Introduction

Notre recherche porte sur les capacités discursives des étudiants en sciences, tunisiens. Elle ne trouve pas ses outils dans une théorie unique. Elle traite en effet plusieurs objets (compétence linguistique, compétence textuelle, compétence discursive, français sur objectifs spécifiques…) qui se rejoignent dans un seul objet : le français langue seconde tel qu’il est utilisé actuellement par les étudiants « bilingues » tunisiens. Compte tenu des contraintes théoriques et méthodologiques, nous allons aborder ces aspects d’abord séparément, tout en essayant de les mettre en rapport dans un second temps. Le phénomène qui nous paraît le plus important est celui du « Français sur Objectifs Spécifiques ». La langue, dans ce cas, n’est pas enseignée pour elle-même, en tant qu’objet d’apprentissage indépendant, mais elle est étudiée en tant que langue « outil » nécessaire à la réalisation d’un autre objectif, professionnel la plupart du temps. Dans notre cas il s’agit d’un FOS un peu particulier puisqu’il porte sur des discours académiques dont le contenu référentiel n’est pas totalement maîtrisé par des étudiants en cours de formation scientifique et technique.

Ajoutons que pour diverses raisons, certaines de ces informations scientifiques sont inaccessibles dans la langue maternelle, c'est-à-dire en arabe. Il est donc indispensable et décisif pour la progression de la Tunisie et sa modernisation à différents niveaux (économique, industriel, scientifique et social), de pouvoir assurer un canal d’accès efficace et rapide à ces données, en Français langue seconde. C’est dans ce climat d’attentes institutionnelles et d’enjeux socio-économiques importants, que la langue française, langue d’enseignement des matières scientifiques en Tunisie, est enseignée/ apprise. Le public en question a des besoins langagiers directement liés au fait d’une part de s’informer, d’accéder à des données et à des informations dans la langue cible, en l’occurrence le français, et d’autre part de pouvoir en retour transmettre des informations de manière efficace et compréhensible dans différents environnements : scolaire, universitaire et professionnel.

La compétence discursive est ainsi l’élément central de la langue seconde. Or différentes observations faites par des enseignants et des didacticiens vont dans le sens d’un constat d’un manque de compétence chez les étudiant scientifiques, même en fin d’études universitaires. Un manque de compétence qui dépasse, souvent, le simple niveau de la phrase, simple ou complexe, ou du paragraphe. En effet, ces futurs professeurs et chercheurs semblent souffrir d’un problème de construction de texte. Les enseignants et les didacticiens soulignent souvent chez eux une grande difficulté, et parfois même une incapacité, à structurer et à planifier leurs productions, écrites ou orales, à assurer la cohérence du discours et sa progression, à organiser les différents thèmes, à utiliser de manière correcte les outils de cohésion, les connecteurs, les modalisateurs du discours etc., De même, faire appel aux différentes connaissances et compétences, et ce, à différents niveaux, ponctuel ou global, de la production discursive, qu’elle soit orale ou écrite, faire des choix en sélectionnant les connaissances et les compétences appropriées tout en tenant compte de la situation d’énonciation, et exercer un contrôle ou une révision sur ces connaissances, sont des opérations qui mettent les apprenants dans une situation de surcharge cognitive. Leurs capacités à gérer ces situations sont souvent en deçà du niveau requis pour y faire face. Il en résulte, alors, une focalisation sur certains faits en éludant d’autres et il s’agit, dans la plupart des cas, d’une focalisation sur les opérations ponctuelles, liées à la syntaxe de phrases, au détriment de celles plus globales liées à la compétence textuelle. Cet état de faits trouve son versant du côté de l’enseignant et de l’enseignement de la langue. En effet, Reichler-Beguelin, M-J. (1990) note que les enseignants trouvent des difficultés à enseigner les connaissances qui ne relèvent pas de la syntaxe et du lexique mais plutôt de « la syntaxe de texte » et de « la pragmatique ». Elle déplore le manque d’outils et de méthodes de travail allant dans le sens de cet apprentissage d’une compétence textuelle, situation qui, selon J-P. Cuq (2002), n’a pas énormément évoluée même si les recherches sur la question même de cette compétence sont très importantes.

L’étudiant scientifique tunisien ne fait pas exception. Il est, selon les témoignages de nombreux enseignants, de sciences pures et de sciences humaines (notamment M. Montacer, 1993; M-N. Rhimi, 1998 ; R. Zghal, 1993 etc.), en proie aux nombreuses difficultés citées ci-dessus tant au niveau du texte écrit que de la parole orale - et peut-être même plus dans le second cas. En effet, les étudiants ont très peu l’occasion de prendre la parole lors des cours magistraux ou des travaux dirigés sauf pour poser de brèves et rapides questions et pour demander des clarifications formulées dans une syntaxe simplifiée et avec des formulations que les enseignants qualifient de « boiteuses ». De plus, ces dernières sont souvent formulées avec des code-switchings tolérés par les professeurs par crainte de voir leurs étudiants s’enfermer dans un mutisme absolu.

Nous posons, à partir de ces constatations, deux hypothèses de départ pour notre recherche.

Plusieurs types de compétence sont à prendre en considération :

Pour évaluer ces connaissances et ces compétences, nous choisissons de traiter certains types de production déterminants dans le cursus de nos étudiants et qui sont, aussi, révélateurs pour notre recherche. Nous les avons articulés en proposant aux étudiants la production successive de plusieurs types de discours oraux ou écrits qui caractérise notre protocole de recherche. Evoquons-le rapidement sachant qu’il sera présenté de manière plus développée dans à la fin du premier chapitre :

A partir de notes de cours, ils ont produits une chaîne discursive, comprenant :

Nous avons ainsi pu focaliser notre attention successivement sur les compétences de structuration discursive correspondant à ces diverses productions langagières, liées les unes aux autres par un même référent scientifique, la mécanique quantique.

La première, la prise de notes (PDN), est la plus proche des situations réelles de production de nos étudiants scientifiques. En effet, il est fort improbable que ceux-ci soient amenés, dans le cadre de leurs études et de leur spécialité, à produire un texte à partir de rien, sans partir d’un discours préalable, oral ou écrit. La prise de notes présente donc l’avantage de tenir compte de ce fait, de permettre de déterminer une capacité ou un ensemble de capacités - notamment celles de sélection, de structuration et de (re-)formulation -, mis en jeu par exemple lors de la préparation et la réalisation d’épreuves académiques, orale comme l’exposé, ou écrite comme la rédaction. L’étude de la qualité de la PDN permet de voir les incidences que cette activité peut avoir sur les différents discours cibles dont elle est un préalable.

Nous compléterons cette étude par celle du processus de rédaction, de ses étapes et de leurs correspondances avec les produits intermédiaires et finaux, et par celle de l’interaction verbale, des négociations, de leurs coûts, leurs natures etc.

La lecture est aussi une étape importante de cette évaluation. Si elle n’en est pas l’objet (du moins ici pour notre recherche) elle en est un moyen : chaque reprise discursive passe en première étape par la lecture du discours précédent, la (re-)construction du sens et du savoir y est liée.

En conséquence le développement de notre thèse suivra le plan ci-dessous.

Dans un chapitre d’introduction, nous commencerons par présenter le cadre dans lequel notre recherche prend son sens, à savoir la situation socio-linguistique de la Tunisie en focalisant notre attention sur les caractéristiques langagières de notre public d’étudiants scientifiques. Cette étape nous permettra de déterminer l’atmosphère et le climat qui entourent l’enseignement du français en Tunisie et qui définissent sa réception par nos apprenants. La réalité sociolinguistique décrite détermine le cadre dans lequel se fait l’enseignement des sciences, l’enseignement des langues en cohabitation, et plus particulièrement du français, et permettra à l’issue de notre étude d’esquisser des perspectives didactiques en adéquation avec elle. Ce chapitre se fermera avec la présentation du protocole de recherche mis en place, ses sources et les modifications que nous lui avons apportées, ainsi que celle des différents produits obtenus.

Dans un deuxième chapitre, nous procéderons à l’analyse des textes rédigés en établissant des liens entre le texte initial et les textes finaux. A cette fin, nous ferons appel à deux modèles d’analyse : un premier modèle d’Analyse Hiérarchique qui permet de décrire les différents types d’unités composant les textes, et un deuxième modèle d’analyse, la Rhetorical structure Theory, qui permet d’étudier la structuration des textes.

Dans un troisième chapitre, nous procèderons à l’étude du passage du texte initial vers les textes finaux à travers l’étude de deux activités de réécriture : le résumé et la paraphrase. Ce chapitra se terminera par une mise en rapport avec les résultats des analyses effectuées sur les textes rédigés dans le chapitre précédents.

Dans un quatrième chapitre, nous analyserons les différentes prises de notes effectuées par les étudiants et les différents exposés qui en ont découlé.

Dans un cinquième chapitre, notre étude des corpus s’achèvera par l’analyse de la rédaction conversationnelle qui a accompagné les différentes productions et par la mise en rapport des résultats de cette dernière analyse avec les résultats des analyses des productions finales et intermédiaires.

Au vu de l’ensemble de ces résultats, le dernier chapitre sera consacré à l’établissement des propositions didactiques qui pourraient répondre aux attentes et aux profils du public en question.

Nous entamons l’étude des corpus par l’analyse des textes finaux en suivant en cela la logique du protocole des rédactions collaboratives, protocole duquel nous nous inspirons : le texte rédigé étant l’objectif de la tâche, et souvent le seul produit soumis à l’évaluation, il est traité en premier lieu. Les étapes le précédant et le préparant seront traitées, entre autres façons, sous une optique d’éclairement et d’explication des soubassements de la tâche. En effet, nous considérons la PDN et l’exposé oral comme deux sous-tâches finales que certes la consigne donnée aux étudiants présente comme une étape préparatoire de la rédaction, mais qui présentent aussi un intérêt particulier en tant qu’objets d’études fortement significatif quant aux profils des compétences langagières et discursives des étudiants. Enfin, les résultats des analyses nous permettront de proposer quelques éléments didactiques pour améliorer les compétences et les capacités discursives des étudiants en sciences.

Nous nous proposons donc de repérer quelques caractéristiques des textes de nos étudiants scientifiques en focalisant notre attention sur le niveau de la structure ou des segments de structures les plus importants et les plus représentatifs. Certes, il faut une analyse à plus grande échelle des structures de textes de spécialité pour déterminer des constantes mais à l’échelle de notre recherche, nous pouvons déceler des récurrences importantes et proposer des lignes didactiques.