1. Savoirs et connaissances

Les termes "savoirs" et "connaissances" sont souvent utilisés de manière indifférenciée dans la littérature et peu d'auteurs en donnent des définitions précises. Par contre, dans la langue anglaise, ce problème n'existe pas puisqu'un seul terme est employé pour parler de savoirs ou de connaissances, "knowledge". Nous essayons ici d'exposer les significations de ces deux termes et les différences entre eux selon quelques auteurs afin de préciser ensuite ce que nous entendons par le terme "savoirs" qui est au centre de notre étude.

Pour Vergnaud (2007, p.1), "la connaissance est adaptation. L'individu s'adapte à des situations ; c'est par une évolution de l'organisation de son activité qu'il s'adapte". Vergnaud (2007) distingue deux formes de la connaissance, "la forme opératoire de la connaissance" qui permet de faire et de réussir, et qu'on résume aujourd'hui sous le terme de "compétence" et "la forme prédicative de la connaissance" qui permet de dire sur le faire, de communiquer son savoir-faire. Pour Brousseau (1998) aussi, il existe deux formes de connaissances, "celles qui s'expriment sur le mode "déclaratif" et "celles qui s'expriment sur un mode plus "procédural"". Selon ces auteurs, l'une de ces deux formes de connaissances est implicite alors que l'autre est explicite:

‘"il y a des individus dont les compétences sont pratiquement irremplaçables, parce qu'elles se sont formées dans l'expérience, à travers des situations, des cas singuliers, et qu'elles restent pour une bonne part implicites. Elles sont d'un ordre différent des connaissances qui figurent dans les ouvrages de référence de l'expert sur les étagères de son bureau" (Vergnaud, 1994, P.178)’

Nous retrouvons aussi cette double distinction pour "savoir" et en anglais pour "knowledge". Ainsi, Chevallard (1991) parle de "savoirs" et "savoir-faire" et Ohlsson (1996) de "practical knowledge" et "declarative knowledge":

‘"Routes and maps illustrate two qualitatively different types of knowledge. On one hand, there is the knowledge of how to perform tasks, produce desirable effects or reach goals and destinations. This type of knowledge is variously called competence, expertise, "knowing how" and skill; I will also use the term practical knowledge. The term procedural knowledge is sometimes used. (…) On the other hand, there is knowledge of the structure of relations that inhere in a particular situation or state of affairs. This type of knowledge is called declarative knowledge or "knowing that"" (Ohlsson, 1996, p.37)’

Comment distinguer "savoir" et "connaissance"? Cette distinction tient d'abord, selon Brousseau (1998), à leur statut social ; "un savoir est une connaissance institutionnalisée". Dans sa postface, Chevallard (1991) explique qu'on peut "s'y connaître" en ceci ou cela et le manifester par telle ou telle manipulation. Tel observateur, poursuit-il, pourra présumer l'existence d'un savoir derrière la manipulation, tel autre au contraire, déclarer à propos de la même manipulation qu'il n'y a rien à savoir. La connaissance, dans ce type d'acception, représente un certain rapport cognitif, personnel, à un objet. Pour lui:

‘"Un savoir peut donc être utilisé, enseigné, produit. Sur tous ces points, les savoirs se distinguent des "systèmes institutionnels de connaissances", que l'on pourrait appeler encore – l’expression est je crois de Pierre Bourdieu - des savoirs pratiques, lesquels sont mis en œuvre, s'apprennent, s'enrichissent, sans pour autant être utilisés, enseignés, produits." (Chevallard, 1991, p.211) ’

La connaissance représente donc un rapport personnel à des objets et le savoir un rapport institutionnel. A tout savoir est associée une institution qui produit ce savoir, sinon ce savoir n'existe pas.

Nous avons déjà précisé que nous étudions les pratiques de classes du point de vue du savoir. Nous employons dans notre étude le terme "savoir" qui peut être associé à l'institution des chercheurs, de l'école ou de la classe, plutôt que le terme "connaissance" associé à des individus. Suivant Chevallard (1991), nous donnons au terme "savoir" une signification large: il n'est pas limité au contenu mais inclut les savoir-faire, compétences, etc. ainsi que le fonctionnement du savoir et l'épistémologie véhiculée.