2-2-4-1- la reformulation à vide ou le vide reformulatif

Nous avons souligné lors de l’étude des efforts consacrés aux différents actes lors de la phase de préparation pour G1 et de la notation pour G3, que les membres de ces groupes sont plus soucieux de la sélection et de l’explications des données que de leur mise en mots et leur inscription mais qu’un regain d’intérêt pour l’acte principal accompagne la phase de la rédaction et avant l’exposition orale des données. Toutefois, en regardant de près et en étudiant ces actes principaux, s’impose à nous le constat d’une difficulté et même d’une réelle absence de reformulation.

Pour G1, de faibles traces d’un travail de reformulation ont été déjà soulignées lors de l’étude du passage du texte source au texte cible (cf. chapitre III). Cependant, l’interaction orale marque le recours à la reformulation lors des moments d’explication ou de sélection. C’est le cas, par exemple, pour les échanges entre les tours 35 et 88 où les définitions des spins des particules de bosons et de fermions et les exemples de ces types de particules sont lus et relus, et où des liens entre les exemples sont discutés et les comparaisons établies - ou du moins les participants tentent d’effectuer et d’établir ces liens malgré les difficultés de compréhension que nous avons soulignés plus haut. Le résultat en est peu convaincant pour eux, et aussi peu pertinent et parfois même flou du point de vue de la reformulation qui reste « hachée » et non achevée :

C’est aussi le cas pour les reformulations liées au déterminant de Slater. Nous avons au tour 175 (dans lequel nous découpons les différentes reformulations supposées expliquer le déterminant de Slater) :

175 B a été donnée par Slater .
la fonction d’onde .. est égale 1 sur racine déterminant (à [el] ?) euh … (.. ?) première colonne (1 2 ?) +
on doit chercher un une combinaison linéaire de: la fonction fi alpha 1 fi alpha N . qui soit antisymétrique une solution (pe) euh possible . a été donnée par Slater .
alors la fonction d’onde .. il a fait une combinaison
euh on associe à chaque particule. une fonction d’onde.
il va euh (faire ?) la fonction d’onde (qui est associée à toutes ?) ces particules .
alors l::: Slater il a fait une (comb)
euh il a trouvé une solution . qui soit antisymétrique par:: le déterminant de:: (.. ?) +

L’hésitation reformulative persiste en 180 :

180 B (…) le but de de ce travail (déterminant ?) Slater c’est de déterminer la fonction d’onde qui soit antisymétrique qui
et solution qui euh . qui soit possible . pour euh
c’est une combinaison linéaire de cette fonction euh de cette fonction là .

et même en 192 :

192 B \ ah d’accord d’acco:::rd Fermi-Dirac
donc voilà c’est bien ça .
donc la fonction d’onde elle est définie par le déterminant de Slater qui est soit euh (an) antisymétrique
hein c’est ça ( ?)
193 M-S hum

Même chose pour l’échange sur l’explication du principe de Pauli entre 207 et 218 où B se contente de reprendre, dans le désordre, les expressions utilisées dans le cours. Au-delà de la difficulté scientifique - surmontée notamment en ce qui concerne le principe de Pauli- c’est surtout la difficulté de construire une explication complète et entière qui est frappante au fil de ces tentatives répétées pour cerner le déterminant de Slater. Cette difficulté est couronnée par une tentative (ratée) de reformulation du principe (qui commence déjà en 224) :

226 B (.. ?) le déterminant est nul lorsque deux lignes (iden) sont identiques c'est-à-dire lorsque la même fonction d’onde est (devenue ?) utilisée deux fois . donc le produit: . c'est-à-dire les deux fermions occupent le même état individuel . l’état correspond à la fonction d:: la fonction d’onde est égale à zéro .
donc la conclusion . un même état quantique individuel ne peut pas occuper simultanément deux euh par deux fermions identiques ou plusieurs .
alors c’est ce euh c’est une introduction pour euh . démontrer le principe d’exclusion de Pauli .
ce (qui.. ?) qui dit que deux particules ne peut (p) euh si ne (pe) (.. ?) par au moins un nombre quantique
c'est-à-dire que . le le particule ne peut pas avoir le même euh état avec le même euh (iner) euh avec la même énergie

Après avoir repris pour une énième fois les mêmes propos du cours sur l’explication du principe qu’il présente d’ailleurs comme une introduction, B tente de reformuler à deux reprises (« qui dit que… », « c'est-à-dire que … ») l’énoncé lui-même : ses propos sont alors incohérents et incomplets.

Au passage aux notes rédigées, les deux participants sont face à la tâche première : rédiger. La question posée par B (en 307) résume le dilemme face auquel ils se sont retrouvés tout au long de la réalisation de la tâche : « donc comment on va définir ça (?) ». La réponse à cette question et l’attitude « rédactionnelle » adoptée pour le point dont il est question à ce niveau de l’interaction (traitement des seg 11, 12 et 13) seront reconduites pour le reste de la tâche. Il s’agit d’une reprise presque fidèle de TS. La difficulté scientifique doublée d’une difficulté linguistique place nos participants dans un état de surcharge cognitive et d’inconfort sur tous les niveaux de la tâche, ce qui les amène à faire le choix de « fidélité » au texte source. Nous assistons à un retour vers la formulation de départ, c'est-à-dire celle de TS, comme dans une sorte de boucle reformulative qui part et revient au même point. La machine reformulative tournerait à vide.

G3 rencontre la même difficulté de contrôle de la matière scientifique, ce qui amène aussi des difficultés de reformulation. Mais G3 semble plus enclin à faire des efforts que G1. Il est vrai que lors de sa prise de notes, le travail lié à l’acte principal de (re)-formulation- inscription est peu présent, mais la reformulation est présente dans le traitement scientifique par exemple. Elle se manifeste par des tentatives timides et limitées, même en quantité de parole, comme pour la mise en place de l’opposition entre la mécanique classique et la mécanique quantique et sa reformulation introduite au tour 5 par maneha (c'est-à-dire) :

Les échanges sur les informations scientifiques laissent transparaître des difficultés scientifiques fortement liés à l’expression comme l’inversion dans l’exemple de fermions :

ou dans la conclusion de la fonction des bosons :

Cette conclusion laisse K perplexe même après deux relectures du texte du cours et après s’être adonnée elle-même à une explication des « exemples de bosons », ce qui n’est pas sans rapport avec la conclusion relative aux particules de fermions où la formulation se construit sur le mode négatif « ne peut pas ». En effet, la confusion entre cette conclusion et le principe de Pauli est accentuée par les formulations et des constructions proches et à la fois opposées. Le rire complice à la fin de cette négociation vient souligner cette confusion.

Au fil de l’interaction, il apparaît que les participants tentent de dépasser les difficultés liées à la matière scientifique par une simplification de cette matière ainsi que de l’expression dans la mesure où les difficultés scientifiques sont aggravées par la non maîtrise de faits de langue simple en plus des définitions des notions comme, par exemple, la notion d’ « état individuel » et de « niveau d’énergie » dans l’exemple ci-dessus, où la correspondance entre les deux termes n’est pas rapidement établie par K. La reformulation est liée alors à une simplification de l’expression comme pour, en retour, simplifier les notions dont il est question. C’est ce que tente de faire K et L en traitant l’expression du déterminant de Slater réduite à une première expression :

109 K la fonction d’onde égal’à 1 sur fois déterminant: de Slater . fonction d’onde
110 L bon
111 K (égal’à) 1 sur racine de N factoriel
112 L déterminant de Slater
113 K fois déterminant de Slater

Puis à une deuxième :

118 L il a écrit sous forme de fermions fois \
119 K \ fois le (dé) le déterminant \ de Slater

Cette nouvelle expression sera retenue dans l’exposé oral et dans le texte rédigé (seg 18).

Filtrer les expressions de TS devient une manière de procéder. Cette opération linguistique peut s’arrêter aussi sur de faux problèmes comme dans les échanges suivants :

202 k au contraire de la mécanique \ on a (.. ?)
203 L \ position est (contrastée ?)
204 K non la position elle est (. ?) non (?)
205 L [behi] le \
206 K \ au contraire
207 L alors que c’est pas au contraire. \ (.. ?) de contradiction
208 K \ au contraire non c’est une contradiction parce que en mécanique quantique la notion de trajectoire n’a pas de sens [rahi]
209 L alors que … alors qu’en mécanique quantique . la notion de trajectoire n’a pas de sens

où L semble percevoir dans « au contraire » une dimension que le rapport entre les deux mécaniques ne sous-entend pas et que « alors que » rend mieux. Son explication est floue (même acoustiquement) ce qui ne l’empêche pas d’imposer « alors que » et de l’inscrire elle-même.

Aussi, dans l’échange sur la reformulation de l’expression du déterminant :

où L, très soucieuse de maintenir une forme simple et codifiée, refuse le futur (« sera écrit »), la substitution du verbe (« devient ») et demande en 280 à K d’enlever la désignation de « spi » (« la fct » raturée au début du segment 18). La difficulté d’expression est contournée par un recours à une schématisation familière : X s’écrit sous la forme Y. la simplification touche même la syntaxe des phrases : plus loin, les segments 26 et 28 sont même formulés comme propositions nominales (le verbe du premier segment étant formulé à plusieurs reprises à l’oral en 322, 323 etc.).

G3 peut aussi faire preuve d’une créativité ou plutôt de « débrouillardise expressive » comme dans le cas du seg 6 (entre 216 et 220) qui est transformé, tout simplement, par ajout du groupe prépositionnel « par la formule suivante », pour introduire le segment 7 (la formule de « psi »), au lieu de présenter le seg 9 (l’énoncé du postulat). De même, entre 300 et 305, le choix de « dessiner » un diagramme est abandonné au profit d’un « texte » qui en explique les données.

À la lumière de ceci, il apparaît qu’entre le retour au « point de départ reformulatif » pour G1 et une simplification réductrice des formes linguistiques pour G3, les actes de formulations sont souvent d’inscription matérielle : cette inscription est prise en charge par les deux dans un mouvement double de dictée/ inscription fragmentaire des données, d’où son coût.