3- La RST et les propositions didactiques : constructions de schémas rhétoriques

Comme nous avons essayé de le souligner et de le montrer dans l’étude de textes écrits, source et cibles, aborder un texte scientifique n’obéit pas aux mêmes contraintes qu’un texte littéraire, philosophique ou autre. Là où pour ces derniers types de textes et les types de discours qu’ils impliquent, l’analyse thématique, la grammaire de texte ou la linguistique textuelle donneraient des résultats plus que satisfaisants, ces outils d’analyses appliqués à nos textes scientifiques ne permettaient pas de faire ressortir les dimensions que nous voulions cibler. Elles ne permettaient pas de mettre sous la loupe de l’étude les phénomènes de structuration rhétorique qui sous-tendent la construction des textes et plus particulièrement les textes scientifiques. En effet, à notre avis, c’est cette dimension là qui est importante à voir et à analyser dans les données recueillies. Et c’est cette dimension là, nous semble-t-il, qu’il serait intéressant de développer et de cultiver chez les apprenants. Il est important de donner aux étudiants les outils nécessaires pour se rendre compte de l’existence d’une structure logique sur laquelle s’appuient leurs productions et de leur donner les moyens pour la (re-)créer dans ces productions, nous parlons notamment de comptes rendus d’expériences, d’examens, de mémoires de recherches dans le cadre de leurs études et de cours et de rapports dans le cadre de leur futur travail d’enseignant.

Toutefois, nous n’oublions pas que nous avons affaire à un public particulier, un public non avisé, un public dont les notions sur le domaine de la linguistique, du discours, de la rhétorique sont très élémentaires pour ne pas dire très limitées. Il ne s’agira pas pour ces apprenants d’utiliser la RST comme un outil d’analyse - une telle utilisation nécessiterait une formation préalable dont ils n’ont aucunement besoin. Et à vrai dire, une telle compétence d’analyse ne présente aucun intérêt pour ce type de public, leur but n’étant pas de faire un travail d’analyse pour identifier les structures et les différentes relations qui les supportent mais plutôt de savoir construire ces relations. L’utilisation que nous préconisons de cet outil se place du côté de la création, en amont de la production et à l’opposé de l’analyse. C’est donc sous un angle différent que nous nous proposons, ici, de présenter la RST même si nous réservons la possibilité de faire une démonstration de l’utilisation de l’outil d’analyse sur un texte modèle afin de présenter la théorie en question et de démontrer, par le travail de décomposition, le résultat de la chaîne de production..

Cette possibilité d’aborder la structuration rhétorique sous cet angle a été évoquée par M-P. Péry-Woodley (2001). Cette dernière se pose la question d’une possibilité d’associer - pour l’analyse RST et plus généralement pour les analyses liées aux modèles de cohérences – l’analyse montante (des unités minimales vers le texte) à la création et l’analyse descendante (du texte vers les unités minimales) à la réception. Les créateurs de la RST, W. Mann et S. Thompson (2001), quant à eux, même s’ils exposent cette possibilité, ne revendiquent pas cette utilisation de leur théorie comme une utilisation première. Bien au contraire, leur modèle est en premier lieu un outil d’analyse ou selon leurs propres termes « une méthode pour constituer des données » (2001 : 14). La dimension de cette théorie liée à la « création » de texte peut être considérée dans une théorie de texte dont elle serait une petite partie mais elle ne peut aucunement être considérée comme un modèle à part entière. Pour justifier cette restriction dans l’utilisation de ce qu’ils appellent le « Composant Théorique », W. Mann et S. Thompson font l’esquisse d’un « Modèle Conforme » (2001 : 24) dont ils présentent quelques présupposés comme le fait que ce modèle de création serait « descendant, hiérarchique et récursif » (2001 : 24), qu’il répondrait chez le scripteur à la réalisation d’un but, qu’il correspondrait, chez lui, à des structures de connaissances, que ces dernières seraient mises en rapport avec des choix portant sur ce qui sera dit (lexique, syntaxe, sémantique) etc. Mais ils ne manquent pas de souligner les limites inévitables qui sont liées à ces présupposés et qui sont inhérentes aux implications qui en découlent. Ils n’hésitent pas à qualifier les présupposés d’« exagérément optimistes et rigides » (2001 : 25) surtout que la RST ne présente pas « le niveau de détail et de régularité espéré » (2001 : 25) par les constructeurs de modèles de création. Ceci dit, selon W. Mann et S. Thompson, les lacunes qu’on reproche à la RST présentent des atouts, et le manque de précision, de régularité, d’organisation, de taxinomie laisse les portes ouvertes à la créativité et aux différents apports des différentes disciplines. Concrètement, des activités pédagogiques liées à la RST ne sont pas proposées.C’est, donc, avec beaucoup de prudence que nous avançons nos propositions.

L’outil de création devra tenir compte du profil des apprenants scientifiques. Il ne devrait pas nécessiter des connaissances particulières. La formation en langue, reçue au lycée devrait pouvoir suffire pour créer un point de départ. Seront alors réexploitées les différentes connaissances sur la planification et les éléments de la cohésion et autres articulateurs logiques. Le but est de faire prendre conscience de l’existence du schéma de la structure rhétorique en amenant les apprenants à le créer. De la même manière qu’ils auraient mis en place un plan pour rédiger leurs textes, ils vont choisir les différents segments de leur structure en tenant compte des rapports qui existent entre eux et de leurs apports aux segments auxquels ils sont liés - tout en explicitant ces différents rapports.

Pour commencer, nous proposons une activité qui s’inspire largement des méthodes classiques, à savoir une activité qui porterait sur l’assemblage de morceaux ou de segments décomposés afin de leur faire reprendre une forme textuelle d’origine. La tâche des apprenants serait de justifier leur assemblage en identifiant les relations utilisées et en les explicitant par les bons outils linguistiques. Il s’agira de la recomposition du schéma de la RST. Une fois le mécanisme identifié, une certaine familiarité établie avec les différentes relations et leur combinaison, nous proposons un autre type d’activité, par exemple, une épreuve de rédaction. La consigne soulignerait bien la nécessité d’identifier les grandes lignes à traiter. En décomposant les grands points ou les segments en segments constituants : données, applications, démonstrations, justifications, conséquences, résultats, exemples, les participants identifient les schémas.

Ne disposant pas de modèles de schéma, il serait bénéfique de pouvoir en proposer. Pour cela, il faudrait procéder à des séries d’analyses (en quantité) sur des comptes rendus, des exposés etc. , produits par des experts afin de déceler les constantes et de pouvoir les présenter comme modèles sur lesquels les apprenants pourraient prendre appui. Cela va sans dire qu’une collaboration étroite avec les spécialistes dans les domaines scientifiques est nécessaire, et ce, à deux niveaux : celui, général et à une échelle importante, de la mise en place des modèles ; et celui, plus en rapport avec les publics en question, de la mise en place d’une série de sujets qui soient en rapport avec la formation des apprenants, et qui correspondent au type d’activité proposée - c'est-à-dire des sujets qui permettent de faire appel à différentes relations combinées à différents niveaux de la structure.