§2. La pression internationale

Le secteur industriel textile et de l’habillement est un secteur moderne qui se caractérise par de bonnes conditions de travail. L’accord bilatéral sur le textile conclu entre le Cambodge et les États-Unis qui a lié l’augmentation des quotas d’importations américains au respect des normes du travail a porté ses fruits. Des quotas supplémentaires (en sus des 6 % accordés annuellement) sont ainsi octroyés si l’expertise réalisée régulièrement par l’OIT conclut à une amélioration des conditions de travail dans la plupart des entreprises textiles où une enquête a été menée. Les inspections conduites par l’OIT sont réalisées dans le cadre d’un projet financé par les gouvernements américain et cambodgien (2 millions dedollars sur trois ans, puis 1,5 millions de dollars sur deuxans, jusqu’à fin 2004). Elles ont bénéficié de la coopération duGMAC 562 . Le programme financé par les États-Unis et le Gouvernement cambodgien pour veiller au respect des normes fondamentales du travail a d’abord été perçu comme une contrainte par les industriels installés au Cambodge, mais se révèle être aujourd’hui un atout pour le secteur. Les conditions de travail sont en constante amélioration et, en regard, les donneurs d’ordre semblent de plus en plus intéressés par l’obtention de garanties dans ce domaine, qu’ils sont prêts à financer (à quel prix ?). En effet, les conditions de travail constituent désormais une caractéristique à part entière du produit vendu, valorisée par le consommateur.

Au final, le rapporteur de l’OIT constate que le Cambodge est l'un des rares pays en voie de développement (PED) à avoir ratifié l'ensemble des conventions de base de l'OIT relatives au travail forcé, à la liberté d'association, au droit à la négociation collective, à l'égalité des rémunérations, au travail des enfants et au salaire minimum. Dix fédérations syndicales sont actives dans le secteur textile, certaines étant liées au pouvoir ou à l'opposition. Selon l’OIT, l'indépendance et la compétence des syndicats progressent. Les premiers rapports ainsi que les plus récents ont confirmé qu’aucun enfant ne travaillait dans les entreprises de confection et qu’on ne constatait pas de harcèlement sexuel ni de travail forcé malgré une contrainte relative aux heures supplémentaires. De manière générale, les conditions de travail dans les trente-quatre entreprises enquêtées par les agences de l’OIT sont satisfaisantes. Les salaires distribués sont plus élevés qu’ailleurs dans l’économie. Les conditions de sécurité sont bonnes (gants pour la coupe, masques, etc.), de même que les conditions de confort (par exemple, les repasseuses travaillent sous des ventilateurs). Des congés de maternité de trois mois sont accordés ainsi que des horaires aménagés pour les femmes enceintes. Des infirmeries et des crèches sont créées dans certaines usines (les crèches restent cependant vides car les enfants ne suivent pas leurs mères en ville).

À côté de ces aspects positifs, certains points noirs demeurent, comme l’obligation d’assurer des heures supplémentaires quand l’entreprise le demande ou une discrimination anti-syndicale 563 . L'assassinat récent d'un dirigeant syndical 564 proche du Parti de Sam Rainsy (parti d’opposition) est toutefois un mauvais signal, même si l'on ne peut savoir s'il est directement lié à des questions syndicales. Avec des pressions de la part des Organisations et de la communauté internationale sur le Gouvernement cambodgien afin que celui-ci fasse une enquête très sérieuse, il a eu récemment jugement et condamnation, même si beaucoup pensent que ce ne sont pas les vrais meurtriers qui ont été condamnés.

Il faut souligner aussi qu’afin d’œuvrer un peu plus au respect des lois du travail, les organisations internationales, les sociétés civiles ainsi que la presse ont mis en place un système de pression sur les entreprises pour qu’elles assument, outre leur fonction de production et de commercialisation, leur responsabilité en terme de protection de la main d’œuvre et du respect de l’environnement. Le mécanisme consiste à favoriser les entreprises qui améliorent les conditions du travail. Leurs produits sont liés aux labels d’éthique dont les grands groupes comme Nike, Gap, Adidas (…) se préoccupent beaucoup, par exemple, des questions sociales en raison du risque d’image auprès des consommateurs. D’ailleurs, le Cambodge, après le retrait des quotas à la fin de 2005, a pu obtenir des pays développés des conditions d’exportation favorables à condition de s’engager à respecter les normes du travail. Lors d’une affaire qui a opposé l’Inde à l’Union Européenne à propos du GSP européen 565 , « l’Organe d’appel » a affirmé que les systèmes de préférences tarifaires pouvaient prendre en compte les besoins spécifiques des pays en voie de développement et opérer des différences de traitement en appliquant des critères clairs et objectifs. Cette décision est très importante parce qu’elle peut permettre d’accorder des préférences spécifiques aux pays qui respectent les normes internationales du travail. C’est un moyen d’encourager les bonnes pratiques et de consolider les mécanismes incitatifs. Or, le Royaume du Cambodge est l’un des pays en voie de développement qui a le courage de s’engager résolument à adopter et à faire appliquer ces normes. De ce fait, si ce pays continue à faire preuve de son engagement en ce domaine, il pourrait bénéficier des avantages du GSP notamment de l’Union Européenne. Ce mécanisme constitue un moyen indirect de pression internationale sur les entreprises pour que les lois du travail soient respectées. Cela concerne surtout les grandes marques qui ont des filiales dans des pays en développement.

Après la fin de la guerre, à partir de 1991, le Cambodge a reçu des aides des pays développés notamment de l’Union Européenne ainsi que des États-Unis. Les donateurs ont un rôle éminent à jouer pour garantir la mise en œuvre de la loi et de la réforme par le Gouvernement cambodgien. Les acteurs sociaux, en particulier les syndicats, peuvent également exercer une pression indirecte sur le Gouvernement en demandant aux pays donateurs de veiller au respect de la loi par le Gouvernement du Cambodge en conditionnant leur aide financière 566 .

Les organisations internationales comme l’OIT et les Nations Unies peuvent donc jouer un très grand rôle dans la mise en œuvre de la loi du travail au Cambodge. Certes, il n’existe pas de véritable sanction économique ou militaire relativement au contrôle des normes adoptées dans le cadre de ces organes. Mais la stratégie de pression peut être directe ou indirecte, à savoir, la publication des rapports en citant directement le nom du pays qui ne respecte pas ou qui ne coopère pas. Le risque d’image sur la scène internationale peut faire peur aux gouvernements des pays bénéficiant des aides ou des accords internationaux plus favorables. Ce mécanisme de citation directe dans une conférence internationale ou la publication des rapports sur les conditions d’application de la loi du travail constitue un moyen beaucoup plus efficace que des sanctions au sens propre du terme.

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De nombreux pays étrangers et organisations internationales apportent une contribution importante à la construction du Cambodge dans tous les domaines, sans laquelle ce pays ne pourrait pas sortir de la misère. Un exemple patent est donné par le domaine juridique et judiciaire dans lequel les organisations internationales, plus particulièrement l’OIT, en collaboration avec la communauté internationale, contribuent à veiller au respect des droits des travailleurs et à apporter les formations nécessaires tant pour les travailleurs ou les employeurs que pour les juges et les fonctionnaires de l’État chargés de la bonne application de la loi du travail. Si l’amélioration des conditions de travail et le respect des dispositions de la loi peuvent permettre de réaliser une certaine effectivité dans son application, c’est en grande partie grâce à des soutiens et des pressions extérieurs.

Notes
562.

Le GMAC (Garment Manufacturers Association of Cambodia) syndicat patronal des entreprises de confection cambodgiennes. Sa fonction principale consiste à fournir un appui aux entreprises du secteur (connaissance du marché, suivi des réglementations, foires et salons, portail Internet, etc.). Son rôle est également politique, de négociation (lobbying) avec l’État : prise de conscience par l’État des obstacles à la compétitivité du secteur, pouvoir de conviction pour que l’État défende les intérêts du secteur dans les négociations internationales, etc. Il joue également un rôle à la fois politique et commercial de négociation avec les partenaires de la sous-région, crucial dans un contexte où la division régionale du travail peut sauver le textile cambodgien. Par ailleurs, une alliance régionale (dans le cadre de l’ASEAN probablement) permettrait de disposer, dans les négociations commerciales internationales, d’un pouvoir de négociation sans commune mesure. Enfin, il joue un rôle “technique” d’appui au système de formation professionnelle dans le textile/confection (par exemple, le GMAC cherche désormais à former des contremaîtres qui se substitueront à l’encadrement chinois) et devrait contribuer à améliorer la politique du Gouvernement en la matière, sur la base d’un partenariat public-privé.

563.

Olivier CATTANEO et Sarah MANIESSE, Le Cambodge, De l’ère des quotas textiles au libre-échange, collection Agence Française de développement, 2004, p. 42 et s.

564.

CHEA Vichea, l’ancien dirigeant du syndicat libre des travailleurs a été assassiné le 22 janvier 2004 dans une rue très passante de Phnom Penh.

565.

Olivier CATTANEO et Sarah MANIESSE, Le Cambodge, De l’ère des quotas textiles au libre-échange, op.cit., p. 78 et s.

566.

Raghwan RAGHWAN, Uncomfortable but taking part – Cambodia’s unions and the PRSP, art.préc., p. 53.