2-3-2- Le statut social

Quant au statut « informel » et à « l’usage réel » d’une langue, R. Chaudenson (cité in Miled, 1998 ; Naffati, 2000) a formalisé quatre paramètres constitutifs de ce qu’il appelle « le corpus » en partant « des conditions d’acquisition et d’usage de la compétence linguistique ». Ces paramètres sont « l’appropriation linguistique », « la vernacularité/véhicularité », « la production et l’exposition langagières » et « les types de compétences ». L’étude de ce statut nécessite le recours à des enquêtes de type sociolinguistique qui permettrait de sonder les différents paramètres liés aux usages réels de la langue française en Tunisie. Mais l’absence de données récentes et suffisantes, nous oblige à aborder la question d’une manière générale. Une image de ce statut informel sera alors esquissée à travers une présentation des différents usagers de la langue française, des différents contextes de contact avec les formes écrites et orales de cette langue, des profils linguistiques et des compétences, et du bilinguisme.

D’après L. Dabène (1994), une langue est considérée comme étrangère si le contact de l’apprenant et l’utilisation qu’il en fait se limite au cadre institutionnel et scolaire. Est-ce le cas pour le français en Tunisie ? Nous répondons d’ores et déjà par non. En effet, de l’avis de tous les spécialistes, le statut officiel de la langue française, en Tunisie, ne correspond pas à son statut de « fait » et « les usages réels du français en Tunisie ne coïncident pas à chaque fois avec la définition formelle du statut » (Miled, 1995 : 22).

Au fil des temps et des réformes, le français a changé de statut. Les réformes de 1958, de 1970 et puis de 1991 en ont modifié les traits. De langue de culture, il devient langue fonctionnelle, pour revenir encore au statut de langue de culture. Mais comme le souligne S. Marzouki  « en réalité les textes définissent la statut visé par les décideurs politiques, c’est-à-dire que la définition du statut d’une langue dans les textes qui gèrent le système éducatif ne prend pas acte d’un statut de fait mais présente comme un statut ce qui est un objectif à atteindre. » (1993 : 383). Et le fait est que la langue française n’est pas étrangère au Tunisien, elle lui est même, comme le souligne H. Naffati (2000), familière : « elle fait partie tant du passé (…) que du présent, dans ce qu’il a de plus commun ; par l’enseignement dès le primaire, les média (…), la proximité géographique, les liens économiques étroits entre la France et la Tunisie, et l’émigration maghrébine en France qui conserve un contact régulier avec la terre mère » (op. cit. : 113).

Le français est alors considéré comme une langue appropriée, et il est généralement admis que le rapport du tunisien à la culture et à la langue française est moins problématique que celui des autres maghrébins. « (…) le métissage est bien réel : métissage des valeurs (orientales et occidentales) et métissage des langues (arabe et français). » (op. cit. : 117).

Le conflit arabe-français existe pourtant bel et bien et est encore d’actualité au vu des événements récents : l’arabe est langue de l’identité nationale, de l’identité arabe et de l’identité musulmane. Le français est la langue d’un colonisateur toujours menaçant, de la corruption de l’identité, d’une autre forme de servitude. Le Tunisien reste tiraillé entre les deux, dans une sorte d’attraction-répulsion pour cette langue de l’autre en ce qu’elle est risque de perte d’identité et possibilité d’ouverture sur le monde. C’est dans cette dualité affective que l’enseignement de la langue française se fait. Nous présenterons dans ce qui suit, quelques traits du profil linguistiques des locuteurs tunisiens ensuite nous en abordons quelques traits de l’enseignement de la langue française en Tunisie.