A. L’interdiction des discriminations dans les offres d’emploi

Le marché du travail est un lieu de rencontre entre l’offre et la demande de travail. En ce qui concerne l’offre de travail, la loi cambodgienne n’a pas expressément indiqué les limites du pouvoir d’employeur à propos de la liberté de recrutement de ses collaborateurs. Cependant, l’article 12 du Code du travail suffit à interpréter la règle dans le sens de l’interdiction des discriminations en matière d’offre de travail parce que le rédacteur interdit de prendre en compte certains motifs illicites afin d’arrêter les décisions concernant « l’embauchage ». On peut considérer que ce mot englobe toute la procédure, à commencer par la phase de l’offre d’emploi. Le champ d’application de l’article 12 du Code du travail paraît large parce qu’il interdit à l’employeur de prendre en considération certains motifs. Or, le mot « employeur » dans le Code est défini comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée qui emploie un ou plusieurs travailleurs même de façon discontinue 214  ». Ainsi, les dispositions de cet article s’appliquent-elles non seulement aux relations de travail dans le secteur privé, mais également aux emplois dans le secteur public. On note cependant que l’article en question ne précise pas s’il s’applique aussi à l’encontre des représentants de l’employeur ou à d’autres organismes qui participent ou interviennent dans la réalisation d’une telle discrimination. Mais même en l’absence d’une telle précision, le juge pourra, en cas de conflit, élargir l’application dudit article à ces personnes qui représentent et agissent dans l’intérêt de l’employeur par le biais de la délégation de pouvoir.

Il existe, au Cambodge, un bureau de placement et de recrutement des travailleurs au niveau ministériel, provincial ou municipal, et l’employeur est tenu de ce fait de notifier au Bureau de placement du Ministère du chargé du Travail ou au Bureau du Travail de sa province ou municipalité tout emploi vacant dans son entreprise ou tout besoin nouveau de personnel pour l’entreprise 215 . Mais ce mécanisme n’existe que sur le papier, en fait, l’employeur recrute directement les travailleurs sans passer par le Bureau de placement et de recrutement. Cette possibilité est d’ailleurs admise par l’alinéa 3 de l’article 258 du Code du travail 216 . Il nous semble donc que c’est dans ce cas que le problème de la discrimination au regard du droit se trouve le plus souvent posé. Cette situation est sans doute source de discrimination lors de l’embauche. Si l’on appliquait bien la loi du travail, le service de placement et de recrutement pourrait contrôler la diffusion de l’offre d’emploi proposée par l’employeur. Lorsque l’employeur recrute directement les travailleurs, l’offre d’emploi est faite sans être soumise au contrôle de l’agent du travail. Cette offre risque sans doute plus de comporter des motifs discriminatoires que si elle était vérifiée par un organisme public impartial.

Concernant les autres travailleurs tels que les enfants, l’employeur ne peut pas limiter son offre de travail en excluant les enfants qui sont légalement admis à travailler. En effet, l’article 177 du Code du travail cambodgien fixe l’âge minimum à 15 ans pour permettre à un enfant de pouvoir travailler en tant que salarié. Néanmoins, le deuxième alinéa du même article précise également que « l’âge minimum d’admission à tout type d’emploi ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s’exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents est fixé à dix-huit ans… ». Il semble que si l’employeur refuse de prendre en considération des enfants de plus de quinze ans et de moins de dix-huit ans, il doit justifier son refus par la nature du travail ou le danger que représenterait cet emploi pour les enfants de moins de dix-huit ans. Les enfants de moins de dix-huit ans ne peuvent être exclus des travaux légers qui ne portent pas préjudice à leur santé.

Il est à noter qu’il existe également des préférences dans le choix des salariés, par rapport aux étrangers 217 qui habitent et travaillent régulièrement sur le territoire du Royaume du Cambodge parce que l’article 263 du Code du travail cambodgien dispose que « toute entreprise de quelque nature qu’elle soit, tout employeur exerçant une profession libérale, avocat, huissier, notaire, notamment, qui ont besoin de personnel pour travailler dans leurs professions doivent faire appel aux Cambodgiens en priorité ». En outre, si l’emploi occupé par un étranger qui met en concurrence un travailleur national avec un étranger, le Ministère du Travail peut faire en sorte que l’emploi en question soit confié au travailleur national en retirant l’autorisation de travailler au travailleur étranger 218 . Cette exception aux règles de non discrimination énoncées dans l’article 12 du même Code a pour objet de préserver d’abord des emplois dans le pays ainsi que de donner des chances aux travailleurs cambodgiens d’avoir un travail et d’être bien formés ou bien intégrés, en particulier des jeunes diplômés, dans certaines professions libérales pour qu’ils puissent avoir des connaissances tant théoriques que pratiques, éléments importants des ressources humaines dont le Cambodge manque cruellement après une période très noire. C’est dans l’esprit de l’intérêt général du pays que le législateur cambodgien a voulu légitimer et avantager les travailleurs nationaux par rapport aux travailleurs étrangers.

Par ailleurs, le dernier paragraphe de l’article 12 du Code du travail ne condamne pas non plus l’employeur lorsque les distinctions, exclusions ou préférences sont fondées sur les qualifications exigées pour un emploi déterminé. À titre d’illustration, l’employeur ne discrimine pas en raison du sexe lorsque le contrat a pour objet de recruter les mannequins si les mannequins doivent être des femmes. Cette exception est aussi prévue dans l’alinéa 2 de l’article 1er de la Convention n° 111 de l’OIT qui admet des exceptions à la discrimination lorsque les distinctions, les exclusions ou préférences sont fondées sur les qualifications exigées pour un emploi déterminé. Le droit international va encore plus loin en affirmant d’autres exceptions notamment dans l’article 4 de la même Convention qui énonce que « ne sont pas considérées comme des discriminations toutes mesures affectant une personne qui fait individuellement l’objet d’une suspicion légitime de se livrer à une activité préjudiciable à la sécurité de l’État ou dont il est établi qu’elle se livre en fait à cette activité, pour autant que ladite personne ait le droit de recourir à une instance compétente établie suivant la pratique nationale ».

Contrairement au droit cambodgien, le Code du travail français vise expressément les offres d’emploi dans son article L.123-1 § 1 a) relatif à l’offre d’emploi en énonçant que « nul ne peut mentionner ou faire mentionner dans une offre d’emploi, quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé, ou dans toute autre forme de publicité relative à une embauche, le sexe ou la situation de famille du candidat recherché ». Les dispositions de cet article s’adressent non seulement aux employeurs qui ont pris l’initiative de l’embauche, mais aussi aux annonceurs qui rédigent et diffusent les offres d’emplois, c’est-à-dire toutes les personnes physique ou morale, publique ou privée. Le domaine d’application de l’article L.123-1 du Code du travail français est plus large quant aux personnes concernées que celui de l’article 416, alinéa 3 du Code pénal qui sanctionne uniquement l’employeur ou son représentant, coupable de discrimination au moment de l’embauchage.

Cependant, la plupart du temps, le recrutement passe par la sélection de CV avant même d’arriver à l’étape d’entretien. L’employeur ou son représentant peut écarter un candidat dès la sélection du dossier. L’employeur qui ne veut pas embaucher de femmes, de personnes âgées, de handicapés, de nationaux ou d’étrangers, peut simplement ne pas répondre ou répondre négativement sans autre argumentation.

Notes
214.

Article 2 du Code du travail cambodgien.

215.

Article 258, alinéa 2 du Code du travail cambodgien.

216.

L’alinéa 3 de l’article 258 est ainsi rédigé : « Tout employeur peut recruter directement les travailleurs pour son entreprise mais il doit remplir les formalités mentionnées à l’article 21 du présent Code ».

217.

Bien que le Cambodge ne soit pas un pays visé par le flux migratoire, le Gouvernement a fait preuve d’une volonté à s’engager pour se procurer le respect des Droits de l’Homme conformément à l’esprit de la Constitution de 1993 qui s’inspire elle-même des droits fondamentaux des Nations-Unies, en faisant partie des pays signataires de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990). Celle-ci a été acceptée par le Gouvernement cambodgien le 27 septembre 2004. D’ailleurs, les étrangers au Cambodge peuvent particulièrement bénéficier également de la protection de leur droit dans la Déclaration et dans la Convention internationale relatives à l’élimination de toute forme de la discrimination raciale (1963 et 1965) dont l’article 1er de la Déclaration dispose que « la discrimination entre les êtres humains pour les motifs de race, de couleur ,ou d’origine ethnique est une offense de la dignité humaine et doit être condamnée comme un désaveu aux principes de la Charte des Nations Unies, comme une violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclamés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ».

218.

L’article 262 § 1 b) du Code du travail cambodgien dispose que « le Ministère chargé du Travail peut retirer la carte de travail dans le cas où l’emploi à prolonger occupé par le titulaire de la carte de travail dans le Royaume du Cambodge fait l’objet d’une concurrence entre celui-ci et les travailleurs cambodgiens à la recherche du travail dans le pays. Ce retrait s’effectue à l’expiration de la carte de travail délivrée ou prolongée en faveur de cet étranger ».