Partie I. L’égalité consacrée et garantie par la loi

« La loi considère tout être humain comme égal, tous les peuples doivent la respecter » 101 .

Après l’indépendance, le Cambodge est devenu membre de l’OIT 102 en 1969 et il s’est engagé petit à petit sur la voie de l’adoption des traités ou des conventions internationales relatives aux protections des droits sociaux fondamentaux des travailleurs 103 . À titre d’illustration, la Convention internationale numéro 29 de l’OIT sur l’abolition du travail forcé ou obligatoire, a été ratifiée par le Cambodge le 24 février 1969. Étant membre de l’Organisation Internationale du Travail, le Cambodge doit respecter certains principes fondamentaux prévus par la Constitution de cette Organisation 104 . Il s’agit en particulier des règles de non-discrimination entre des travailleurs masculins et des travailleurs féminins en matière de rémunération et de profession, la protection de la liberté et du droit syndical etc. C’est une obligation juridique à laquelle les États membres ne peuvent résister. En juillet 1999, le Parlement du Cambodge a adopté six  autres conventions 105 de l’OIT, à savoir la Convention numéro 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, entrée en vigueur en 1950, la Convention numéro 98 concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective, entrée en vigueur en 1951, la Convention numéro 100 concernant l’égalité de rémunération entre la main d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale, entrée en vigueur en 1953, la Convention numéro 105 concernant l’abolition du travail forcé, entrée en vigueur en 1959, la Convention numéro 111 concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, entrée en vigueur en 1960, et enfin, la Convention numéro 138 concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, entrée en vigueur en 1976.

Le pays a été encouragé à ratifier ces textes internationaux car il voulait devenir, après les élections de 1993, un État de droit 106 et qu’il voulait également protéger les droits fondamentaux des travailleurs contre toutes formes de discriminations ou de travail forcé en conciliant ces objectifs avec l’impératif économique du gouvernement d’attirer des investisseurs étrangers 107 . En plus, le Cambodge bénéficie de nombreuses aides internationales. Hormis des aides financières directes, ce pays a obtenu la réduction ou l’exonération des taxes d’exportation 108 des produits textiles vers les pays donateurs comme les États-Unis et les pays de l’Union Européenne. En contrepartie de cet avantage, le Cambodge devait respecter les règles du droit du travail notamment les conditions de travail, la liberté syndicale, la non-discrimination, etc. Or la ratification des textes internationaux est indispensable dans ce cas parce que c’est essentiellement dans les conventions ou dans les traités internationaux que la question de la non-discrimination est développée.

Quoi qu’il en soit, les textes nationaux étaient déjà conformes aux engagements internationaux du Cambodge parce qu’après les élections de 1993, le pays s’est engagé de nouveau de manière résolue sur la voie démocratique en reconnaissant et en respectant les droits de l’homme. Cette reconnaissance est largement inspirée par la tradition juridique occidentale, surtout celle de la France par l’effet du protectorat. Mais l’exigence de cette reconnaissance, dans un pays venant de sortir d’une guerre civile particulièrement traumatisante, a été imposée par les communautés internationales depuis les Accords de Paris de 1991 109 . Cette volonté est conforme à l’esprit des constituants cambodgiens 110 lors de l’élaboration de la Constitution du 24 septembre 1993 qui énonce dans l’article 31 alinéa 1er que « le Royaume du Cambodge reconnaît et respecte les Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la Charte des Nations Unies, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans tous les traités et conventions ayant rapport avec les Droits de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant ». Cet article exprime un engagement très ferme du Cambodge à la doctrine des droits de l’homme, bien que ce rattachement reste encore large 111 .

Il faut préciser que les Conventions ou les Traités internationaux ne peuvent être appliqués qu’après l’approbation par le Parlement cambodgien. Ainsi, le fait d’accepter par le gouvernement ces textes internationaux ne les rend pas applicables directement sur le territoire du Cambodge. Les particuliers ne bénéficient pas des droits contenus dans ces instruments. Il s’agit simplement d’un engagement du gouvernement à l’égard des normes internationales. En cas de non respect, c’est la responsabilité du gouvernement devant les organes internationaux. Mais les études de ces normes nous semblent très utiles pour un pays comme le Cambodge qui a pris des engagements à les respecter.

Concernant le domaine de l’égalité, les alinéas 2 et 3 de l’article 31 de la Constitution du Cambodge relatifs à la liberté et à l’égalité entre les citoyens, énoncent que « les citoyens khmers sont égaux devant la loi, possèdent des droits à la liberté et ont les mêmes devoirs sans distinction de race, couleur de la peau, sexe, langue, croyances, tendances politiques, origine de naissance, classe sociale, richesse et autres aspects. L’exercice des droits et libertés par chaque individu ne doit pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ».

Mais notre réflexion se limite au domaine du travail. L’article 45 de la Constitution de 1993 relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes dispose que « toute discrimination à l’égard des femmes doit être supprimée. Toute exploitation sur le travail de la Femme sera interdite. L’homme et la femme jouissent des mêmes droits dans tous les domaines… ». Quant au Code du travail, qui s’inspire beaucoup de la Constitution et des normes internationales, il interdit strictement la discrimination non seulement entre les hommes et les femmes, mais également entre les travailleurs en général 112 . L’interdiction de la discrimination porte sur tous les aspects du droit du travail, notamment dans la rémunération, le recrutement, l’accomplissement du travail ainsi que l’exercice de la liberté individuelle et collective comme le droit syndical et celui de la grève.

En somme, le Cambodge dispose de nombreux textes très importants dans tous les domaines, particulièrement dans le domaine du travail même si ces textes restent peu précis et parfois ambigus. C’est à travers ces textes que l’étude de la question de l’égalité pourra être effectuée. Cependant, notre tâche n’est pas seulement de démontrer leur existence, mais également de les interpréter pour leur donner un sens propre à notre droit parce que la plupart ne sont actuellement que des affirmations de principe sans contenu ni portée réelle.

D’ailleurs, les textes juridiques ne peuvent être efficaces que s’ils mettent en place des procédures et des mécanismes de contrôle qui permettent d’atteindre l’objectif fixé qui est celui de l’égalité entre les travailleurs. Aussi, les nombreux textes juridiques tant internationaux que nationaux qui proclament l’égalité entre les travailleurs (chapitre 1) prévoient le plus souvent la mise en place de procédure de contrôle rigoureux sous la forme de rapports internationaux, d’un corps d’inspecteurs du travail et d’une autorité judiciaire compétente (chapitre 2) .

Notes
101.

Cette phrase a été gravée dans le logo du Ministère de la justice du Cambodge, reproduite sur la couverture de l’ouvrage du Droit du travail cambodgien de Monsieur HEL Chamroeun.

102.

L’OIT, l’Organisation internationale du travail, est actuellement rattachée à l’ONU. Sa particularité est d’être une organisation tripartite, chaque État est représenté par deux représentants du gouvernement, un représentant des salariés et un représentant des employeurs. Elle adopte des conventions que les États membres doivent ensuite ratifier et mettre en œuvre dans leur pays. L’activité de l’OIT n’est pas seulement normative, elle aide matériellement les États les plus pauvres à mettre en œuvre et à faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs.

103.

Avant 1999, le Cambodge a ratifiée cinq Conventions internationales adoptées lors des sessions de la Conférence internationale du travail qui se sont déroulées depuis 1919. Cette décision de ratification est similaire à celle du Laos, mais elle est différente de deux autres pays voisins : la Thaïlande et le Vietnam. Ces deux pays ont adopté respectivement onze et douze Conventions de l’OIT. L’ensemble de ces conventions ont été ratifiées par le Cambodge entre 1969 et 1971. Ces cinq Conventions ratifiées sont : la Convention numéro 4 sur le Travail de nuit des femmes, la Convention numéro 6 sur le Travail de nuit des enfants dans l’industrie, la Convention numéro 13 sur la Céruse (peinture), et la Convention numéro 29 sur le Travail forcé. Sur ce point, voir : Laure GINESTY, Construction du droit du travail au Cambodge en 1996, Ministère du travail et des affaires sociales, Groupement d’intérêt public pour le développement de l’assistance technique et de la coopération internationales, p. 27 et s.

104.

La Constitution de l’OIT ne contient pas seulement des dispositions à caractère institutionnel ; elle a aussi établi certains principes généraux qui ont constitué des normes fondamentales dont on s’est souvent inspiré par la suite, non seulement comme des directives adressées aux organes de l’OIT en vue de l’élaboration de conventions et de recommandations, mais aussi comme une source directe du droit international du travail. Les États membres de l’OIT ont, du fait de leur participation à l’Organisation, une sorte d’obligation de respecter certains principes fondamentaux prévus par la Constitution, et cela même s’ils n’ont pas ratifié les conventions particulières traitant plus précisément de la matière considérée. Cette conception est fondée, en premier lieu, sur le fait que le Préambule de la Constitution de l’OIT et la Déclaration de Philadelphie de 1944, qui a été par la suite incorporée à la Constitution de l’OIT, énumèrent les objectifs que les États membres et les Organisation se sont assignés. Voir : Nicolas VALTICOS, Le droit international du travail, publié sous la direction de G.H Camerlynck, Dalloz, 2ème éd., 1983, p. 578.

105.

Marie-Cécile ESCANDE-VARNIOL, Les droits sociaux fondamentaux et le droit du travail cambodgien, Annales de la Faculté de Droit de Phnom Penh, 2001, p. 117 et s.

106.

Edith JAILLARDON, L’État de droit, Annales de la Faculté de Droit de Phnom Penh, 1995, p. 171.

107.

Laure GINESTY, Construction du droit du travail au Cambodge en 1996, op.cit., p. 21 et s.

108.

Le Cambodge a bénéficié du système de préférence générale (Generalized System of Preference). Il s’agit d’un accord bilatéral qu’accordent les pays développés à certains pays en voie de développement pour encourager l’entreprise et favoriser le développement économique. Chaque pays industrialisé décide d’accorder ou non ces conditions favorables, qui permettent d’exonérer de droits de douane certains produits. Concernant le domaine du travail, ce GSP est attribué lorsque le pays en cause respecte certaines conditions posées par des normes fondamentales en droit du travail. Il s’agit principalement du respect de la liberté syndicale, de l’interdiction des discriminations, du travail forcé, et du travail des enfants, in Cambodia Times du 24 mars 1996 « EU delegation reviews GSP status ».

109.

L’annexe 5 des Accords de Paris énonce que « la tragédie que le Cambodge a vécue récemment exige que des mesures spéciales soient prises pour assurer la protection des droits de l’homme. Par conséquent, la Constitution comportant une déclaration des droits fondamentaux, y compris le droit à la vie, la liberté personnelle, la sécurité, les libertés de mouvement, de religion, d’assemblée et d’association, y compris pour les partis politiques et les syndicats, le droit à un procès équitable et l’égalité devant la loi, la protection contre la dépossession arbitraire ou non assortie d’une juste indemnisation, la non discrimination raciale, ethnique, religieuse ou sexuelle. Elle interdira également l’application rétroactive des lois pénales. Cette déclaration sera en accord avec les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres instruments internationaux pertinents. Les personnes lésées auront le droit de recourir aux tribunaux pour qu’ils statuent et fassent appliquer ces droits ». In, Maurice GAILLARD, La démocratie cambodgienne, encadré numéro 30, p. 54.

110.

Il convient de souligner que la plupart des experts qui ont participé à la rédaction de la Constitution de 1993 sont diplômés des universités françaises comme son excellence Sam Rainsy, Say Bory, Heng Vong Bunchat, Keat Chhun, Chem Sangoun, etc.

111.

Maurice GAILLARD, Démocratie Cambodgienne, op.cit, p. 55.

112.

À titre d’illustration, l’article 106 du Code du travail de 1997 relatif à l’égalité de rémunération dispose que « à conditions égales de travail, de qualifications professionnelles, de rendement, le salaire est égal pour tous les travailleurs soumis à la présente loi quelque soit leur origine, leur sexe, et leur âge ». L’interprétation de cet article nous permet de conclure que l’égalité salariale ne s’applique pas non seulement entre les hommes et les femmes, mais elle vise tous les travailleurs.