1. Égalité, non-discrimination et notions voisines

Le droit international et le droit du travail des pays développés distinguent deux conceptions de l’égalité. La première vise l’égalité de traitement. Celle-ci ne signifie pas identité de traitement. La distinction ou la différenciation est autorisée dans la mesure où elle n’est pas illégitime ou arbitraire. Elle exige simplement que des critères communs soient applicables de la même manière pour tous. Ainsi, la distinction entre deux groupes de personnes se trouvant dans une situation identique ou comparable ne constitue pas une discrimination au sens juridique du terme. Celle-ci est seulement une distinction illégitime 81 . La rémunération individualisée ne viole pas la règle d’égalité salariale et ne constitue pas en principe une discrimination lorsque d’autres critères comme le mérite individuel est évoqué par l’employeur. La deuxième conception de l’égalité vise l’égalité des chances 82 . Cette égalité consiste à adopter des règles ou des mesures spécifiques destinées à favoriser certains groupes de personnes qui souffrent des inégalités en fait. Cette égalité dite « de départ » est acceptée à titre temporaire et des mesures utilisées devront être retirées lorsque l’objectif fixé sera atteint.

Discriminer c’est séparer, distinguer, différencier ou discerner 83 . Dans le langage courant, la discrimination signifie la distinction entre des objets, établir entre eux une séparation, une différenciation à partir de leurs traits distinctifs. Au sens juridique du terme, discriminer, c’est traiter de manière défavorable une personne ou un groupe de personnes en la ou les traitant plus mal. La discrimination désigne un comportement ou un acte qui tend à distinguer un groupe humain ou une personne des autres, à son détriment 84 . Une discrimination est une affaire de motifs. Il y a discrimination au sens juridique lorsque la différenciation ou la distinction tombe sur un ou plusieurs motifs prohibés par la loi. Ainsi, l’article 12 de la section deux du chapitre premier du Code cambodgien du travail énonce-t-elle des motifs discriminatoires en interdisant à un employeur de prendre en considération le sexe, la race, l’opinion politique, l’appartenance ou non à un syndicat pour différencier ses décisions en matière de rémunération ou d’embauche.

Plusieurs conventions internationales comportent également une définition de cette discrimination, parmi lesquelles, on trouve notamment la Convention numéro 111, la Convention de l’UNESCO, la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. Par exemple, selon l’article 1er de la Convention numéro 111, le terme discrimination comprend : a/ toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession ; b/ toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité des chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, s’il en existe, et d’autres organismes appropriés ». On peut citer également le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté dans le cadre de l’ONU, entré en vigueur le 23 mars 1966, qui revêt une importance en matière de discrimination, prévoit dans son article 26 que « toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Quant à l’article 1er de la Convention relative à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, il définit la discrimination comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe dans les domaines politiques, économiques, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ».

L’utilisation des différents termes comme « la discrimination », « la distinction », ou « l’égalité », dans ces différentes conventions internationales ne sont pas sans conséquence sur le fond parce que toute discrimination implique une distinction, une différenciation, ou une inégalité, mais toutes ces notions ne sont pas directement discriminatoires au sens péjoratif du terme. Malgré une absence de définition commune entre ces différentes normes internationales, on s’aperçoit que le concept de discrimination utilisé est assez proche du sens que lui donne le droit du travail 85 . Cela veut dire que toutes les distinctions ou les inégalités de traitement ne sont pas automatiquement qualifiées de discrimination. Ainsi, la discrimination doit être entendue dans un sens plus restreint. Cela signifie qu’une discrimination exige, tout d’abord, une différence de traitement, ensuite, elle est dépourvue de toute justification objective et raisonnable, et enfin, elle doit tomber sur l’un des motifs interdits par la loi 86 .

On peut, par ailleurs, se demander si une différence de traitement peut constituer une discrimination lorsqu’elle ne tombe pas sur un critère expressément prohibé par la loi. La réponse est affirmative dans le cas où cette différenciation a un caractère arbitraire 87 , c’est-à-dire à partir du moment où la distinction manque de justification objective et raisonnable. La discrimination se définit dans ce cas comme toute entorse au principe d’égalité de traitement. La discrimination a un caractère arbitraire. Il convient néanmoins de remarquer qu’il n’existe pas de principe général de non-discrimination en droit français, mais des règles de non-discrimination au bénéfice de personnes que la société considère comme plus vulnérables sur le marché du travail 88 .

Le Droit communautaire a introduit dans le droit du travail des États membres deux conceptions de la discrimination : d’une part, il s’agit de la discrimination directe qui peut se fonder directement sur un critère de distinction infondé et arbitraire comme le sexe, la race, l’opinion politique (…), et d’autre part, c’est la discrimination indirecte qui, selon Olivier DE SCHUTTER, peut résulter de ce que l’auteur d’une discrimination, d’une façon délibérée, souhaite dissimuler derrière le recours à certains critères ou pratiques neutres en apparence, une discrimination qu’il lui est interdit de pratiquer ouvertement 89 .

Notes
81.

Antoine JEAMMAUD, Du principe d’égalité de traitement des salariés, art.préc., p. 695.

82.

ALAIN BARRÉ, La discrimination en droit international du travail, thèse, université Jean Moulin Lyon 3, 1984, p. 37.

83.

Marc BARATIN et Mariane BARATIN-LORENZI, Dictionnaire des synonymes, éd., Hachette, 2003, p. 189.

84.

Danièle LOCHAK, Réflexions sur la notion de discrimination, Dr. soc. 1987, p. 778 ; voir aussi : Jean-Marc BÉRAUD, La singularisation du droit du travail face aux exigences de non-discrimination et d’égalité, art.préc., p. 79 et s.

85.

Alain BARRÉ, La discrimination en droit international du travail, op.cit., p. 43.

86.

Patricia ROTKOPF, Le principe de non-discrimination en raison du sexe, op.cit., p. 36 et s.

87.

Danièle LOCHAK, Réflexions sur la notion de discrimination, art.préc., p.781 ; Alain BARRÉ, La discrimination dans le droit international du travail, op.cit., p. 49.

88.

Miche MINÉ, La discrimination dans l’emploi, SSL, supplément, n° 1055, 17 décembre 2001, p. 4.

89.

Olivier DE SCHUTTER, Discrimination et marché du travail (liberté et égalité dans les rapports d’emploi), éd., P.I.E.- Peter Lang (Bruxelles), Coll. « Travail et Société », n° 28, 2001, p. 93.