J. Dolz et B. Schneuwly (1998) déplorent la quasi-absence de travaux didactiques qui orienteraient le recours à l’exposé dans les activités de classes ainsi que ses procédures d’évaluation. « L’exposé reste de ce point de vue une activité largement traditionnelle dans laquelle, pour toute pédagogie, les acquis antérieurs des élèves, voire leurs dons, quand ce n’est pas tout simplement l’aide des parents au moment de la préparation, viennent s’exposer devant la classe … » (Dolz & Schneuwly, 1998 : 141). Ceci est tout aussi valable dans le cas qui nous intéresse ici, à savoir l’enseignement scientifique. Nous ne l’avons que trop dit mais nous le redisons quand même : les étudiants n’ont pas l’habitude dans leur spécialité de préparer des exposés et de prendre la parole afin d’exposer leurs idées, de les soumettre à la classe ainsi qu’à leur enseignant et à leurs remarques ou critiques, de défendre ce qu’ils ont présenté. Le genre « exposé » reste peu ou pas du tout exploité dans l’enseignement des sciences à l’université alors qu’il est assez fréquent dans les enseignements antérieurs (primaires et secondaires). Pourtant, un retour à l’enseignement de cet oral nous paraît revêtir de l’importance dans ce que ces apprenants auront à en faire. En effet, l’exposé est une épreuve de prise de parole qui pourrait devenir un bon entraînement pour ces apprenants. Elle les préparerait à leur future tâche d’enseignant, mais aussi, pour ceux qui choisiront de poursuivre leurs études, à la réalisation de mémoires et de travaux de fin d’études qu’ils seront amenés à faire à la fin de leur cycle d’apprentissage et qui comportent une épreuve d’exposition orale. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’expérience suivante menée par G. Delenze. Nous allons donc la présenter en établissant des liens avec le profil des apprenants dans il est question dans notre propre recherche (les étudiants en sciences) et ce afin de proposer une séquence didactique sur l’exposé oral.
Etat de lieu d’une expérience et adaptation : G. Delenze (2005) a mis en place, dans le cadre d’un enseignement pour des formateurs, un cours de Techniques d’Expressions Orale et Ecrite qui complète un cours de Maîtrise de la Langue Orale et Ecrite. Ce premier cours vise à donner aux futurs formateurs des éléments les aidant à mieux gérer et générer leurs exposés. Le fait qui nous interpelle et nous pousse à réfléchir à cette expérience, en vue de la transposer et de l’adapter à notre situation et à nos objectifs, est que ce cours s’inscrit dans la perspective générale d’une prise de conscience des différents paramètres et niveaux de l’exposé, et dans la perspective d’une mise à la disposition des apprenants des moyens permettant de répondre aux différentes exigences de ce type d’exercice oral. Un apprentissage sur étapes est alors préconisé : une étape de conceptualisation générale et une autre de structuration. Pour cela, les apprenants sont familiarisés avec certaines notions telles que la notion de genre, le schéma de communication 54 et la situation de communication, ses récepteurs et ses émetteurs en plus de ses codes, les notions de motivations psychologiques, de contraintes de l’univers etc.
G. Delenze a constaté que les étudiants, grâce notamment à ce schéma, arrivent plus facilement à prendre conscience du fait qu’il ne suffit pas d’appartenir à la même communauté pour se comprendre et qu’il faut aussi recourir à certains outils tels que la reformulation, la définition, la paraphrase pour y arriver. Aboutir à un tel résultat serait bénéfique aussi pour nos étudiants d’autant plus que dans la situation de communication fictive que nous avons créer pour les besoins de notre étude, et dans celle plus réelle de la situation de classe, le décalage entre récepteur et émetteur, entre le (futur) enseignant et ces (présumés) élèves pose un problème de connaissances, de niveau de savoir, de transposition didactique. Pour les apprenants auxquels G. Delenze a eu affaire, la situation de communication impose de tenir compte d’un décalage de nature presque opposée : un décalage entre eux et un jury plus compétent, situation à laquelle il n’est pas exclu que certains de nos étudiants soient amenés à faire face en cas de poursuite d’études poussées.
De même, cet apprentissage amènerait les étudiants à se rendre compte des enjeux psychologiques (selon que l’on se positionne du côté du récepteur-jury ou du côté de l’émetteur-examiné qui, lui, subit la pression de l’examen), ainsi que des « conditions concrètes de la communication et les contraintes stylistico-thématiques liées au genre » (Delenze, 2005 : 62). Ils se rendraient compte qu’il faut « (…) tenir compte du niveau des interlocuteurs, de l’espace où cette défense se déroule » (Delenze, 2005 : 63). Ils se rendraient compte aussi qu’il faut prouver leur aptitude à entrer dans la communauté scientifique et discursive dont les représentants sont en face d’eux. Ces phénomènes revêtant une dimension générale, nous pensons pouvoir attendre une telle prise de conscience chez nos étudiants lors du traitement de l’exposé en tant qu’épreuve certificative ou en tant qu’exercice en classe - la formation scientifique ne constituant pas d’obstacle. Nous pouvons aussi escompter un tel résultat chez les futurs enseignants avec en plus une prise de conscience du fait que dans l’univers de la classe, ils sont les représentants de la communauté scientifique et discursive en question et qu’en tant que tels il leur incombe d’en être les dignes représentants aux yeux de leurs élèves. Le schéma de communication s’inscrit alors dans une perspective didactique : comment défendre, persuader, structurer, expliquer, argumenter oralement ? Quelles capacités mobiliser lors de la réalisation du schéma de communication pour aboutir aux finalités souhaitées ?
« Les trois ordres de capacités langagières » décrits et définis par J. Dolz et B. Schneuwly (1998) sont au centre de l’étape de conceptualisation proposée. Les apprenants sont amenés à prendre conscience par eux-mêmes de ces trois ordres, à savoir celui des « capacités d’action » - ou comme les reprend aussi G. Delenze « les capacités communicationnelles » -, celui des « capacités discursives » et celui des « capacités linguistico-discursives » (Dolz & Schneuwly, 1998). Pour cela, ils sont amenés à faire un exposé improvisé et rapide en rapport avec l’épreuve orale qu’ils vont subir : proposer une séquence didactique et défendre leurs choix et leurs points de vue. Des observations sur les facilités et les difficultés constatées sont collectées et répertoriées dans les trois ordres de capacités citées. Les apprenants sont ensuite invités à réfléchir, par eux-mêmes, sur les éléments qui pourraient compléter ces données et répondre aux besoins et aux capacités spécifiques nécessaires à la bonne réalisations de la tâche : pour un certain nombre de nos étudiants, il pourrait s’agir de la défense orale de leur travail de fin d’études comme c’est le cas pour les apprenants de G. Delenze. Pour d’autres, il s’agit d’une prise de parole en tant qu’enseignant. En fonction de quoi, certains éléments ou critères seront alors définis notamment des critères relatifs aux récepteurs (jurys /apprenants), au contenu du discours et à son organisation (directement liés au programme officiel), aux registres de langue (soutenus/ variés) et aux opérations de facilitation d’accès aux informations etc. Cette étape de prise de conscience et de la détermination des composantes des différentes capacités n’est pas difficile à transposer dans le cadre d’un enseignement destiné à des étudiants scientifiques, les difficultés et les facilités étant identifiées et traduites par les apprenants eux-mêmes et dans leurs propres termes et complétées par eux pour répondre à leurs attentes et leurs besoins, sous le regard vigilant bien entendu de l’enseignant.
L’étape de contextualisation effectuée, les apprenants passent alors à la phase de structuration. Il s’agit d’apprendre aux étudiants « à planifier leur exposé de manière à la fois cohérente et explicitée » (Delenze, 2005 : 66). Ils prennent connaissance des différentes phases de l’organisation d’un exposé 55 telles qu’elles sont déterminées par J. Dolz et B. Schneuwly (1998 : 144-145) et reprises par G. Delenze 56 (2005 : 66-67), à savoir :
Pour reprendre un peu ce que nous venons de présenter, nous proposons, à la suite de G. Delenze et de J. Dolz et B. Schneuwly, une séquence didactique construisant comme suit :
Il s’agira d’amener les apprenants à se rendre compte par eux même des défaillances dans leurs exposés par des critiques portées sur leur propre travail et sur celui des autres. Aussi, il faudrait les amener à prendre conscience du travail de contextualisation et de structuration qui se fait en amont de la présentation et à réfléchir là-dessus afin d’évaluer les efforts fournis pour ces deux niveaux.
Les étudiants sont donc invités à tenir compte des différentes étapes d’un exposé dans leurs travaux. Et pour les aider à mieux gérer ces travaux, J. Dolz et B. Schneuwly ainsi que G. Delenze (op. cit) proposent de faire accompagner et de compléter ces enseignements, de contextualisation et de structuration, par un enseignement « de(s) formes qui permettent (et nécessitent) de construire des opérations linguistiques (plus ou moins) spécifiques à ce genre de texte. » (Dolz & Scheuwly, 1998 : 145). Les opérations les plus importantes pour la construction d’un exposé sont alors présentées appuyées par des exemples. Ce qui, d’un côté, en favorise une meilleure compréhension et, de l’autre, permet de souligner les nuances qui peuvent exister selon les différents contextes et de faire prendre conscience aux étudiants que les expressions ne sont pas équivalentes même si elles assurent les mêmes rôles 57 . Ces rôles sont les suivants :
L’accent est alors mis sur l’importance des notes ou du canevas dans la préparation de l’exposé. Cet objet essentiel, et outil d’appui, qui véhicule les différentes étapes et les différents éléments de l’exposé, devra alors faire l’objet d’une attention particulière de la part des apprenants. Différentes sortes de notes peuvent constituer cet objet et peuvent varier entre des textes entièrement rédigés et des notes sommaires. De manière générale, différents didacticiens du genre sont d’accord sur le fait qu’il n’existe pas de méthodes ou de notes meilleures que d’autres, et par conséquent pas de type de lecture ou d’oralisation meilleur qu’un autre. Mais ils se rejoignent aussi pour dire qu’un enseignement des différents modes d’exposition est utile. Dans ce sens, des ateliers de poésie et de théâtre sont souvent proposés, par exemple, pour un travail sur la mémorisation. Ce travail serait certes intéressant pour des élèves de lycées par exemple, mais vu les objectifs professionnels immédiats des universitaires, il serait, à notre avis, plus avantageux de cibler, dans ce cas, des textes qui soient plus en rapport avec les spécialités telles que des faits historiques liés à des découvertes scientifiques, passages importants de la vie de grands chercheurs etc. et qui soient directement associés à leurs cours. Ces mêmes sujets pourraient alors faire l’objet de discussions suscitant la parole spontanée. Seront mis en avant quelques éléments - qui vont favoriser la compréhension par les auditeurs et susciter et mobiliser leur intérêt ainsi que leur attention - notamment : le rôle de la voix (forte et claire), de la bonne articulation, du débit de la parole (ni trop rapide ni trop lent), des pauses (afin de laisser un temps pour l’assimilation), de la variation des tons de la voix, des suspens ménagés, de la gestuelle, de la posture etc.
Il est important de noter aussi le rôle important que jouent certains supports tels que les schémas, les graphiques et, de plus en plus, certains outils et supports techniques tels que les rétroprojecteurs, les transparents, le PowerPoint etc. la plupart de nos étudiants n’ont jamais eu à utiliser ces différents outils. S’exercer à les manipuler, à les intégrer dans leurs travaux, à en tenir compte dans leurs présentations et les considérer non comme des faits décoratifs ou fétiches mais comme supports dans la construction de discours et donc apprendre à tirer profit de leur utilisation, tout ceci nous semble être des objets d’études indispensables qu’il faudrait intégrer dans les cours.
Les objectifs à atteindre sont ainsi déterminés par J. Dolz et B. Schneuwly (1998 : 148) comme suit :
Dans la séquence didactique que nous proposons, ces objectifs à atteindre serviront de points d’appui pour l’évaluation des travaux des apprenants selon qu’ils en tiennent compte ou non, que leurs exposés les réalisent en non. Ainsi, certains problèmes seront identifiés et ciblés par la suite. Bien entendu, l’évaluation peut être de l’auto-évaluation, l’orateur réfléchissant sur son propre travail et le critiquant ; ou alors l’évaluation de l’enseignant et même des autres camardes de classe. L’intervention de ces derniers devra alors se faire dans une perspective objective d’aide et d’appréciation du travail de l’exposant et non d’une critique négative et non constructive.
J. Dolz et B. Schneuwly (1998) proposent un enseignement diversifié de différents regroupements de genres 58 . Le regroupement de genres qui s’inscrit sous l’intitulé « Exposer » comporte « l’exposé oral, la conférence, l’interview d’expert, le dialogue explicatif, etc. » (Dolz. J & Schneuwly. B, 1998 : 86). L’enseignement préconisé par les auteurs abordera un genre ou plus par cycle d’apprentissage ce qui présente des avantages pour les apprenants. Ces derniers ne voient plus l’oral comme un bloc unique dont on maîtrise tout ou rien, mais comme un ensemble de sous-domaines (argumenter, narrer, exposer, relater, régler les comportements) qui font appel à des capacités dont on peut maîtriser les unes plus que les autres et qui présentent autant de voies d’accès à la réalisation de la tâche globale, Exposer 59 . Cet enseignement présente aussi un avantage didactique, celui de favoriser l’apprentissage par une comparaison entre les genres dans les regroupements et entre les regroupements. Il en découle aussi un avantage psychologique lié au transfert des opérations langagières maîtrisées dans un genre à un autre et à l’ensemble de la langue. Ceci, toutefois, dans la mesure où un apprentissage de tous les genres est dispensé à tous les niveaux - les auteurs soulignant que le transfert seul ne peut pas être le garant du bon développement des capacités nécessaires à la maîtrise d’un genre et que « il paraît très peu probable que travailler dans l’un permette de développer efficacement les capacités pour maîtriser l’autre » ( op. cit. : 87).
G. Delenze fait référence au schéma de communication de Kerbrat-Orecchioni, C. (1999) in l'énonciation , Paris, Armand Colin, p.22.
Ces phases s’appliquant à un exposé oral, c’est seulement dans ce cadre que nous les présentons. Nous nous réservons toutefois le droit de faire un parallèle avec la situation d’enseignement si possible.
G. Delenze se réfère pour la description et la terminologie des phases à Dolz, J. & Chneuwly, B. (1998) : Pour un enseignement de l’oral, Paris, ESF et à Mairal, Ch. et Blochet, P. (1998) : Maîtriser l’oral, Paris, Magnard. Pour notre part, nous utilisons uniquement la terminologie de Dolz & Chneuwly.
G. Delenze a préparé pour ces étudiants une fiche de recensement des expressions de restructurations utiles en réponse à leur propre demande et à leur sentiment d’être « démunis » à ce niveau.
Pour une description des regroupements, voir Dolz, J. & Schneuwly, B. (1998), p.86.
Les auteurs parlent de « principe pédagogique de différenciation ». (p.87)