A. La lutte contre la pauvreté et la corruption

Depuis l’Afrique jusqu’en Asie, du Nord au Sud, la misère persiste largement à travers le monde. Près de la moitié des 2,8 milliards de travailleurs que compte la planète sont dans l’incapacité de gagner suffisamment pour se hisser, eux et leur famille, au-dessus du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour et par personne. Comment faire pour en venir au bout ? « Les gens ne demandent pas des miracles, mais des emplois décents », dit Juan SOMAVIA 499 . Cette remarque est très juste parce qu’il n’y a que le travail qui permette aux gens de sortir de l'impasse de la pauvreté.

Le Gouvernement cambodgien considère que la croissance économique est un facteur essentiel pour lutter efficacement contre la pauvreté, et que sa portée dépend étroitement du niveau de développement du secteur privé, dont l’épanouissement nécessite des efforts soutenus d’amélioration du système de gouvernance 500 . La stratégie du Gouvernement pour lutter contre la pauvreté est inscrite dans le Plan de Développement Socio-économique (PDSE) et comporte trois composantes principales, à savoir la réalisation d’une croissance économique durable de l’ordre de 6 à 7% en moyenne annuelle, l’assurance d’une distribution équitable des fruits de la croissance entre les différentes couches de la population, entre les zones urbaines et rurales, et entre les deux sexes, ainsi que la gestion et l'utilisation des ressources naturelles de façon durable, de manière à préserver l’environnement.

Pour cela, la création de l’emploi dans les secteurs privés et dans les zones rurales en particulier est vivement encouragée parce que la pauvreté ne peut être réduite ou supprimée si la majorité de la population du pays est au chômage. La priorité du Gouvernement cambodgien pour ce troisième mandat, concernant le domaine de l’emploi est « la création d’emplois pour tous les Cambodgiens et en particulier pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, par des mesures qui encouragent les investissements locaux et les investissements étrangers directs dans les secteurs prioritaires, en particulier, l’agriculture, l’industrie, agroalimentaire, les industries à forte valeur ajoutée et le tourisme » 501 . L’emploi de type informel est un moyen de contrer le chômage dans les pays pauvres comme le Cambodge aujourd’hui où le problème de l’accès à l’emploi de type formel reste difficile pour les populations défavorisées comme les handicapés, les anciens combattants et leurs familles.

La volonté politique du Gouvernement, avec le soutien financier des organisations internationales comme l’ONU, l’OIT, et les prêts accordés par la Banque Mondiale, la Banque Asiatique du Développement, etc., permettent au gouvernement d'améliorer, en collaboration avec des Organisations Non Gouvernementales déjà sur place, le développement social et économique notamment en favorisant la création de travail décent pour les populations vivant à la campagne. Le Gouvernement cambodgien, avec l’aide des Nations Unies, des aides de la communauté internationale et de certains prêts sans intérêt ou avec un taux réduit, a pu mettre en place des programmes de soutien à la population très pauvre, particulièrement des femmes, en leur permettant de recourir aux crédits afin de créer des petites entreprises familiales. L’ouverture du crédit avec un faible taux d’intérêt tend à s’élargir. En plus, le développement des communautés rurales nécessite une prestation de formation professionnelle sur place, ce qui permettrait aux habitants locaux de participer efficacement et de contribuer au développement des petites entreprises dans le milieu rural, favorisant ainsi le développement du secteur agricole. Le Ministère du Développement Rural a ouvert des centres régionaux de formations se situant dans plusieurs provinces pauvres du pays. En parallèle, une collaboration étroite avec des bailleurs de fonds permet à ces populations rurales, grâces aux formations qu’elles ont acquises, d’avoir la capacité de gérer des petites entreprises et de créer des emplois locaux 502 .

En tout état de cause, la réduction de la pauvreté est un objectif primordial pour le Gouvernement cambodgien parce que l’article 61 de la Constitution du 24 septembre 1993 énonce que « l’État encourage le développement économique dans tous les domaines en particulier l’agriculture, l’artisanat, l’industrie en partant des zones lointaines, et en tenant compte de la politique d’irrigation, d’électrification, de transport, des techniques modernes et du système de crédit ». Cet article crée une obligation de moyen à la charge de l’État qui doit en conséquences prendre les mesures nécessaires pour faire avancer l’économie du pays et réduire ainsi la pauvreté des populations dans des zones rurales. Cependant, cette politique ne doit pas non plus ignorer les droits fondamentaux des travailleurs, reconnus par la Constitution et les conventions internationales, c’est-à-dire qu’elle doit s’accompagner également de mesures propres à lutter contre la discrimination et à promouvoir l’égalité des travailleurs dans l’accès à l’emploi ainsi que lors de l'exécution du travail, surtout de celui des femmes et des enfants.

La réduction de la pauvreté contribue également à rendre effectives les dispositions de la loi du travail parce que si la population peut vivre aisément, les travailleurs sont moins préoccupés par leur survie et s'intéressent au respect et à la défense de leurs droits fondamentaux au travail. Cependant, l’état du Cambodge actuel ne permet pas de lutter efficacement contre la violation des normes juridiques, et pour la défense des droits des travailleurs tant que le Gouvernement ne prendra pas des mesures rigoureuses pour lutter contre la corruption.

La corruption qui sévit dans de nombreux pays en développement donne lieu à des études tendant à la définir, et à déterminer sa cause. La corruption peut être définie comme l’abus des charges publiques à des fins personnelles ou au profit de quelqu’un ou d’un groupe à qui on doit allégeance. Il y a corruption lorsqu’un fonctionnaire public accepte, sollicite ou extorque de l’argent, ou lorsqu’un intervenant du secteur privé propose de verser un montant en échange d’une promesse de contourner la loi pour son avantage personnel ou pour améliorer la position concurrentielle d’une société. La corruption est un jeu qui se joue à deux entre un secteur public et un secteur privé, ou entre un « donneur » et un « preneur », qui s’engagent dans une action illégale, illégitime et contraire à l’éthique 503 . L’une des clés pour connaître le phénomène de la corruption au Cambodge réside dans l’histoire récente du pays liée à la guerre, aux changements successifs de dirigeants, à l’économie ainsi qu’au modèle de société au cours du siècle dernier. Pays prospère dans les années soixante, le Cambodge a sombré dans la pauvreté au cours des années soixante dix. Les salaires des fonctionnaires sont très bas et ne peuvent pas leur permettre de mener une vie normale, ce qui explique en partie la corruption, du moins au niveau des petits fonctionnaires. Tout cela additionné à l'absence de lois anti-corruption comme de loi pénale, permet facilement aux juges ainsi qu’aux autres fonctionnaires de l’État de pratiquer la corruption sans craindre aucune punition 504 .

À l’heure actuelle, le Gouvernement royal a mis en place des programmes et des stratégies de lutte contre la pratique de la corruption. Il promet l’adoption prochaine d’une loi anti-corruption et veut créer un organe indépendant dédié à la surveillance du respect de cette loi 505 . Afin d’atteindre cet objectif, un projet de loi anti-corruption a été présenté par le Ministère des relations avec l’Assemblée et le Sénat et l’Inspection 506 . Ce projet est à l’heure actuelle sur le bureau du Conseil des Ministres. Il sera ensuite renvoyé à l’Assemblée nationale afin d’obtenir un vote favorable des députés. L’adoption de ce projet est indispensable et servira à tous les développements surtout dans le domaine économique parce qu’elle encouragera les investisseurs de bonne foi tant nationaux qu’étrangers qui hésitent et ont très peur de la corruption pratiquée dans le pays 507 . Le projet de loi exige la coopération entre tous les ministères concernés 508 . En attendant l’adoption de la loi anti-corruption, des mesures comme la mise en place des « boîtes noires » dans des lieux publics pour recevoir anonymement des plaintes et des opinions des diverses populations du pays, ont été mises en place par des Organisations Non Gouvernementales. Ces boîtes leur servent de renseignements complémentaires pour faire pression sur les institutions concernées ou servent d’information pour le Gouvernement et les juges dans la recherche des auteurs de corruption.

Il semble que l’un des meilleurs moyens de lutte contre la corruption dans l’application des dispositions de la loi dans le domaine du travail comme dans n’importe quel autre domaine soit l’augmentation des salaires des fonctionnaires et des juges pour qu’ils puissent vivre dans de bonnes conditions. Du côté des investisseurs, l’adoption de la loi de lutte contre la corruption encourage ceux-ci non seulement à investir au Cambodge mais aussi à améliorer les conditions du travail des travailleurs cambodgiens, et à augmenter les salaires, entre autres.

Dans ce contexte de lutte contre la corruption, il paraît indispensable que le Gouvernement cambodgien fasse une réforme juridique et judiciaire pour consolider le processus démocratique, le respect des droits des travailleurs et le développement économique durable. La réforme juridique constitue d'ailleurs la priorité du programme politique du Gouvernement actuel. Cependant, contrairement à la réforme judiciaire, la réforme juridique n’a pas encore vu le jour. À titre d’illustration, les dispositions du Code du travail actuel n’ont pas été réexaminées pour adapter la règlementation au marché du travail dans le pays. C’est la raison pour laquelle il ne sera question ici que de la réforme judiciaire en cours.

Notes
499.

Juan SOMAVIA, S’affranchir ensemble de la pauvreté par le travail, Le magasine « Travail » de l’OIT, n° 58, décembre 2006, p. 3.

500.

SUM Map, Marché du travail et emploi au Cambodge : Contraintes à court terme et Enjeux à long terme, thèse Lyon 2, p. 230.

501.

HANG Chuon Naron, L’économie du Cambodge : La lutte pour le développement, op.cit., p. 85.

502.

Cambodian Rehabilitation and Development Board (CRDB) et Council for the Development for Cambodia (CDC), D’autres priorités trans-sectorielles, (le développement rural), voir : www.cdc-crdb.gov.kh ; À propos de la promotion du développement agricole, voir également HANG Chuon Naron, L’économie du Cambodge : La lutte pour le développement, op.cit., p. 134 et s.

503.

Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption (GOPAC), Rapport sur la corruption au Cambodge, p. 1. Voir : http://www.gopacnetwork.org/chapters/SEAPAC_chapter_fr.htm

504.

Michael M.CALAVAN, Sergio DIA BRIQUETS, Gerald O’BRIEN, Cambodian corruption assessment, USAID/Cambodia, May-June 2004, p. 1 et s.

505.

HUN Sen, “Rectangular Stragegy” for Growth, Employment, Equity and Efficiency, op.cit., p. 12 et s.

506.

Ce projet de loi a été préparé depuis l’an 2000 contenant huit chapitres avec trente-deux articles. Cette loi s’applique à toutes les personnes qui sont impliquées de manière active ou inactive dans la corruption (article 2 du projet de loi). Quant à l’article 3 de ce projet de loi, il définit la corruption comme l’utilisation d’un pouvoir, de fonction, de l’influence contraire à la loi ou aux règlements dans le but de chercher l’intérêt individuel ou d’un groupe par le fait de donner un avantage indu à quelqu’un ou d’en recevoir.

507.

Sylvaine PASQUIER, Investissements étrangers au Cambodge, corruption assurée, journal L’EXPRESS du 05 septembre 2005.

508.

Article 29 du projet de loi anti-corruption.