3.2. Une variété d’autres approches 

Parmi les travaux qui se centrent plus sur les pratiques enseignantes, certains s'inscrivent dans le courant des processus interactifs contextualités, qui tente de rendre intelligible le processus enseignement-apprentissage en contexte en le traitant comme un processus interactif situé, et en identifiant la combinaison de ses différentes variables. Certains de ces travaux sont quantitatifs, leur méthodologie est basée en général sur des entretiens, des questionnaires et des grilles d'observations que les auteurs de ces travaux cherchent à perfectionner. Ces auteurs, considérant que les configurations des pratiques ne sont pas aléatoires, cherchent à en identifier les organisateurs à partir de la combinaison de variables, pour saisir comment ils fonctionnent. Ils étudient les comportements verbaux et non verbaux des enseignants, les processus interactifs en classe et les processus cognitifs (pensée des enseignants, représentations, planification, décisions…). (Bru et Talbot, 2001 ; Clanet, 2001). Certains de ces travaux s'intéressent en parallèle à la formation des enseignants (Bataille et Clanet, 2001 ; Marcel, 1998).

D'autres recherches, s'inscrivant de même dans le courant des processus interactifs contextualisés, mettent en jeu, à la différence de celles que nous venons de citer, des analyses qualitatives fines de pratiques singulières pour pouvoir en repérer le fonctionnement. Elles s'intéressent de même aux processus interactifs considérant que le processus d'enseignement-apprentissage fonctionne comme un travail interactif d'ajustements, de négociations, de transactions et de compromis permanents (Altet, 2002 ; Vinatier, 2002). Ces recherches se basent par contre sur des analyses des pratiques enseignantes qui croisent plusieurs approches disciplinaires: psychologie, sociologie, pédagogie, didactique et épistémologie.

Dans une perspective socioculturelle, Scott & Mortimer (2003 et 2006) mènent des études de cas dans des classes de science. A la différence des autres recherches citées qui prennent en compte les interactions mais sans les analyser finement, ces études se basent sur l'analyse des interactions et du genre de discours, s’appuyant sur les travaux de Bakhtin (1986), avec une centration sur le rôle du professeur, en particulier le rôle qu’il joue dans l'internalisation des nouvelles idées scientifiques par les élèves. Au cœur du cadre théorique, nous retrouvons le concept de "communicative approach" développé par ces auteurs et qui rend compte de la façon dont le professeur travaille avec les élèves afin de développer des idées dans la classe. Cette approche communicative, les auteurs regardent si le professeur interagit ou non avec les élèves (discours interactif ou non interactif) et si les idées des élèves son prise en compte lors du déroulement des leçons (discours dialogique ou authoritatif). Le discours est découpé en épisodes et les "patterns" de l'interaction sont caractérisés afin de rendre compte de l'approche communicative.

Des chercheurs (Niedderer et al., 2007), dans la ligne des travaux sur l’évolution des conceptions avec l’enseignement, mènent des études de cas dans des classes de science, centrées sur l'apprentissage, en suivant un groupe de deux ou trois élèves pendant une séquence d'enseignement. Ces analyses qualitatives fines visent à comprendre les processus d'apprentissage en termes d' "évolution des idées des élèves" ou de "changement conceptuel". La relation entre enseignement et apprentissage est étudiée en termes de résonnance entre certains éléments du contenu enseigné et l'évolution des conceptions des élèves (Budde, 2002) ou en termes d'influence de différents éléments de l'environnement de l'élève (sociaux, expérimentaux, matériel d'enseignement) sur l'évolution de ses idées (Givry, 2003).

Des recherches menées par des sociologues et des psychologues s'intéressant aux processus de construction des inégalités scolaires mettent en œuvre une approche à la fois relationnelle et contextuelle (Bautier et Goigoux, 2004 ; Rochex, 2004). L'approche relationnelle considère les inégalités scolaires comme résultant de la confrontation entre d'une part, les caractéristiques et dispositions socio-cognitives et socio-langagières des élèves et d'autre part, l'opacité et le caractère implicite des réquisits des apprentissages scolaires, des modes de fonctionnement du système éducatif, des pratiques professionnelles et des modes de travail qui sont mis en œuvre ou exigés des élèves. L'approche contextuelle met en rapport les modes de faire et les modalités d'interprétation des situations scolaires des élèves et des professionnels du système éducatif, avec les contraintes de situations et avec les contextes socio-géographiques et institutionnels dans lesquels s'exercent leurs activités (Rochex, 2007).

D'autres chercheurs abordent la question du savoir et le rapport au savoir des sujets mais dans une approche codisciplinaire articulant plusieurs approches théoriques (notamment didactique des mathématiques, psychologie sociale et psychologie clinique à orientation psychanalytique) pour analyser un même corpus (Blanchard-Laville, 2002 ; Hatchuel, 1999). A la différence des travaux déjà cités, les dimensions psychique et sociale sont prises en compte afin d'étudier l'individu dans son rapport au savoir. Il s'agit souvent de recherches longitudinales qui observent des individus sur une longue durée (une année ou deux). Des enregistrements vidéo et des entretiens sont réalisés avec l'enseignant. Certaines de ces recherches se trouvent en lien étroit avec la formation des enseignants (Chaussecourte et Blanchard-Laville 2000).

Dans le cadre de l’approche comparatiste en didactique, plusieurs chercheurs se centrent sur l’action conjointe du professeur et des élèves avec des cadres théoriques reprenant la tradition française issue de la didactique des mathématiques en particulier la théorie des situations de Brousseau (1998) et/ou les gestes professionnels de Chevallard (1999) (Sensevy et Mercier 2007 ; Amade-Escot, 2006 ; Rilhac, 2007). L'accent est mis sur le savoir partant de l'hypothèse que les savoirs donnent leur forme aux pratiques et l'analyse du savoir est faite selon son avancement dans le temps, la responsabilité que les différents acteurs de la situation ont envers lui et l'étude des milieux dans lequel il évolue. La plupart de ces travaux partent de données prises en classe, essentiellement des enregistrements vidéo, complétés, selon la méthodologie, d’entretiens, de productions écrites des acteurs, etc.

Nous partageons l'orientation des travaux coordonnés par Sensevy (2007) visant à relier pratiques de classes et performances des élèves. Ces travaux vont dans le sens de l'hypothèse du rôle prépondérant du savoir dans la classe et de la centration sur l'action conjointe du professeur et des élèves: "Nous persuadant en effet que les savoirs donnent leurs formes aux pratiques d’enseignement et d’apprentissage, nous voulons plus généralement considérer que ce sont les contenus des pratiques qui déterminent leur structure… comprendre l’action, c’est d’abord comprendre comment le contenu propre à cette action la spécifie" (Sensevy, 2007, p.9). Nous faisons donc le choix de nous centrer sur le savoir sans prendre en compte les composantes psychiques et sociales (Blanchard-Laville, 2002 ; Rochex, 2007) et les composantes affectives (motivation et intérêt) (Hidi, 2006 ; Venturini, 2004), bien qu'étant conscientes du rôle que ces composantes ont dans le processus enseignement-apprentissage. Les interactions ne sont pas abordées finement comme elles le sont par Scott et Mortimer (2003 et 2006) mais nous les analysons plutôt comme des indicateurs des positions des différents acteurs de la classe envers le savoir.

Notre étude est une étude de cas à la fois qualitative et quantitative. Elle est qualitative dans la mesure où elle s'intéresse à un petit échantillon de classes (trois classes) et essaie de comprendre son comportement et son fonctionnement de manière profonde. A la différence des études quantitatives menées par Fischer (2005) et Bru (2001) et qui étudient un grand échantillon d'individus, nous qualifions également notre étude de quantitative dans la mesure où elle met en jeu des données numériques lors de l'analyse questionnaires de même que lors de l'analyse des pratiques de classes. Globalement notre étude se situe dans la méthode d’analyse de cas et ne peut ainsi conduire qu’à des résultats en forme d’hypothèses.

Nos approches théorique et méthodologique seront détaillées dans les chapitres suivants.