Conclusion générale

Après avoir étudié la question de l’égalité dans les relations du travail au Cambodge, nous pouvons conclure que le Cambodge a besoin de retrouver ses repères non seulement dans l’organisation et le fonctionnement de l’appareil étatique, mais aussi dans la restauration de l’économie du pays. Ce pays est actuellement en pleine reconstruction tant au niveau économique qu’au niveau juridique. Ces deux aspects sont indissociables lorsque l’on s’intéresse au droit social. On sait que le développement d’un pays ne peut se faire au détriment des travailleurs parce qu’ils sont indispensables à la restauration de l’économie et à l’avenir du pays. C’est dans cet esprit que le législateur et le Gouvernement cambodgiens entendent concilier le développement économique et le respect les droits des travailleurs proclamés par la Constitution et réglementés par le Code du travail et d’autres normes tant internationales que nationales.

Au niveau juridique, le Cambodge, en adoptant un régime démocratique libéral pluraliste 567 dans le respect des droits de l’Homme, s’oblige à avoir des normes juridiques qui protègent le droit et la liberté des citoyens conformément à ses engagements internationaux. C’est grâce à un corps de règles conséquent que les ouvriers et les salariés de tous les niveaux peuvent avoir une garantie minimale en droit contre les exploitations illicites ou les abus de certains patrons voyous. Ces dispositions protègent évidemment tous les travailleurs contre les pratiques discriminatoires tout au long de leur vie professionnelle.

Même s’il paraît un peu tôt pour aborder la question de l’égalité entre les travailleurs dans un pays comme le Cambodge, on ne peut pas non plus ignorer ce problème dans les relations du travail parce qu’on sait que lorsque les travailleurs sont bien traités et que leurs droits sont respectés, l’entreprise en tire avantage car elle dispose d’une main d’œuvre de qualité travaillant dans un esprit de collaboration. On peut ainsi diminuer les conflits du travail et permettre à l’entreprise de fonctionner dans une ambiance plus conviviale.

L’existence de cet arsenal juridique constitue non seulement un grand succès pour le Cambodge, mais aussi un motif de fierté pour la communauté internationale qui participe activement à l’implantation de la démocratie et à l’élaboration des normes juridiques dans ce pays où les élites intellectuelles ne sont pas encore reconstituées. Cependant, l’adoption de normes relatives à l’égalité, particulièrement dans le domaine des relations de travail n’est qu’un premier pas vers un horizon lointain qui dépend de beaucoup d’autres choses. C’est la question de la mise en œuvre, spécialement de la recherche de l’effectivité des normes confrontées à la pratique qui est actuellement en suspend au Cambodge.

Un niveau d’exigence trop élevé en matière de droits des travailleurs et d’application stricte de la loi risque, selon certaines analyses économiques, d’entraîner des conséquences négatives sur le développement de l’économie du pays qui attire enfin des investisseurs étrangers après une longue période de guerre et d’instabilité politique. Ce phénomène s’ajoute à une situation avérée de corruption de l’administration et du personnel judiciaire qui ne permet pas le respect de la loi. De plus, la plupart des relations du travail au Cambodge échappent complètement aux dispositions juridiques en vigueur parce qu’elles se caractérisent essentiellement par des relations de travail dans les secteurs informels. Dans ce contexte il peut paraître utopique d’envisager une réelle égalité entre les travailleurs.

Un autre problème vient des Cambodgiens eux-mêmes qui ne croient pas beaucoup aux institutions de l’État et cherchent à régler leurs litiges en dehors du système judiciaire conformément aux pratiques traditionnelles existantes depuis très longtemps. C’est ce qu’on appelle la résistance des autochtones au phénomène de l’acculturation juridique. Le Cambodge a non seulement subi des effets de transfert de droit durant la période du protectorat mais aussi à l’heure actuelle où les grands pays comme la France, le Japon, le Canada ou encore l’Australie veulent importer leur droit dans ce pays par le biais de la coopération juridique. Bien qu’une loi adoptée soit propre aux Cambodgiens, elle reste une loi du modèle étranger qui ne rentre pas complètement dans la mentalité du peuple du fait de sa structure sociale très hiérarchisée, de la religion, etc.

Face à cette situation d’inapplication ou d’application partielle des normes en vigueur, diverses mesures ont été et sont encore en usage afin d’assurer une meilleure protection aux travailleurs qui souffrent des violations de leurs droits. La recherche de l’effectivité des normes dans ce pays ne peut être faite que par l’engagement très ferme du Gouvernement, des partenaires sociaux, de la société civile ainsi que de la communauté internationale. C’est par la conjonction de ces forces que le pays peut progresser.

Un autre point crucial concerne la question de la liberté syndicale qui occupe une place très importante dans le champ de la relation du travail dans ce pays qui s’est longtemps opposé à la reconnaissance de ce droit. Actuellement, les syndicats sont devenus indispensables dans le processus d’amélioration des conditions de travail des travailleurs. Bien que la violence des syndicalistes n’ait pas beaucoup diminué, on constate que les syndicats commencent à s’installer dans des milieux professionnels comme une véritable force dans la lutte contre les mauvais traitements. Le droit syndical importé de l’Occident s’implante progressivement dans le milieu social cambodgien.

Par ailleurs, les femmes représentent une composante de plus en plus présente sur le marché de l’emploi particulièrement dans le domaine du textile, de la restauration et de l’hôtellerie, ce qui leur permet d’exercer leurs droits conformément à la Constitution. Malgré l’inégalité entre les deux sexes, les droits des femmes ont été progressivement respectés non seulement dans le secteur privé, mais aussi dans celui de l’emploi public où les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilités comme le soulignent plusieurs rapports de l’OIT entre autres.

La question de l’égalité de traitement ou de l’égalité des chances entre les travailleurs, particulièrement celle entre les femmes et les hommes, ne peut être résolue à bref délai dans un pays comme le Cambodge parce qu’elle est liée directement à la situation politico-économique du pays. Dans un pays en voie de développement, l’égalité entre les travailleurs est un vœu qui manque de résonance. Cette question semble plus facile à résoudre dans les pays dont le niveau économique est très développé comme les pays de l’Union Européenne ou les Etats-Unis. De plus la lutte contre la discrimination et l’exigence d’égalité ne concernent qu’une partie des travailleurs, ceux travaillant dans les secteurs industriels ou de services organisés du textile et de l’hôtellerie qui se concentrent principalement dans la capitale. Les autres catégories de travailleurs ne semblent pas pouvoir revendiquer les mêmes droits parce que leur statut reste flou et qu’elles sont moins soutenues par les associations ou les organisations syndicales et moins bien protégées par la loi. En somme, la question de l’effectivité de la loi au Cambodge, en matière d’égalité formelle et réelle entre les travailleurs est une question de temps liée à la volonté politique et économique du Gouvernement et du législateur, à l’efficacité du système juridique et à l’évolution des mentalités.

En tout état de cause, il y a toujours des raisons pour espérer une amélioration de l’effectivité de la loi du travail au Cambodge parce qu’à l’heure actuelle, ce pays a franchi beaucoup de pas vers le progrès économique et social. Les investisseurs de bonne foi gardent espoir dans l’avenir en respectant le cadre juridique. Les travailleurs des secteurs formels, ont vu leurs droits progressivement respectés par la plupart des chefs d’entreprises qui comprennent l’intérêt du droit du travail pour la bonne marche de l’entreprise qui passe aussi par la bonne performance de ses travailleurs. De même, les statuts et les conditions de travail pour les travailleurs informels ont fait l’objet d’une attention particulière. Cela est dû en partie à la contribution de l’OIT ainsi que d’autres organisations internationales qui ne cessent de collaborer avec le Gouvernement cambodgien dans le but de faire respecter les normes fondamentales du travail.

Si l’on se fie au nombre de grèves et de plaintes déposées devant le Conseil d’arbitrage, on ne peut qu’affirmer que le droit du travail cambodgien commence à fonctionner de manière assez satisfaisante et que les mentalités des Cambodgiens à l’égard du droit sont en train de changer parce que les travailleurs, surtout ceux qui travaillent dans des zones urbaines, commencent au fur et à mesure à connaître leurs droits, et à l’utiliser comme mode de résolution des conflits. Ils accordent une place importante au droit individuel, en renonçant petit à petit à la notion traditionnelle de la hiérarchie et du respect absolu des patrons longtemps considérés comme des personnes de très haut rang. Autrement dit, lorsque les relations du travail sont sorties du cadre familial pour aller vers l’industrie, l’exigence de l’application et du respect des droits des travailleurs s’est fait plus fortement ressentir. Ce phénomène se trouve également en Chine et dans les autres pays asiatiques où le nombre de plaintes a énormément augmenté devant les tribunaux avec la réception des droits occidentaux, modifiant les modes de résolutions des conflits traditionnels 568 .

Pour bâtir le Cambodge de demain avec le souci du respect de l’égalité entre les travailleurs, le développement de l’économie est l’une des clés indispensable parce que si le pays reste très pauvre, le travail dans le secteur informel continuera à se développer et le statut de ces travailleurs restera toujours flou. En outre, l’adhésion du Cambodge à l’ASEAN en 1999 et à l’OMC en 2004 permet à ce pays d’entrer dans le marché régional et mondial. Le Gouvernement et les entreprises doivent apporter une attention particulière aux conditions de travail des travailleurs face à une rude concurrence parce que lorsque les travailleurs sont mal traités et mal formés cela nuit aussi à la qualité de production des marchandises. En plus, on ne peut pas favoriser le développement de l’économie d’un pays au détriment de la qualité de vie de sa population et des conditions de travail de tous les travailleurs sans distinction de sexe, d’âge, d’ethnie, de caractéristiques physiques ou de religion sans risquer de graves conflits sociaux.

Notes
567.

Article 51 al. 1 de la Constitution de 1993, « Le Royaume du Cambodge applique une politique de démocratie libérale pluraliste ».

568.

Hélène PIQUET, La Chine au carrefour des traditions juridiques, op.cit., p. 64 et s.