De même que pour l’écrit, différents contextes définissent le rapport du tunisiens à l’expression orale en langue française et à son utilisation.
Le contexte scolaire : dans un contexte scolaire, l’attitude diffère selon que l’on soit dans un cours de français ou dispensé en français ou que l’on soit dans la cour ou à l’extérieur de l’établissement scolaire, qu’on s’adresse à l’enseignant ou à un camarde de classe, que l’on parle du cours ou de choses extrascolaires.
En classe, dans un cours de langue française ou dans un cours de mathématiques, de sciences naturelles ou de sciences physiques, dispensés en français, le moyen institutionnel de communication entre l’enseignant et l’apprenant est le français. Le premier dispense les données de son cours, les explications, pose les questions, interpelle les apprenants dans cette langue, et l’apprenant réagit par les réponses ou par les questions en français, du moins c’est ce qui est censé se faire. En effet, les témoignages de certains enseignants l’attestent, le recours à l’arabe, dialectal ou même littéraire est possible dans les explications à cause du niveau faible des apprenants, mais aussi et surtout dans la gestion de l’interaction dans la classe. De même que le recours par l’élève à l’arabe peut être toléré pour assurer sa participation au cours.
Le comportement langagier de l’élève, dans la classe, diffère selon qu’il s’adresse à l’enseignant ou à son camarade de classe et selon qu’il intervienne sur le cours ou non. Ainsi, s’il s’adresse à son professeur, l’élève fournit l’effort de formuler ses propos en français, alors que s’il s’adresse à son camarade de classe, le recours au français dépendra de l’existence ou non d’un lien entre son intervention et le cours.
En dehors de la classe, l’usage le plus fréquent du français est dans le code-switching. Il semble se limiter selon, entre autres, l’avis de H. Naffati (2000) et de F. Laroussi (1991) à des emprunts lexicaux isolés dans une communication en dialectal.
Le contexte professionnel : comme pour l’écrit, le recours à l’oral dans ce contexte reste tributaire des sujets et des domaines : il est par exemple très marqué dans un domaine comme le tourisme, alors que dans les conversations techniques, s’il ne s’agit pas de conférences ou d’une autre forme d’oral formel, et s’il ne s’agit pas de termes spécialisés, c’est encore le code switching qui prime lors des conversations. H. Naffati souligne toutefois que « (…) ce qui est privilégié n’est ni le français, ni l’arabe mais l’aptitude dans les deux langues, donc le bilinguisme : un unilingue, qu’il soit arabophone ou francophone est handicapé, voire mal vu » (Naffati, 2000 : 152).
Le contexte social : comme nous l’avons souligné dans le profil des différentes catégories sociales utilisant le français en Tunisie, l’expression exclusivement française, dans les conversations non formelles, est rare. Elle n’est imaginable que s’agissant de l’élite francophone et dans les milieux urbains ou encore dans des conversations avec des étrangers et dans le cadre de pratiques spécifiques de cette langue liées à la production dans le domaine de la radio et du cinéma par exemple.
La norme est alors l’oscillation entre l’arabe et le français pratiqué surtout par les jeunes et dans des conversations sur leurs vies amoureuses, sur certains sujets tabous et donc difficilement abordables en langue arabe, classique ou dialectale, et aussi sur des sujets modernes auxquels il n’est possible de s’exprimer qu’en langue française.
Le contexte familial et privé : l’expression orale dans ce contexte répond à des besoins communicationnels précis avec les membres bilingues ou francophones de la famille. Le français fait désormais partie du quotidien de la famille. Mais, selon les conclusions d’une enquête menée par L. Bel-Haj Larbi 5 et reprise par H. Naffati, une utilisation exclusive du français dans ce contexte familial reste très restreinte : « dans seulement 2% des cas, il est utilisé à table et dans 4% des cas dans les conversations touchant la famille. » (Naffati, 2000 : 157). H. Naffati souligne que comme dans les autres contextes, le sujet de conversation conditionne le recours au français : sur un sujet comme l’éducation, la conversation est dans 41% des cas, en code-switching arabe-français contre 18% en français seul. Parlant de mode, les frères et sœurs switchent dans 58% des cas contre 14% d’expression en français.
Dans l’expression de l’affect, du dialogue oral avec soi ou avec les autres, amis et membres de la famille, la langue arabe dialectale est souveraine.
Il s’agit là des résultats d’une enquête effectuée par L. Bel-Haj Larbi auprès d’un échantillon varié d’élèves tunisiens.