4-1- Les prises de notes

Dans une didactique du français langue étrangère, R. Bouchard (1996) note que les difficultés liées à l’expression orale et plus particulièrement au discours du professeur résident, pour les apprenants étrangers, dans les écarts propres à ce discours. Les étudiants trouvent quelques difficultés à suivre les différentes reformulations et à s’orienter à travers les réitérations auxquelles le professeur a souvent recours pour construire son discours, pour le rendre plus intelligible et plus accessible. Ce qui, pour les avertis, est considéré comme autant de points de repères qui signalent entre autres les informations à noter et à retenir, est perçue par les non-avertis comme des obstacles et des leurres qui peuvent fausser leurs perceptions et les induire en erreur. La réaction qui peut en découler est une prise de notes qui se veut la plus fidèle possible au discours tenu par le professeur, et ce, jusqu’aux moindres reformulations afin de prévenir d’éventuelles méprises sur ce qui est oui ou non à retenir. Certes, nos étudiants ne peuvent pas être mis au même niveau de rapport au discours professoral que ces étudiants étrangers. Ils ont de par le statut de la langue française en Tunisie et de par le fait qu’elle soit la langue officielle de l’enseignement des matières scientifiques, une certaine habitude de ce discours du moins à l’écoute. Mais leur comportement ne diffère pas beaucoup de celui des étudiants FLE. En effet, nos résultats ainsi que les différents propos tenus par les enseignants auxquels nous avons parlé, tendent à confirmer le penchant prononcé de nos participants à noter scrupuleusement les propos de leurs professeurs. En partant de ce constat, la mise en place d’un enseignement visant à les sensibiliser plus et de manière plus consciente aux spécificités du discours tenu par leurs professeurs ainsi que la mise en place d’un enseignement visant à les sensibiliser à leur prise de notes deviennent des étapes importantes dans leur apprentissage. Il ne s’agit pas de leur prescrire ou imposer un modèle de prise de notes à suivre, mais de les amener à réfléchir sur le contenu du texte à partir duquel se fera la prise de notes, à réfléchir sur la situation de la prise de notes, sur l’utilisation escomptée à partir de ces notes : reconstruction de la cohérence du texte, mise en rapport des différents contenus informationnels déjà acquis et ceux à acquérir et retransmission en temps voulu de ces connaissances. Il s’agit donc de les amener à choisir la méthode adéquate, celle qui répondrait le mieux à leurs besoins.

Nombreuses recherches citées et décrites par A. Piolat (2001) insistent sur le rôle plus efficace de la méthode de prise de notes préplanifiée en plan ou en matrice de contenu et de la méthode des mots clés par rapport à celle libre et habituelle des noteurs qui est souvent linéaire et de mots à mots. Le résultat est senti au niveau de la quantité d’informations retenues et au niveau de leur compréhension, leur intégration et leur mémorisation/ rappel lors des examens. La raison en est expliquée par le traitement en profondeur fait, avec ces méthodes, sur les informations au moment de l’écoute ou de la lecture, et ce, en comparaison avec un travail plus centré sur la notation à laquelle ont recours habituellement les étudiants. Toutefois, l’étudiant n’a pas les moyens de connaître et de préparer d’avance sa prise de notes en aménageant l’espace de la feuille selon le plan du cours si le professeur ne le lui donne pas. Certes il peut relever le plan au fur et à mesure mais ne pourra pas organiser ses notes en matrices. Proposer aux enseignants de mettre à la disposition des étudiants le plan par le moyen de polycopiés pourrait être une solution envisageable.

Enfin, il faudrait insister sur l’utilité d’un retour sur les notes après coup et sur l’influence qu’une telle « habitude » peut avoir sur la consolidation de la compréhension et le stockage des informations. Amener, donc, les étudiants à automatiser une telle activité, même si elle n’est pas accompagnée d’une activité de réécriture immédiate, devient un premier objectif à atteindre. L’idéal serait, bien sûr de les convaincre, en plus, de revoir leurs notes pour les modifier et les réorganiser en plan ou en matrices de contenu, mais l’activité de réécriture n’étant pas toujours attrayante pour nos étudiants, il ne faudrait pas à notre avis la relier automatiquement et impérativement à la première au risque de les voir se détourner des deux.

Le rôle de la prise de notes dans l’amélioration de l’apprentissage est attesté par différentes recherches effectuées sur la question. La raison en est attribuée au fait qu’au moment de la prise de notes, celui qui prend des notes (« le noteur ») fait appel à plusieurs de ces connaissances et de ces compétences (de structuration, d’écriture etc.) qu’il met en rapport avec ce qu’il est en train d’écouter ou de lire, ce qui accroît l’activité de compréhension.

Quant à l’enseignant, encore une fois, il sera placé au centre des propositions didactiques : il sera le guide de la prise de notes. C’est sur lui que repose la charge de garantir ou du moins d’assurer la meilleure prise de notes possible. Pour cela, il aura à adapter sa manière d’exposer son cours au type d’auditeurs qu’il aura en face de lui et à leurs niveaux. Garantir une prise de notes complète en procédant à une dictée de ses propres notes part, certes, d’intensions louables mais cette manière de procéder s’avère très coûteuse en effort de dictée et en temps. De plus, elle aliène l’apprenant et l’enchaîne à la parole du professeur ce qui ne permet d’amener l’apprenant à cette autonomie que l’enseignement est censé développer chez lui. Elle peut donc constituer un frein à une prise en charge par ses apprenants d’une part importante de leur apprentissage, de la même manière qu’elle peut être s’avérer fatigante et lassante pour l’enseignant ainsi que préjudiciable à la qualité de son cours. En effet, en assurant une dictée minutieuse, le professeur peut avoir la certitude que ces étudiants seront en possession d’un cours complet. Mais ce qui est gagné en certitude de transmission quantitative d’informations risque d’être perdu en transmission qualitative de ces informations. Le discours tenu par l’enseignant perd en spontanéité et en « fraîcheur » ce qui, au bout d’un moment, risque d’altérer l’intérêt et l’attention portés à la compréhension, l’auditoire se préoccupant plus de ne rien « rater », de tout transcrire ou recopier plutôt que de prendre le temps de comprendre. Il s’agit donc de travailler sur le discours de l’enseignant et de le préparer en lui suggérant les procédés à éviter et ceux à ré- exploiter.

Projet INCA : C’est en partant du constat de la difficulté pour des étudiants étrangers de prendre des notes à partir du discours du professeur lors d’un cours magistral que le projet INCA a été mis en place sous la direction de C. Parpette (Université Lumière , Lyon2). Nous avons eu la possibilité d’y participer tout au début, d’effectuer et de voir quelques analyses effectuées par les autres membres participants sur les discours des enseignants. Le projet vise à mettre en place une aide informatique, un logiciel, destinée aux étudiants étrangers afin de les familiariser à la prise de notes lors des cours magistraux qu’ils doivent suivre. Ainsi, en partant d’études des discours d’enseignants en Sciences économie à Lyon2, cours enregistrés, transcrits et analysés, et en s’appuyant sur les spécificités de ces discours, une suite d’exercices est proposée afin d’amener, progressivement, les apprenants vers une certaine maîtrise de cet outil primordial qu’est pour eux la prise de notes. Pour réaliser cet objectif, des activités de compréhensions sont proposées. Les apprenants auront à répondre à des questions sur le contenu et sur la langue, ils seront amenés à faire des résumés, mais aussi - grâce à la possibilité d’écouter des extraits de quelques cours - les apprenants travailleront sur les attitudes de l’enseignant afin de pouvoir reconnaître quelques-uns des points qui vont faciliter leur travail dans des situations réelles de cours magistraux. Ces différents exercices sont proposés avec des corrigés et un travail avec un professeur est prévu pour un exercice de synthèse qui projette une réutilisation de ce qu’ils ont compris dans un autre contexte. Des outils de compréhension ou d’aide à la compréhension sont aussi mis à la disposition des apprenants tels que la transcription, le lexique, les cartes, les graphiques liés au cours ou à l’extrait du cours traité.

Cette initiative nous paraît intéressante à voir de plus près et peut-être à adapter dans les situations qui nous concernent. Avoir recours à un logiciel ou un outil informatique pour dispenser des enseignements ciblés reste peut-être pour le moment un rêve plutôt difficile à réaliser mais la possibilité de le faire dans un futur - proche, nous l’espérons - est plus qu’envisageable vu les orientations nouvelles tant au niveau international que national.