5- les spécificités du discours de l’enseignant : le discours spécialisé, le discours universitaire

Le discours de l’enseignant, comme nous l’avons souligné plus haut, présente des particularités formelles et une structuration qui font sa spécificité. Nos étudiants semblent avoir noté quelques-uns des outils utilisés par leurs enseignants tels que les ancrages énonciatifs, les bribes, les reformulations etc. Familiarisés avec ce genre de procédés, les apprenants les ré-exploitent mais de manière imitative vu qu’ils n’ont pas reçu d’enseignement spécifique sur la construction de ce type de discours oral. C’est donc un tel enseignement que nous préconisons. Un enseignement qui ferait passer les intuitions des étudiants du stade d’intuition à un niveau plus théorisé et scientifique (au sens général du terme). Des étiquettes seront alors mises sur les phénomènes langagiers utilisés. Stabilisées, ces connaissances permettraient à court terme, c'est-à-dire dans leur cursus scolaire et dans une perspective de réception, de mieux comprendre et appréhender le discours de leur enseignant ; et à long terme, c'est-à-dire dans leur vie professionnelle et dans une perspective de production, de mieux organiser leur discours oral. R. Bouchard (1996) cite entre autres, l’exemple des « faux » balisages et des modalisateurs. Pour les faux balisages, comme « alors » ou « donc », dans la mesure où ils interfèrent au niveau de la réception des informations et où les orateurs y ont souvent recours de manière automatique et vide de sens, apprendre aux étudiants à les reconnaître leur éviterait de faire des erreurs d’interprétations et d’inférer des rapports de conséquences et de causes à effet là où il n’y en a pas. Des erreurs d’interprétations d’autant plus graves que dans un discours scientifique des implications scientifiques importantes peuvent en être sérieusement faussées. L’autre exemple, celui des modalisateurs, s’ils traduisent une certaine hésitation ou alors permettent de « mettre en valeur l’élément en suspens » (Bouchard, 1996 : 7), sont aussi des moyens de construction par expansion du discours et forment des points d’appui pour les reformulations. Leur intégration dans le discours oral permet de mieux gérer et générer les longues séquences et de marquer leur dynamique de construction. Connaître ces outils, leurs utilités, leurs utilisations serait alors des objectifs importants à atteindre. Ils sauraient donner à leurs utilisateurs quelques-uns des moyens assurant la bonne réalisation de leur discours « enseignant ».

D’un autre côté, les pratiques langagières du discours de l’enseignant contiennent en elles les pratiques langagières du discours spécialisé oral et écrit. L’enseignement des caractéristiques de ce discours reviendra alors sur des phénomènes rencontrés dans la bouche (et sous la plume) des enseignants : la prise en compte du contexte, de l’intention communicationnelle, de l’organisation thématique, de l’organisation séquentielle, des marqueurs de discours, des connecteurs, des discours rapportés et de l’intégration des discours d’autrui dans son propre discours, de l’intertextualité, des marqueurs énonciatifs, des modalisations. Mais aussi sur des phénomènes spécifiques en rapport étroit avec la spécialité telle que la récurrence de certains thèmes, cités par J-P. Cuq (2002 : 327), comme l’observation, le repérage, le classement, la présentation, l’exposition, l’explication, la justification, la comparaison etc. Les méthodes d’enseignement du français destiné à des publics spécifiques ont abordé ce volet en traitant et en dressant des listes de mots spécifiques à certains thèmes, en abordant les articulateurs logiques servant à exprimer les différentes opérations logiques telles que la démonstration, l’hypothèse, les relations de cause à effet (ou à conséquence), d’opposition, de restriction, de but etc.

Autres spécificités du discours scientifique : l’oralisation ou l’inscription de formules symboliques, leur introduction dans le discours, l’enchaînement entre elles et le reste du discours en langage naturel. Nous proposons d’insister sur ces phénomènes et sur les outils langagiers assurant la coordination et la continuité entre les codes symbolique et naturel. Il serait bénéfique pour les apprenants de voir cette formation contenir un enseignement qui cible un fait précis très significatif dans leur spécialité, à savoir l’enseignement de différentes expressions pouvant assurer ces rôles d’enchaînements et introduire des équations, des schémas, des données mathématiques, des exemples et, au contraire, des expressions qui permettent de quitter le langage schématique et de revenir au langage naturel. Nous avons noté aussi dans l’analyse des corpus écrits un recours important aux éléments de hiérarchisation (titres, sous-titres, tirets, astérisques, retraits etc.). Toutefois, ces éléments ne sont pas toujours exploités au mieux. Ils ne sont pas toujours le reflet de la structure et du plan du texte et parfois même, ils peuvent accentuer l’effet de manque de structuration noté dans les productions de certains. Aussi, pour palier à ce déficit, nous préconisons un retour sur ces indices en tant qu’outils dont l’utilité dépasse, dans le texte, le simple fait de schématisation en surface et la décoration mais touche plutôt sa structuration et son intelligibilité. En outre, les étudiants auraient besoin d’un enseignement pour stabiliser les codes du langage symbolique qu’ils manipulent, la simple imprégnation par une exposition massive et de longue durée ne portant pas toujours ses fruits. En effet, un des faits que nous notons chez nos participants est une sorte de flottement dans la réalisation, à l’oral ou à l’écrit, de ces formules et autres signes symboliques. Nous avons même noté chez un des participants une incapacité à relire les symboles et les formules. Sur ce point, l’aide d’un enseignant spécialiste sera certainement à envisager afin de déterminer et de mettre en place les codes adéquats.

Au travers et en parallèle de l’apprentissage de ce discours oral, un apprentissage de l’écrit spécialisé est préconisé en retour. Les étudiants ayant appris à reconnaître les spécificités du discours oral, leur rôle et leurs utilisations, ayant appris à définir les finalités de leur discours, à analyser la situation de production et de réception de leur texte, il est escompté qu’ils soient capables de reconnaître à chaque discours ces particularités et ces composantes et de ne pas véhiculer dans l’un des traces de l’autre.

Enfin, le discours enseignant pose une autre problématique : celle du discours scientifique en mouvance, du savoir muable, en continuel renouvellement et remise en question. Au-delà de la notion de la vérité, c’est aussi cet état d’esprit et ce rapport au savoir qu’il faut cultiver chez les apprenants afin qu’ils puissent avoir une vision plus critique et plus constructive, une vision de chercheurs.