2-2-4-3- La reformulation : les conséquences

L’un des premiers reproches que nous pouvons faire à la reformulation est qu’elle ne corrige pas et ne comble pas les « trous » notionnels et les vides créés par la sélection parfois abusive des informations.

L’exemple le plus frappant est celui des constructions des fonctions d’ondes dans le texte de G4 et la condensation des informations qui y correspondent dans les derniers segments du texte. En effet, après avoir expliqué et noté de manière plutôt claire et complète les éléments les plus importants de la construction de la fonction des bosons entre 93 et 123 et après avoir traduit le passage de l’expression de cette fonction à la conclusion sur la co-occupation d’un état par plusieurs particules dans les trois éléments (15), (16) et (17) de la prise de notes, et après avoir reformulé une dernière fois oralement ces données (de 293 à 295), réduit (en 299) encore les informations relatives à ce point :

293 H (…) nous passons à la construction des états physiques . des N particules identiques sans interaction mutuelle . qu’est-ce qu’on peut retenir de . ce grand trois .. on voit que les bosons .
294 K caractérisés par une fonction d’onde \ (.. ?)
295 H \ sont caractérisés par une fonction d’onde classique . c'est-à-dire . en utilisant le . facteur d’indiscernabilité et en permutant . les positions avec les . euh les particules . euh . c’est une fonction d’onde qui est définie ainsi . 1 sur racine de N factoriel fois la somme de . fi alpha 1 à la position 1 . jusqu’à . fi alpha N à la position N . on peut::: conclure . de ce paragraphe . que pour les bosons . ils ont un nombre . quelconque . pour un nombre de bosons . pour un nombre quelconque de bosons identiques . euh . ils peuvent . occuper . un même état individuel . un nombre de bosons identique peut occuper un même état individuel . donc .. \ on (.. ?) .. ce paragraphe +
296 K \ (.. ?)
297 H [behi] . on indique que .. [wal:a] on précise ( ?) . que les bosons .. les bosons euh
298 K caractérisés \ par
299 H \ sont caractérisés [ej] sont caractérisés carac térisé .. par une fonction d’onde .. donc . qui est: . qui est définie comme la permutation . ou comme euh . la somme de . de toutes les permutations possibles . fonction d’onde \ somme .. fonction
300 K \ (.. ?)
299 H d’onde . entre parenthèses . toutes les . permutations possibles . toutes les permutations .. possibles . alors que . pour . les fermions . c’est le cas contraire . on utilise le le déterminant de Slater . car la fonction d’onde est un peu . euh:: . difficile à traiter . \ euh::: . de la même façon que les

L’expression de la fonction est intégrée dans sa définition comme étant un ensemble de permutations, ce qui est jusque-là assez correct. Toutefois, G4 opte pour la traduction de ce lien par les parenthèses, ce qui le rend illisible. Ce travail de condensation n’est pas fortuit vu le temps consacré à la réflexion sur la reformulation du « paragraphe » en question à la fin de -295-. L’hésitation qui marque la reprise de la reformulation souligne les difficultés de G4 à s’exprimer : les deux verbes utilisés le traduisent. En effet, le verbe « indiquer » place le segment 12 en marge des informations importantes - ce qui est loin d’être son cas -, et le verbe « préciser » laisse supposer l’introduction de précisions que, justement, les segments ne contiennent pas.

Le travail reformulatif se poursuit avec un enchaînement sur le rapport d’opposition (« alors que ») qui lie les bosons aux fermions et qui préfigure des propriétés physiques opposées :

299 H (…) alors que . pour . les fermions . c’est le cas contraire . on utilise le le déterminant de Slater . car la fonction d’onde est un peu . euh:: . difficile à traiter . \ euh::: . de la
301 K \ euhum
299 H même façon que les bosons . on utilise le déterminant de Slater . euh . qui est défini comme . ainsi . la ligne . est occupée . par . une seule . particule . qui . change de position . et . la:: colonne . euh:: . est . définie comme . un état donné avec une particule ([mathalan] ?) . une particule change . qui change . donc . on a dit alors que pour les fermions on utilise . le déterminant .. de Slater . le déterminant de Slater . on a dit que . la ligne . les lignes . sont occupées . par . des particules données .. et les colonnes . par les états . par les différents états . de ces particules .. [behi] . euh . on peut dire que . pour les fermions . l’échange de deux particules se traduit . euh . par l’échange de deux colonnes . donc . l’échange . on conclut . que pour les fermions .. l’échange . de deux particules .. se traduit . par l’échange de deux colonnes … normalement . on peut citer ici . l’utilisation du principe de Pauli . principe d’exclusion de Pauli .. euh . c'est-à-dire un même état quantique individuel ne peut pas être occupé simultanément par deux fermions (...)

Nous assistons au même phénomène que pour les bosons, à savoir que la formulation orale des segments 15 et 16 qui précède leur (re)- formulation/ inscription est plus explicite que cette dernière. Aussi, retrouvons-nous la même hésitation reformulative pour l’introduction du seg 17 : nous passons de « on peut dire que ... » à « donc » à « on conclut que ... », la répercussion d’un choix plutôt que l’autre sur la nature et le rôle de l’information n’étant pas perçue. L’introduction du principe est même présentée comme un élément que « normalement on peut citer ici » c’est-à-dire à ce niveau du texte et comme suite logique des segments installés et non pas par rapport à son rôle et son importance dans la construction du raisonnement et de la structure scientifique du texte. La rédaction serait perçue comme une suite de données à insérer et à relier sans tenir compte réellement de leur pertinence et de la manière de les relier. La lecture récapitulative qui suivra le confirme :

299 H (...) normalement . on peut citer ici . l’utilisation du principe de Pauli . principe d’exclusion de Pauli .. euh . c'est-à-dire un même état quantique individuel ne peut pas être occupé simultanément par deux fermions (COUPURE) donc si on peut récapituler ce qu’on a dit . euh pour les bosons . ce sont des particules de spin . entier caractérisées par une fonction d’onde symétrique d’où l’utilisation de la statistique de Bose-Einstein .. donc on peut dire que pour les bosons . pour les bosons . euh .. sont caractérisés par une fonction d’onde . qui présente toutes les permutations possibles . euh .. et que . un nombre quelconque . de bosons identiques peut occuper un même état individuel . dans ce cas . ce que on ce qu’on peut dire . c’est qu’il y a attraction quantique . c'est-à-dire que tous les bosons occupent le même état fondamental . alors que pour les fermions . \ euh . d’après le principe d’exclusion de Pauli . qui . nous dit que . un
302 K \ répulsion
299 H même état quantique individuel ne peut pas être occupé simultanément par deux fermions identiques ou plus . d’où chaque fermions . prend . un . son (ét) euh prend son état (carac) caractéristique . et:: . le phénomène observer ici . c’est le phénomène de répulsion quantique . (.. ?) l’énergie . euh . observer ici c’est l’énergie de Fermi . correspondant à l’énergie E F .. ( ..?) [behi] . (.. ?)

Les vides notionnels ne sont pas perçus, et plus même : G4 cherche à cumuler les informations tout en condensant les formulations. Ainsi, sont introduits les phénomènes d’attraction et de répulsion, chacun à la suite des données sur la particule à laquelle il correspond, sans tenir compte du fait que ces phénomènes ont été constatés à une condition bien précise, T=0K. La (re)-formulation/ inscription reprend avec la juxtaposition du principe de Pauli et la placage « explicité » ( « c’est », « d’où c’est ») des deux phénomènes :

303 K (.. ?)
304 H bon . (BAS) [hne] . celui qu’on utilise (.. ?) . donc pour les fermions . pour les fermions .. on utilise . le principe . d’exclusion .. de Pauli .. le: . [∫iQul] euh ( ?) . un même état .. quantique . individul . ne peut pas être occupé simultanément par deux fermions donc . ne peut pas .. être . occupé . simultanément .. par deux fermions identiques … d’où . c’est le phénomène .. de répulsion quantique … [behi] . on revient à ce qu’on a dit pour les bosons et on précise que c’est le phénomène d’attraction quantique \
305 K \ (.. ?) c’est le cas contraire de bosons::
306 H (.. ?)
307 K attraction quantique ( ?)
308 H hum . (.. ?) (BAS) on précise que pour les bosons . caractérisés par une fonction d’onde . toutes les permutations possibles . alors que pour [le . lehne] . c’est le phénomène . d’attraction quantique + et c’est tout (FIN)

L’ensemble de ces opérations effectuées par G4 confirme globalement les difficultés d’expression (constatées lors de l’étude des textes cibles) et en particulier un rapport conflictuel à l’expression des relations entre les différents segments, surtout celle de conséquence, et à l’explicitation de ces relations par de bons connecteurs.

Les conséquences de cette sélection abusive et de la (non-re)-formulation des relations structurant le texte ne sont pas constatées seulement chez G4. G7 condense aussi les données relatives à la construction de chacune des fonctions alors qu’elles sont longuement traitées et reformulées tout au long de l’interaction. Ce groupe procède, entre autres, à une explicitation de la relation entre la nature du déterminant et le principe de Pauli en introduisant la justification à la fin de 133 :

132 M hum
133 K bon .. d’après les propriétés d’un déterminant . on a l’échange de deux particules conduit à la permutation de deux colonnes ce qui conduit à . un échange . de signe de psi . sauf que psi est égale à 0 bien sûr . donc . ce déterminant satisfait le postulat de symétrisation . bon . principe d’exclusion de Pauli .. soit un système de N fermions . le déterminant . est nul . lorsqu’on a deux lignes identiques . vu qu’au cours d’une permutation il faut avoir un signe moins .
134 M euhum

Il reprend l’explication de ce principe lors de l’explication du diagramme énergétique des fermions à T= 0 («  les cases quantiques ») mais il ne la réintroduit pas dans son texte rédigé. Le recours au déterminant n’est lui-même pas justifié et la conséquence sur l’occupation des états énergétiques, c'est-à-dire le principe de Pauli, est remplacée par une conséquence liée directement à la nature du déterminant (matrice carrée) introduite dans les explications avant même que le principe ne soit abordé.

Chez G3, la sélection importante se combine, en plus, avec la quête de formes linguistiques simples. La simplification et « le filtrage » du texte, à la fois au niveau des données et de la mise en mots, sont à l’origine de l’introduction de l’expression mathématique du postulat (seg 7), pour la première fois dans l’interaction, lors de phase rédactionnelle et juste avant son inscription (en 218) ; et de la mise en jonction des segments 6-7 et 8-13 par simple coordination (en 222). Ce phénomène d’apparition subite est notée aussi avec le seg 20 : la justification du principe de Pauli n’a été traitée par G3 ni lors de la PDN, ni lors de l’exposé. Elle est passée sous silence jusqu’au moment de la rédaction du principe. Son inscription est tout aussi brusque que son introduction (en 287 et 290) et sa formulation brève reste elliptique sur son rôle.

Aussi, la reformulation finale s’accompagne-elle chez certains de l’altération des données : des relations sont expliquées et explicitées correctement lors d’échanges explicatifs et reformulatifs pour la PDN et l’exposé oral mais sont mal re-formulées lors de la rédaction. C’est le cas par exemple du seg 6 du texte TS de G4. Ce segment, quelques tours avant son inscription est encore reformulé correctement (en 284) pour être enfin déformé lors de sa (re)-formulation/ inscription (en 288) sans que cette déformation soit attendue. De même pour les seg 9 et 11 du même texte qui identifie la statistique appliquée à chacun des deux types de particules. Le retraitement et la restructuration des données relatives aux bosons et aux fermions (cf. exemple en 2-2-3-2-) ont permis une reformulation rapide des segments qui leur correspondent. Mais cette reformulation met en place des relations altérées entre les particules et les statistiques auxquelles elles se réfèrent (de 288 à 293) : le déplacement de ces identifications s’accompagne de la création de liages incorrects - « d’où » et « c’est » - introduits par consentement mutuel et sans que les participants ne s’aperçoivent de la non validité de ces nouvelles informations.

Le passage à la rédaction et la contrainte de cohésion qu’elle implique amène G7 à faire des choix linguistiques qui répondraient à cette attente :

242 K (…) (COUPURE) bon . on va faire un enchaînement entre grand un et grand deux . euh .. à éliminer donc . grand deux . grand deux à éliminer
243 M (ça y est ?) +

Les segments 11’ et 12’ sont raturés parce qu’ils ne correspondent pas à cette contrainte de la continuité. Toutefois, les choix faits par G7 ne s’appuient pas sur la détermination des liens logiques entre les segments, que G7 semble pourtant comprendre, mais sur le recours à des formes linguistiques connues, des préconstruits, comme pour la création du seg 11 et 18 :

244 K bon . on est arrêté . par conséquence en mécanique quantique deux particules identiques sont deux particules \ indiscernables . ok . [behi] .. pour ces
245 M \ indiscernables
244 K particules . pour . ces particules ... on définit .. (…)
255 K + et pour . mieux comprendre . mieux comprendre . la notion de symétrisation .. on va prendre deux types de particules … particules . tel que les bosons .. et les fermions + les bosons . bosons . sont des particules . de spin .

Dans le premier cas, la stratégie de l’enchaînement thématique avec le seg 10 amène la construction (en 242) du seg 11 à partir de la reprise du thème « particules » : l’enchaînement ainsi créé entre I et II ne tient pas compte du rapport entre I-II et III. Dans le deuxième cas, la suite d’exemples définissant les particules fait ressurgir le cliché scolaire : « les exemples servent à comprendre », cliché qui inspire la création du seg 18 (en 255). Ce segment, ainsi formulé, crée un effet de subordination de l’ensemble des informations sur ses particules (y compris leur fonction et la différence entre eux à T=0K) à la notion de symétrisation. Cet effet est appuyé par les effets des jonctions entre les segments définissant les particules (seg 19 et 20), ceux déterminant leurs fonctions (seg 21 et 22) et ceux traitant de leur différence à T=0K (seg 24 à 29) :

263 K + et pour . la construction . construction .. d’un état physique .. d’un système . constitué . de N .. de N bosons .
(…)
et pour un système . pour un système . constitué de N fermions ..
(…) +
et lors d’un étude . et lors . d’un étude .. des états . de fermions .. et des bosons à T est égale à 0 kelvin . T est égale à 0 kelvin . on constate . que pour les fermions ..
pour les fermions ..
(… )
264 M (…)
265 K pour les bosons . pour les bosons (… )

des jonctions marquées notamment par les mêmes connecteurs « et pour/ lors », « pour » ce qui accentue l’effet d’enchaînement thématique.

G1 et G2 tombent aussi dans les pièges de la reformulation, et ce, malgré les précautions prises par l’un et l’autre et qui consistent à rester fidèle au texte source ou à s’en écarter au minimum. En effet, G1, à force de coller au texte du cours, finit par commettre ce type d’erreur (segment 37). G2, en focalisant son attention sur la vérification de l’antisymétrie (exemple cité plus haut) reformule et déplace ce qui devient le seg 36 mais le but des seg 34 et 35 n’est pas perçu : les liens entre «  change de signe sauf si =0 » et « =0 si déterminant =0 si deux particules occupent le même état » et « donc deux fermions ne peuvent pas occuper un même état » - pour que ne soit pas 0 est reste antisymétrique - n’a pas été perçu comme un lien plus pertinent et par conséquence n’a pas été traduit ce qui a laissé un vide logique important au passage au principe de Pauli.

Il est frappant de constater que malgré les difficultés expressives des participants, les échanges négociatifs soient peu présents et qu’ils soient peu conséquents comme pour G3. Il est tout aussi frappant que le seul groupe qui procède à une révision de sa rédaction soit G2 et que cette révision ne touche que des faits ponctuels (corriger un accord etc.).

La reformulation est peu conséquente lors de la première étape de la collaboration, la priorité étant accordée à la sélection et au traitement scientifique de la matière. Toutefois, nous voyons qu’elle est présente surtout lors des moments de traitement global des données et au moment de la reprise des blocs informationnels et de leurs inscriptions. Un intérêt plus important lui est accordé lors de la rédaction où elle devient au centre des préoccupations des participants. Mais elle s’accompagne peu de l’explicitation de certaines relations et de la création de ponts linguistiques entre des segments dont les rapports sont établis oralement et compris comme l’hypothèse de l’invariabilité de psi et l’expression de psi et l’état + et - du système. Aussi, l’opposition entre la fonction des bosons et celle des fermions n’est-elle pas toujours marquée malgré qu’elle soit perçue par les participants. La logique du texte scientifique est comme se suffisant à elle-même. Les participants ne semblent pas réaliser le vide que le non rétablissement de ce genre de relations peut créer.

La difficulté inhérente à la situation de rédaction est exprimée dans l’échange suivant marquant le début de la transaction de rédaction dans l’interaction de G4 :

272 H (.. ?) qui est (.. ?) ici .. (COUPURE) donc on va essayer de rédiger . les idées et les points qu’on a cités précédemment . euh dans pour le cours de statistique des particules . système de particules identiques . euh précédemment . euh (rédi) euh . étudié . abordons . euh . les généralités . dans les généralités on voit bien . deux systèmes . qui sont la mécanique classique et la mécanique quantique . eu::h . donc . on peut dire .. que . pour la . mécanique classique .
273 K (… ?) .. (COUPURE) bon il y a euh
274 H qu’est-ce que tu proposes de faire (?)
275 K dans le cas de la mécanique quantique cadre de la mécanique quantique flèche cadre de la mécanique quantique il y a les bosons flèche bosons \ euh flèche
276 H \ [ble] flèche on doit rédiger . (.. ?) donc on doit rédiger . ce flèche [maneha] c’est \ une
277 K \ [maneha] c’est plus:: . facile de mettre des:: . des (.. ?)
278 H tu crois que c’est plus facile que rédiger (?)
279 K hum.. (COUPURE)

Le choix auquel doivent faire face tous les étudiants est exprimé ici par les membres de G4 : faut-il ou non utiliser le langage symbolique en combinaison avec le langage naturel ? La difficulté de rédiger un texte sans recourir aux symboles et autres conventions tant chers aux discours scientifiques est avouée ici par K. Toutefois, les participants se plient à la contrainte de « la rédaction » telle qu’elle est souvent entendue en milieu scolaire, c'est-à-dire sans recourir aux flèches, aux abréviations etc. Mais ils ne semblent pas maîtriser toutes les facettes d’un tel travail.