2.4. Savoir acquis et performance

L’importance d’étudier le savoir acquis vient du fait que le but de tout enseignement scolaire est de faire apprendre, de faire acquérir un savoir aux élèves. Ces deux activités sont donc liées ; nous élaborons donc la relation entre enseignement et apprentissage et montrons ensuite la façon dont nous abordons l’apprentissage (en termes de performances).

L'enseignement et l'apprentissage ont lieu, au moins en partie, dans le même espace-temps: la classe. Cependant, ces deux activités sont celles d'individus différents (le professeur et les élèves) et ont des buts différents ; pour l'enseignement: l'introduction de nouveaux savoirs aux élèves et la création de conditions favorables à l'apprentissage des élèves ; pour l'apprentissage: la compréhension et l'acquisition du savoir enseigné et la capacité à montrer que ce savoir est acquis (Tiberghien, 1997). L'acquisition du savoir se trouve donc au centre de toute activité d'enseignement ou d'apprentissage. Elle est sous la responsabilité de l'élève (Mercier & al., 2005; Tiberghien, 1997)

Les recherches sur l'évolution des conceptions des élèves le long d'une séquence d'enseignement soulignent la différence entre le savoir acquis par les élèves et le savoir enseigné (Niedderer & al., 2005). En d'autres termes: "there is a gap between what we teach and what is learned" (McDermott, 1991). Les cheminements des élèves dans leur apprentissage, comme le montrent plusieurs chercheurs (Dykstra, 1992; Petri & Niedderer, 1998; Buty, 2000; Küçüközer, 2005, Givry, 2003; Budde & al., 2002), diffèrent du savoir enseigné, non seulement par le contenu mais aussi par les rythmes d'enseignement et d'apprentissage: le rythme d'introduction de nouveaux éléments de savoir est différent du rythme d'acquisition de ces éléments par les élèves.

Niedderer et al. (2005) et Budde et al. (2002) utilisent la notion de "resonance" pour étudier la relation entre certains éléments du savoir enseigné et l'évolution des conceptions des élèves. Ainsi les élèves peuvent construire des conceptions équivalentes (congruent resonance) ou différentes du contenu du savoir enseigné (disgruent resonance); la congruence peut se passer sur le champ ou après des semaines de l'enseignement. Dans son étude de l’enseignement et l’apprentissage des lois de la mécanique, Dykstra (1992) propose une évolution des relations entre force et vitesse avec comme point de départ de l’élève l’idée qu’il y a force s’il y a mouvement. L’élève relierait ensuite explicitement force et vitesse : la force augmente si v augmente et la force reste constante si v est constant puis relie force et variation de la vitesse avec trois cas : force si variation de vitesse, force nulle si v est constant et force nulle si v est nul, puis enfin relie les deux cas : force nulle si v ne varie pas (ou l’accélération est nulle) et force non nulle si accélération. Il apparaît que cette relation, fondamentale pour la physique, entre force et accélération, est construite à partir de connaissances reliant force (au sens d’action) et mouvement. Cette évolution met en jeu des connaissances intermédiaires, incorrectes du point de vue de la physique, mais qui peuvent permettre à l’élève d’acquérir la compréhension du principe d’inertie.

Pour souligner la différence entre le rythme d'enseignement et d'apprentissage, des chercheurs évoquent la notion de "temps d'apprentissage". Arsac le définit comme étant "le rythme réel de l'apprentissage propre a priori à chaque apprenant". Mercier & al. (2005) considèrent que quand un élève étudie, reprend ses notes, les révisent et reconstruit le contenu d'une certaine façon, il produit le "temps d'apprentissage". Pour ces auteurs, ce temps est différent du temps d'enseignement, ou "temps didactique" comme le nomment Mercier et al. (2005), qui correspond à l'introduction de nouveaux éléments de savoir:

‘"Learning time therefore involves a much wider range of personal relationships of knowledge than those strictly referred to in the text of knowledge at any given time. (...) Learning time cannot be superimposed on didactic time; this proves that didactic time, in which items of knowledge are simply cumulative, is not the same as learning time, which requires a reorganization of knowledge already learned." (Mercier & al., 2005, p.144)’

Cependant, le système éducatif a tendance à nier cette différence (Arsac, 1989), à vouloir identifier temps de l'enseignement et temps de l'apprentissage, et à traiter en termes d'échec ou de retard scolaire des différences entre ces deux rythmes. Le système éducatif introduit donc un temps fictionnel d’apprentissage (Mercier & al., 2005) puisque les évaluations faites pendant l’année scolaire supposent que les élèves ont appris ce qui a déjà été enseigné.

Dans notre étude, nous prenons comme indicateur des acquisitions des élèves, leurs performances à des tests. D'autres auteurs, dans le cadre d'études sur l'évaluation, abordent aussi la compréhension à partir des performances et vont jusqu'à définir la compréhension à partir des performances:

‘"Understanding" cannot be directly observed ; it can only be inferred from an observed performance of some kind. In science teaching, the kinds of performances we take to be indicators of understanding are the things the students write or say, or in some cases their actions in response to certain stimuli (questions or tasks). The ability to answer a question, or set of questions, about topic X then provides an "operational definition" of "understanding of X", and perhaps also a means of measuring it on a scale that enables us to identify change and improvement" (Millar & Hames, cités par Coulaud, 2005, p.37) ’

La performance, selon Vergnaud (2007), est l'un des aspects de la compétence ; elle se traduit de la façon suivante: "X est plus compétent au temps t qu'au temps t' s'il sait faire ce qu'il ne savait pas faire". Cette définition de la compétence en termes de performance conduit, selon Vergnaud, à l'analyse du résultat de l'activité d'un individu mais reste silencieuse sur d'autres considérations qui conduisent à l'analyse de son activité. "La performance est radicalement insuffisante pour comprendre et définir la compétence" (Vergnaud, 2007). Cet écart entre performance et compréhension ou acquisition est également souligné par Ohlsson qui considère que:

‘"successful performance is neither a sufficient criterion for, nor a necessary consequence of understanding. On one hand, it is possible to perform any task without understanding. On the other hand, it is possible to fail while in the possession of the relevant knowledge, by failing to derive its implications." (Ohlsson, 1996, p.50)’

"Any task" est trop fort pour nous dans la citation d’Ohlsson mais nous sommes tout à fait en accord avec elle sur le fait que la performance n'implique pas la compréhension ou l'acquisition ; nous la considérons juste comme un indicateur de celles-ci. L'acquisition peut sûrement être évaluée de manière beaucoup plus approfondie et dynamique en menant des études qualitatives comme celles de Niedderer & al. (2005), Budde & al. (2002), Givry (2003), et Küçüközer (2005) pour étudier les processus d'apprentissage. Cependant, ces études ont souvent porté sur un nombre très réduit d'élèves (entre un et trois) et n'ont pas reflété les acquisitions du groupe classe. Notre volonté de considérer la classe comme un groupe, un système, nous a mené à regarder plutôt les performances.