Section 1. L’égalité de rémunération

Le salaire est un élément essentiel du contrat de travail, le droit du travail s’est constitué en grande partie autour de cette notion de salaire 113 . Ce dernier représente pour le salarié un caractère alimentaire. Il convient de remarquer que le contrat de travail, conformément à l’article 65, alinéa 1 du Code du travail cambodgien, est soumis aux règles du droit commun des contrats, notamment en laissant aux parties la liberté de déterminer le prix qu’elles estiment juste, tout en respectant certaines limites imposées par la loi, chaque salarié ne peut percevoir un salaire inférieur au salaire minimum garanti 114 . En dehors de cette exigence, le salaire peut être librement déterminé entre l’employeur et les salariés qui passent un contrat de travail.

L’application de la théorie de la liberté contractuelle peut provoquer une discrimination salariale entre les salariés restant sous la subordination et sous la direction d’un même employeur lorsqu’ils ont la même expérience professionnelle et la même capacité d’effectuer le travail. Conscient du risque de discrimination exercée par l’employeur, les organisations internationales et le législateur ont adopté certaines mesures afin de lutter contre ces pratiques, les rendant illicites par l’affirmation d’un principe d’égalité de salaire pour un travail égal.

Ce principe est affirmé dans le Traité de Versailles de 1919, incorporé ensuite au Préambule de la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail de 1946 (OIT), puis dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies de 1948. Il convient de savoir que lors de la première Guerre mondiale qui a pris fin en 1919, les Hautes parties contractantes, hors des Accords de paix, ont pensé également aux problèmes du travail en énonçant dans la partie XIII de ce Traité des « méthodes et principes » pour la réglementation des conditions du travail 115 . Ces méthodes et principes ont été considérés comme ayant une importance particulière et urgente. Parmi ceux-ci, on trouve le principe du salaire égal pour un travail de valeur égale sans distinction de sexe 116 . Ce Traité fut repris par le Préambule de la Constitution de l’OIT lors des modifications apportées à cette Constitution. Le principe « à travail égal, salaire égal » fut introduit dans le Préambule. Il faut souligner que le terme travail égal paraît plus étroit que celui de travail de valeur égale. Notons à cet égard que la version anglaise de la Constitution a conservé pour sa part le libellé de 1919, c’est-à-dire work of equal value et que les travaux préparatoires ne font aucunement état d’une volonté quelconque de modifier la portée de cette disposition. Le Préambule dispose en effet que « les Hautes Parties contractantes, mues par des sentiments de justice et d’humanité aussi bien que par le désir d’assurer une paix mondiale durable, et en vue d’atteindre les buts énoncés dans ce préambule, approuvent la présente Constitution de l’Organisation Internationale du Travail ». Il y aurait donc une obligation juridique à la charge des États d’œuvrer en vue d’atteindre les buts énoncés dans le Préambule. Pour apporter des précisions au principe d’égalité de rémunération mentionné dans le Préambule de la Constitution, la Convention n° 100 relative à l’égalité de rémunération entre la main d’œuvre masculine et la main d’œuvre féminine a été adoptée le 29 juin 1951 par la Conférence internationale de l’OIT lors de sa 34ème session dans le but de réduire des inégalités constatées. La Convention consacre expressément le principe d’égalité en matière de rémunération entre les hommes et les femmes avant que ce principe ne soit inscrit dans l’ordre juridique de certains États membres dont les lois nationales n’accordaient pas encore au jour de son adoption une protection nécessaire pour les travailleurs contre les discriminations en matière de rémunération. En outre, le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme énonce aussi le principe de l’égalité de salaire pou un travail égal sans aucune distinction 117 . Cette Déclaration a été ensuite reprise par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) dont l’article 7 énonce le droit de toute personne de jouir des conditions de travail justes et favorables, y compris le droit des femmes à recevoir des salaires égaux pour un travail de valeur égale.

En ce qui concerne l’égalité salariale, l’article 106 du Code du travail cambodgien qui reprend le principe énoncé en droit international n’est pas rédigé de la même manière, le législateur ayant choisi d’interpréter le principe plutôt que de le poser en une seule phrase. En cas de non respect de cet article, la discrimination prévue à l’article 12 du même Code peut être évoquée 118 .

Tant dans les dispositions du droit international que dans le droit national, les deux notions essentielles qui sont les éléments clés de l’application du principe d’égalité de rémunération ne sont pas définies. Que faut-il entendre par le salaire ou par le travail de valeur égale. Ces deux notions méritent une explication doctrinale et jurisprudentielle nécessaire pour déterminer si le principe d’égalité de rémunération est ou non violé. De même, le champ d’application dudit principe ne doit pas non plus être négligé. Nous aborderons ainsi dans un premier temps les éléments constitutifs du principe d’égalité de rémunération affirmées dans les divers instruments juridiques (§1) puis nous nous intéresserons ensuite au champ d’application du principe d’égalité de rémunération (§2) .

Notes
113.

Jean PÉLISSIER, Alain SUPIOT, Antoine JEAMMAUD, Droit du travail, 23ème éd., Dalloz, 2006, p. 1137 et s.

114.

Article 104 du Code du travail cambodgien.

115.

Article 427 du Traité de Versailles.

116.

Article 427 § 7 du Traité de Versailles.

117.

Article 23, alinéas 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

118.

L’article 12 du Code du travail cambodgien dispose que « sous réserve des dispositions expresses du présent Code, ou de tout autre texte de nature législative ou réglementaire protégeant les femmes et les enfants, ainsi que des dispositions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers, aucun employeur ne peut prendre en considération la race, la couleur, le sexe, la croyance, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale, l’origine sociale, l’appartenance à un syndicat de travailleurs ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne, notamment l’embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l’avancement, la promotion, la rémunération, l’octroi d’avantages sociaux, la discipline ou la rupture du contrat de travail ».