B. L’interdiction des discriminations lors de la procédure d’embauche

En ce qui concerne l’entretien d’embauche, la loi doit protéger aussi les travailleurs, qui cherchent des emplois contre le pouvoir discrétionnaire ou arbitraire de l’employeur qui se manifeste dans les questionnaires ou les procédés auxquels sont soumis les candidats à l’embauche. Il y a, en droit français, des informations que l’employeur ne peut pas exiger du salarié lorsque celles-ci n’ont rien à voir avec l’emploi proposé 219 . Quelles sont alors les informations qui sont susceptibles d’être demandées ? De manière générale, les renseignements exigés d’un candidat ne devraient porter que sur ce qui peut permettre à l’employeur d’évaluer les qualités professionnelles du candidat à l’embauche. Il s’agit généralement des diplômes, des attestations concernant des expériences professionnelles, etc. L’employeur ne peut pas non plus interroger le candidat à l’embauche sur sa vie personnelle 220 . L’interdiction semble être claire, mais la signification du terme vie personnelle paraît encore difficile à cerner.

Le salarié dispose t-il d’un droit de mentir sur les informations demandées par l’employeur lors de son entretien d’embauche ? S’agit-il dans ce cas d’un dol ou d’une erreur sur la personne ? L’employeur peut-il, en cas de conflit, invoquer un vice de consentement à l’encontre du salarié lors d’une fausse déclaration, ou lors d’une dissimulation des informations qui le concernent ? A priori, l’employeur peut évoquer cet argument pour refuser un candidat à un emploi lorsque cet employeur invoque un dol dont il a été victime. Mais il faut également bien comprendre que le droit du travail présente une caractéristique particulière 221 , l’intuitu personae ne disparaît pas, mais ne peut être retenu contre le salarié dès lors que les informations recherchées n’ont pas un rapport direct avec l’emploi sollicité 222 . Les omissions et inexactitudes des informations du salarié ne sont constitutives de faute justifiant son licenciement ou le refus par l’employeur de le recruter que si elles portent sur un élément déterminant pour la conclusion du contrat de travail 223 . Donc, l’erreur ne constitue pas un vice du consentement lorsqu’elle est inexcusable 224 .

Le droit français protège expressément la maternité des femmes par l’article L.122-25 du Code du travail qui énonce que « l’employeur ne doit pas prendre en considération l’état de grossesse d’une femme pour refuser de l’embaucher, résilier son contrat de travail au cours d’une période d’essai (…). Il lui est en conséquence interdit de rechercher ou de faire rechercher toutes informations concernant l’état de grossesse de l’intéressée. La femme candidate à un emploi ou salarié n’est pas tenue (…) de révéler son état de grossesse ». La discrimination à l’embauche des candidats syndiqués est également une question très sensible dans le droit du travail. L’article L.412-2 du Code du travail français interdit à tout employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou à l’exercice d’une activité syndicale pour refuser un candidat ou une candidate. Ainsi, dans un arrêt rendu le 13 mai 1969, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, celle-ci a-t-elle clairement affirmé que l’employeur ne peut pas, lors d’un entretien d’embauche, poser une question sur l’affiliation syndicale, cette question implique en elle-même, selon la Cour, la prise en considération de l’appartenance syndicale 225 . Tel est pareillement le cas pour le droit communautaire selon lequel la Directive du 9 février 1976 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes interdit à l’employeur de pratiquer la discrimination envers les femmes en matière d’embauchage. Dans un arrêt du 8 novembre 1990, la Cour de Justice des Communautés Européennes a condamné pour violation de la Directive de 1976 l’employeur qui refuse d’embaucher une candidate qu’il avait jugée apte alors qu’elle est enceinte au motif que son congé de maternité présentera pour lui des conséquences dommageables, peu important, en la circonstance, qu’aucun candidat masculin ne se soit présenté pour le poste à pourvoir 226 .

En droit cambodgien, l’employeur, lors d’un entretien, ne peut pas non plus chercher à savoir si une femme est en état de grossesse ou non parce que la féminité ne doit pas constituer un obstacle pour les femmes qui cherchent un emploi. Si tel était le cas, l’article 45 de la Constitution de 1993 serait sans efficacité car l’alinéa 1er de cet article affirme que toute discrimination à l’égard des femmes doit être supprimée, et selon l’alinéa 3 du même article, les femmes sont égales aux hommes dans tous les domaines. D’ailleurs, l’employeur ne peut pas non plus poser des questions relatives à l’appartenance ou non d’un candidat à un syndicat. Le droit syndical est un droit ayant valeur constitutionnelle 227 , l’employeur ne peut pas refuser un candidat à un emploi à cause de l’exercice de ce droit 228 . De même, l’état de santé du salarié ne doit pas faire l’objet d’une interrogation de la part de l’employeur. Il n’y a que le médecin du travail, lorsque la candidature d’un salarié a été retenue après l’entretien d’embauche, qui peut constater l’aptitude ou l’inaptitude du salarié. Il est également à noter que le médecin du travail est tenu par une obligation de secret médical. Lors de la visite d’embauche, il ne peut pas communiquer à l’employeur les informations concernant l’état de santé du salarié 229 . Il ne peut que donner des avis sur l’aptitude ou l’inaptitude du salarié. S’il n’y a pas avis du médecin du travail, l’employeur ne peut pas le refuser.

Compte tenu de la pauvreté de la population et du manque de moyens et d’efficacité du contrôle de l’application des dispositions de la loi du travail, qui pourrait croire que les employeur cambodgiens respectent scrupuleusement les règles de non discrimination et n’abusent pas de leur pouvoir lors du recrutement des salariés ? Il est de plus très difficile de rechercher les preuves contre l’employeur, et à ce stade de l’embauche, personne ne dépose encore de plainte pour discrimination. Mais, le juge pourrait cependant, en cas de conflit, appliquer les dispositions de l’article 12 du Code du travail en les interprétant dans le sens d’une protection des travailleurs. Le juge pourrait également évoquer les dispositions du Code civil relatives à la protection des droits de la personne surtout en ce qui concerne la vie privée.

Lorsque le salarié est embauché, la loi du travail le protège contre toute discrimination dans l’exécution de son contrat. L’employeur, conformément à l’article 12 du Code du travail, ne doit pas prendre en considération certains critères pour désavantager un salarié par rapport à ses collègues.

Notes
219.

Les renseignements demandés par l’employeur lors de l’embauche doivent avoir pour seul but d’apprécier les qualités professionnelles du candidat et présenter en conséquence un lien direct et nécessaire avec l’emploi auquel il postule. In, Donat GUILLON, L’égalité entre les femmes et les hommes en droit français et communautaire, thèse, op.cit., p. 135.

220.

Sur cette question, voir : Chantal MATHIEU, La vie personnelle du salarié, thèse Lyon 2, 2004.

221.

Pierre VERGE et Guylaine VALLEE, Un droit du travail ? Essai sur la spécificité du droit du travail, éd., Yvon Blais Inc., 1997.

222.

Cass. soc. 17 octobre 1973, Fives-Lille-Caille, J.C.P1974, II, Jurisp.,17698, note Y.Saint-Jours ; Dr. Soc. 1974, p. 290. L’employeur avait licencié un salarié en invoquant l’erreur dont il avait été victime, à savoir la dissimulation par le salarié, lors de son embauche, de son état de prêtre.

223.

Donat GUILLON, thèse, op.cit., p. 135.

224.

François TERRÉ, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE, Droit civil, les obligations, éd., Dalloz, 2002, p. 225 et s.

225.

Cass. soc. D. 1969. 528, note J. Savatier.

226.

CJCE 8 novembre 1990, RJS 1991. 58, n° 108.

227.

L’article 36, alinéa 5 de la Constitution de 1993 dispose que « les citoyens khmers des deux sexes ont le droit de créer des syndicats et d’en être membre ».

228.

L’article 279 du Code du travail énonce ainsi qu’« il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale, pour arrêter ses décisions en ce qui concerne l’embauchage… ». 

229.

L’article 239, alinéa 2 énonce que « les dossiers médicaux ramassés par le personnel médical du travail sont confidentiels et les informations de ces dossiers ne peuvent pas être fournies à l’employeur, ni au syndicat ni à une troisième personne quelconque d’une manière qui tendrait à identifier l’employé… ».