B. Difficultés liées à l’application et au contrôle des normes nationales

Le non-respect de la loi est souvent déploré dans les pays développés, mais ce phénomène touche plus particulièrement les pays en voie de développent ou sous développés. Les problèmes liés au respect de l’application de la loi sont particulièrement aigus dans l’économie informelle. En outre, l’application de la loi du travail ainsi que son contrôle par les autorités administratives et judiciaires se heurte non seulement à des contraintes financières, techniques, mais aussi mentales. Les praticiens eux-mêmes ne cachent pas leur insatisfaction en cette matière : « des procureurs sans moyens pour diligenter des enquêtes ou qui poursuivent sans preuves, des juges menacés ou corrompus, des procédures demandées par la justice que la police refuse d’exécuter, des verdicts qui restent lettre morte, tel est le tableau connu et peu reluisant dressé par le nouveau bâtonnier de l’Ordre des avocats, Monsieur Ang Eng Thong » 494 . La situation ainsi dénoncée reste malheureusement toujours d'actualité.

Les causes ne sont pas difficiles à chercher parce que si l’on regarde attentivement la dépense nationale dans ce domaine, on comprend que la faiblesse de l’institution judiciaire tient également au budget très modeste dont bénéficie le Ministère de la Justice. Comme on constate que « face à une constitution légitimement ambitieuse, la réalité politique est quelque peu décalée. En effet, le premier budget adopté, pour 1994, par l’Assemblée nationale augure mal des moyens mis au service de la justice puisque, malgré l’ampleur des besoins, son montant ne représente que 0,1% de la masse budgétaire totale » 495 . Bien que le Gouvernement accorde actuellement une place importante à la réforme juridique et judiciaire, on voit que le budget du Ministère de la Justice reste encore modeste ne dépassant même pas la base de 1% du budget total 496 , ne permettant pas encore de résoudre les principaux problèmes comme les salaires, les formations des fonctionnaires, des matériels pour accomplir le travail. Ces obstacles ont une influence plus ou moins directe sur les relations du travail au Cambodge.

Les inspecteurs et les contrôleurs du travail rencontrent quant à eux souvent des difficultés lorsque la relation de travail est déguisée ou ambiguë parce qu’ils manquent de formations adéquates pour bien contrôler et bien appliquer la loi du travail. À cause du salaire très bas et du problème de financement insuffisant pour le Ministère du Travail, les agents manquent également de moyens matériels, notamment des motos pour se déplacer d’un endroit à l’autre, ce qui handicap surtout les inspecteurs dans les provinces. D’ailleurs, ces agents, à cause de la corruption pratiquée dans tous les domaines, ont été souvent méprisés ou harcelés mentalement par des patrons indélicats parce que ceux-ci, en cas de conflits avec les agents de l’État, peuvent recourir directement aux fonctionnaires de haut niveau. Parfois, la sanction peut être à l’encontre de celui ou ceux (des petits fonctionnaires) qui exercent bien leur fonction selon la loi. La plupart de ces agents vont finalement céder à l’employeur par l’acceptation de sommes illicites à titre de récompense contre la non déclaration de la situation exacte de mauvais traitement des salariés par exemple. C’est la pauvreté qui l’emporte sur l’application correcte de la loi du travail au Cambodge.

En matière des droits, tous les travailleurs ont la possibilité de recourir aux tribunaux pour des litiges nés de la relation du travail. Pourtant, il est des pays où les obstacles pratiques à cet accès sont de taille, et rares sont les travailleurs qui peuvent se permettre d’entamer des poursuites longues, coûteuses et à l’issue incertaine. On ne sait pas s’il s’agit d’un contrat de travail, civil ou commercial. Les travailleurs qui ont subis des discriminations ou simplement ceux qui ne peuvent accéder à la protection de la loi du travail n’ont pas les moyens de se défendre. Le Code du travail permet aux travailleurs de recourir, en cas de conflit collectif, au Conseil d’arbitrage ou de porter plainte devant le tribunal. Cependant, ce phénomène se vérifie seulement dans le secteur textile, de l'hôtellerie ou du tourisme. Un travailleur à la campagne n’est pas exclu du droit, mais on ne voit pas comment dans une relation de travail telle qu’elle se déroule dans le secteur agricole, le travailleur pourrait réclamer le respect de ses droits. L’impératif premier est de satisfaire les besoins essentiels et de trouver l’équilibre dans la vie.

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Le problème de l’exigence de la loi face à l’économie reste très préoccupant pour le Cambodge. La faiblesse relative à l’application de la loi dans ce pays est liée aux difficultés de mise en œuvre d'un droit en apparence très exigeant, mais dont le respect n'est pas assuré par les contrôles internationaux ou nationaux. Les uns manquant de forces contraignantes, les autres de moyens financiers et humains. Cette situation encourage le développement d'un secteur informel qui échappe presque totalement à la réglementation du travail et nécessite un traitement législatif approprié.

Notes
494.

MARK Sarun, Justice. Pour le bâtonnier de l’Ordre des avocats, la dépendance de la justice, problème numéro 1, le journal CAMBODGE SOIR, Édition du 8 décembre 1998, p. 8.

495.

Maurice GAILLARD, La démocratie cambodgienne, op.cit., p. 129, encadré n° 68.

496.

La part de la Justice dans le budget courant a été de l’ordre de 0,7%, elle passe, de 0,2% en 1999 et devrait continuer sa progression pour atteindre 1% du budget en 2006. In, HANG Chuon Naron, L’économie du Cambodge : La lutte pour le développement, op.cit., p. 350.