parents de la fille peuvent soit accorder le mariage, soit le refuser définitivement. On ignore l’origine de ce changement parce qu’il n’y a pas de sources précises à propos de cette règle (demande en mariage). Mais si l’on se réfère à certaines sources comme la légende, on peut en tirer quelques enseignements sur ce problème. En effet, la légende khmère nous indique qu’à un moment donné les femmes étaient plus fortes que les hommes, elles voulaient changer la règle de la demande en mariage. Elles ont parié avec les hommes en érigeant deux montagnes distinctes. Ce sont les femmes qui ont remporté l’épreuve. Ces deux montagnes se trouvent actuellement dans la province de Kampong Cham, dans le Sud du Cambodge. On constate que la montagne des filles (phnom srey) est plus grande que celle des garçons (phnom pros) 35 . Une telle légende, même si elle n’est pas très fiable, peut également expliquer l’évolution en matière matrimoniale et la valeur de la femme khmère à une époque où elle était supérieure à l’homme.

En ce qui concerne la fonction publique, les femmes à l’époque angkorienne, selon Jean IMBERT, n’étaient pas non plus exclues des charges publiques. Elles remplissaient à la Cour toutes sortes d’emplois allant de l’astrologie à la fonction de juge. Elles paraissaient jouer un rôle prépondérant dans l’organisation même de cette Cour 36 .

Avant de poursuivre notre développement sur la question d’égalité femmes- hommes dans les périodes suivantes, nous pouvons conclure qu`avant la fin du 13ème siècle, le Royaume du Cambodge était dominé par les femmes. La première reine du Cambodge, était d’ailleurs une femme. Ce sont les femmes qui ont les prérogatives les plus importantes dans des domaines qui ne sont pas réservés aux hommes.

Notes
33.

Jean THIERRY, L’évolution de la condition de la femme en droit privé cambodgien, op.cit., p. 11 et s.

34.

Id., p. 48 et s.

35.

Dans la langue khmère, le mot « phnom » désigne la montagne, le mot « srey » veut dire fille, et le mot « pros » veut dire « garçon ».

36.

Jean IMBERT, Histoire des institutions khmères, op.cit., p. 31.