1. La notion de pratique enseignante

Les recherches sur les pratiques enseignantes deviennent de plus en plus nombreuses de nos jours. L'intérêt scientifique de ces recherches et ses enjeux sont importants vu que la demande sociale en matière de réussite de l'école, de qualité et d'efficacité de l'enseignement est forte et que la formation des professeurs prend une ampleur et se développe afin de faire de l'enseignement un vrai métier dont les pratiques seraient théorisées. L'enjeu principal de ces recherches est de comprendre les modalités des pratiques enseignantes en classe, leur organisation, leur fonctionnement, les processus en jeu, pour en comprendre les relations avec les apprentissages des élèves.

La notion de pratique est employée dans un bon nombre de recherches et constitue leur objet d'étude: on parle de pratiques d'enseignement, d'apprentissage, d'enseignants, d'élèves, de pratiques pédagogiques, culturelles, professionnelles, institutionnelles, familiales, etc. Cependant il n'existe pas une définition univoque de la notion de "pratique" mais plusieurs définitions selon les disciplines, les champs théoriques et les problématiques. Nous reprenons quelques définitions et caractéristiques des pratiques données par des chercheurs et explicitons ensuite ce que nous entendons par cette notion.

Les travaux des chercheurs sur les pratiques enseignantes ont été en grande partie influencés par l’œuvre du sociologue Pierre Bourdieu (1980), « le sens pratique », qui a traité la question des pratiques dans une approche sociologique.

Durand (1996), psychologue, définit la pratique en utilisant la  théorie de l'activité. Pour lui, activité désigne ce que fait un agent pour réaliser une tâche ; elle regroupe le comportement observable (la composante motrice ou verbale) et l'activité cognitive qui s'y rapporte (les processus activés par l'agent). Nous retrouvons également cette double dimension chez des chercheurs en sciences de l'éducation comme Beillerot et Altet. Beillerot (1998) considère que c'est la double dimension de la pratique qui la rend précieuse, en précisant d'un côté les gestes, les conduites, les langages et de l'autre, les objectifs, les stratégies et les idéologies. Altet (2002) évoque également ces deux dimensions en les qualifiant de pédagogique et didactique. Elle définit la pratique enseignante comme "la manière de faire singulière d'une personne, sa façon réelle, propre d'exécuter une activité professionnelle : l'enseignement". Pour elle, "la pratique, ce n'est pas seulement l'ensemble des actes observables, actions, réactions mais cela comporte les procédés de mise en œuvre de l'activité dans une situation donnée par une personne, les choix, les prises de décision. (…) La pratique enseignante recouvre bien les deux dimensions pédagogique et didactique dont il s'agit de comprendre l'articulation fonctionnelle et la cohérence."

Robert et Rogalski (2002) évoquent par contre plusieurs composantes des pratiques enseignantes: les composantes cognitives et médiatives qui correspondent aux analyses réalisées en classe (choix des énoncés et de la gestion de la classe), la composante sociale (liée à l'établissement), la composante institutionnelle (les programmes et instructions officielles, les horaires, les manuels) et enfin la composante personnelle (liée à la formation et au parcours de l'enseignant). Ces différentes dimensions rentrent en jeu et influent sur les choix individuels dans une pratique de classe.

D'autres chercheurs en science de l'éducation, comme Barbier (2000), définissent la pratique non pas comme une manière de faire d'une personne mais plutôt comme un processus de transformation d'une réalité en une autre réalité, requérant l'intervention d'un opérateur humain (procès opératoire). Il s'intéresse aux processus d'accompagnement d'une pratique qu'il désigne par "procès de conduite" qui comporte les "gestes mentaux" et les "phénomènes représentationnels" et par "procès affectif" qui comporte les "phénomènes indissociablement liés à l'image de soi, individuelle ou collective".

Bru (1991 ; 2001) évoque le caractère organisationnel des pratiques. Pour lui, les pratiques des enseignants, si elles sont des objets complexes, n'évoluent pas de façon chaotique. On peut repérer des invariances à partir de l'étude des stabilisations intra-individuelles et interindividuelles de ces pratiques. Tenter de décrire et d'expliquer les pratiques des enseignants en contexte consiste à étudier les organisateurs de ces pratiques.

Chevallard (1999) considère que la pratique enseignante se caractérise par le rapport personnel d'un individu x à un objet o… toute activité humaine consiste à accomplir une tâche t d'un certain type T au moyen d'une certaine technique, justifiée par une technologie, à son tour justifiable par une théorie. Pour lui, toute pratique se laisse analyser en un système de tâches, c'est-à-dire d'activités bien circonscrites qui se découpent dans le flux de la pratique.

Blanchard-Laville (2002), dans une approche clinique, s'appuie sur le modèle de Chevallard. Pour elle la pratique "c'est la posture, c'est-à-dire la façon d'investir la tâche, de se relier aux différents objets (au sens psychique du terme) que sont les élèves, le savoir, l'institution, qui détermine la pratique"

Nous retenons de toutes ces définitions le fait qu'elles évoquent "ce que font les individus et comment ils le font". Cependant, nous adoptons la définition donnée par Sensevy et Mercier (2007) qui reste la plus fonctionnelle pour nous. Dans une approche comparatiste en didactique, ces auteurs définissent la pratique en utilisant la notion d' "action didactique", c'est-à-dire "ce que les individus font dans des lieux (des institutions) où l’on enseigne et où l'on apprend", en considérant que cette action est réalisée conjointement par le professeur et ses élèves. En effet, nous utilisons dans notre étude la notion de "pratiques de classe" plutôt que "pratiques d'enseignement" ou "pratiques enseignantes" puisque nous considérons la classe comme un système et que la façon dont fonctionne ce système influence l'apprentissage des élèves. La pratique de classe serait donc une "action conjointe" du professeur et des élèves qui contribuent ensemble à l'élaboration du savoir dans la classe et à son apprentissage par les élèves.