3.3.1. Facettes : petits éléments de savoir

Cette analyse correspond à la décomposition en "petits éléments" de savoir en lien avec les hypothèses d'apprentissage. Pour désigner ces éléments nous reprenons le terme de "facettes" introduit par Minstrell (1992) et repris par Galili et Hazan (2000). Pour Minstrell, ”the Facet Codes are slight abstractions of what students say or do when confronted with a situation in which they are asked to predict or explain a physical phenomenon. Although our research has investigated students' conceptual understanding, many of the Facets have been identified in the research done by others. We can not possibly acknowledge all those researchers who have contributed. The Facet Codes are our attempt to organize the phenomena of students' conceptual understanding (matter en biblio Minstrell: site: http://depts.washington.edu/huntlab/diagnoser/facetcode.html#edf). Pour Galilli et Hazan (2000), « facets may represent consistently applied explanations manifested in a declarative knowledge, but not only. They can also express certain strategies, elements of students’ characteristic behavior procedural knowledge, when coping with particular questions and problems. Facets are more context specific, and thus less fundamental than p-prims. Facets may incorporate several concepts, related in such a way as to represent individual comprehension of the situation. » (p.S3-S4)

Ces auteurs identifient et cataloguent des éléments de savoir ou de raisonnement que les élèves semblent appliquer dans différentes situations. Ces éléments ont la taille d'une phrase et sont appelés "facettes". Ils utilisent le langage des étudiants quand ils justifient leurs réponses, leurs prédictions ou leurs explications.

A la différence de Minstrell et Galili, nous ne prenons pas en compte dans notre analyse en facettes les pensées ou le fonctionnement cognitif des personnes mais nous nous centrons sur le discours ou les gestes. Nous nous basons cependant sur le contexte pour repérer des facettes implicites au discours ; des inférences sont alors faites mais elles sont basées sur le contexte (momentané et général de l’enseignement de la physique). Dans notre étude, les facettes sont des énoncés relatifs au savoir et ayant un sens minimum. Un énoncé effectif (ou plusieurs dans le cas des interactions verbales) est associé à une facette dans la mesure où le chercheur considère qu'il a la même signification. La signification conventionnelle correspond à la composante « professeur de physique » du professeur en tant que représentant du savoir de la physique (incluant son fonctionnement).

La signification peut être celle conventionnelle, celle du locuteur ou celle d'un autre interlocuteur. Dans notre cas, les facettes servent à analyser le savoir enseigné, nous prenons donc la signification conventionnelle déjà discutée dans le cadre théorique, celle de la physique enseignée. Nous ne cherchons donc pas à construire des facettes relatives à des connaissances intermédiaires ou erronées des élèves. La formulation des facettes peut être celle du modèle ou d'un professeur ou une reformulation des productions d'une classe que nous adaptons afin qu'elle convienne le mieux à la physique. Nous essayons autant que possible d'avoir des facettes générales qui ne relèvent pas de cas particuliers. Par exemple, la production verbale peut être "la Terre exerce une force sur le nageur" ; dans notre formulation nous ne prenons pas en compte le cas particulier du nageur mais nous adoptons la formulation générale "la Terre exerce une force sur les objets" afin de ne pas se retrouver avec une infinité de facettes suivant les champs d'application (ceux-ci sont pris notés à part).

Cependant, du fait de la granularité fine, certaines facettes peuvent ne pas être explicitées dans les textes du savoir à enseigner. Pour construire cette liste de facettes nous procédons de manière itérative. La construction des facettes s'est fondée sur le travail de Kûçüközer (2005) réalisé pour la mécanique au niveau de la 1ère S. Nous avons a priori élaboré les facettes à partir des modèles du savoir à enseigner proposés par le groupe de recherche – développement (Gaidioz et al. 2004, SESAMES 2006). A posteriori, pendant la visualisation des vidéos, nous ajoutons des facettes correspondant au savoir enseigné effectif.

L'ensemble des facettes est structuré en deux parties de la mécanique enseignée : cinématique et dynamique. Les deux parties correspondent donc à des regroupements conceptuels et ainsi il n'est pas surprenant que leur nom puisse être très proche de celui des thèmes. Ce regroupement est basé sur la physique et non sur l'analyse du discours d'une classe. Les groupes de facettes structurant notre catalogue sont les suivants:

Nous présentons ci-dessous le catalogue des facettes classées selon les deux parties, cinématique et dynamique et selon les groupes et sous-groupes déjà cités.

Tableau 3. Facettes conceptuelles de la partie dynamique
Tableau 3. Facettes conceptuelles de la partie dynamique

Les facettes sont codées essentiellement à partir des transcriptions et le recours à la vidéo est souvent nécessaire pour reconstruire le contexte dans lequel ces éléments de savoir sont produits. Dans notre codage nous distinguons entre:

Les facettes sont codées sur Excel. En lignes, nous disposons de l'ensemble des facettes groupées par groupes et sous-groupes et en colonnes, de tous les thèmes de la séquence d'enseignement puisque nous codons les facettes par thèmes comme nous l’avons déjà dit ci-dessus ; c’est à l’intérieur d’un thème que les facettes se trouvent liées à d’autres et s’insèrent dans des groupes conceptuels et prennent par suite sens. Nous disposons de trois colonnes pour chaque thème afin de différencier si une facette est "nouvelle", "réutilisée" ou "réutilisée dans un nouveau champ d'application". Une facette est codée 1 quand l'élément de savoir auquel elle renvoie est mis en jeu dans le thème. Nous obtenons un tableur Excel qui a cette forme (figure 2):

Figure 2. Extrait du tableau Excel utilisé pour le codage des facettes de la classe 3
Figure 2. Extrait du tableau Excel utilisé pour le codage des facettes de la classe 3

La figure 2 montre le codage de quelques facettes du sous-goupe conceptuel "action-interaction" pour la classe 3, séance du 19/05/06, thème 5. Les facettes 4, 5, 6 et 7 sont "nouvelles", les facettes 3, 9 et 10 sont "réutilisées" et la facette 9 est "réutilisée dans un nouveau champ d'application" (codée donc deux fois). Nous obtenons ainsi un tableau donnant l’ensemble des facettes le long de la séquence d'enseignement.

Cette prise en compte de la réutilisation d'un élément de savoir au cours de l'enseignement nous permet de rendre compte de la 3ème hypothèse opératoire déjà développée dans le cadre théorique: "la reprise d'un élément de savoir nouvellement introduit peut favoriser son apprentissage". Ainsi, nous introduisons la notion de "continuité" du savoir reprise du travail de Tiberghien & al. (2007 a et b). La continuité est exprimée, de façon générale, par le taux de réutilisations par rapport aux introductions. Trois types de continuité peuvent alors être calculés pour une durée déterminée, cette durée pouvant correspondre à une séance, ou plusieurs séances ou à la séquence d'enseignement ; dans notre cas nous calculons la continuité sur toute la séquence d'enseignement. Ces trois types de continuité sont les suivants:

Cette notion de continuité nous permet d'établir des liens entre le niveau micro (celui des facettes) et le niveau macro dans notre cas (celui de la séquence) ou niveau méso dans le cas où la continuité est calculé sur une durée plus courte, une séance par exemple. Les trois types de continuité permettent de tirer des conclusions différentes concernant le savoir enseigné: la continuité d'une facette permet de tirer des conclusions sur un aspect de la vie d'un élément de savoir en classe ; la continuité d'un groupe de facettes, des conclusions sur l'organisation conceptuelle du savoir et sur la dynamique des groupes conceptuels (ou représentationnels, langagiers, etc.) ; et la continuité de l'ensemble de toutes les facettes, des conclusions sur la dynamique générale du savoir enseigné en classe. Les conclusions que nous tirons seront présentées dans la partie « analyse ».

Une autre notion, celle de "densité" du savoir, peut être aussi informative de la dynamique du savoir enseigné en classe. Partant de la 4ème hypothèse opératoire "la variété des éléments de savoir mis en jeu peut jouer un rôle dans leur apprentissage", déjà développée dans le cadre théorique, nous introduisons cette notion de "densité" reprise aussi du travail de Tiberghien & al. (2007 a et b). La densité est "le nombre de facettes d’un ou de plusieurs types en rapport avec une durée de l’enseignement pour un thème, une série de thèmes ou une séquence" (Tiberghien & al., 2007a). Dans notre cas, nous calculons la densité par thème. Nous distinguons deux types de densité:

Cette notion de densité nous permet d'établir des liens entre le niveau microscopique (celui des facettes) et les niveaux mésoscopique (celui des thèmes) et macroscopique (celui de la séquence) ; ces liens seront élaborés dans le chapitre suivant. Les deux types de densité nous permettent de voir comment le savoir est introduit, de manière régulière ou par à-coups. Elles nous informent également sur la variété des facettes mises en jeu pendant une durée déterminée et pose la question des liens faits entre ces facettes que nous analysons au sein des thèmes au niveau mésoscopique ; si la densité est élevée et que les liens ne sont pas explicites, ceci peut constituer une surcharge pour les élèves.

Après avoir présenté les facettes, leur codage et le traitement que nous faisons avec, nous donnons un exemple pour montrer comment certaines productions verbales peuvent référer à des facettes. Dans l'extrait présenté ci-dessous, le professeur commence une correction après un travail en petit groupe sur la tâche suivante : "lancer le médecine-ball verticalement vers le haut et le rattraper. Trouvez et notez les moments où vous exercez une action sur le médecine-ball, indiquez à chaque fois dans quelle direction vous exercez cette action sur le médecine-ball."

Cette question porte sur la description du mouvement du médecine-ball. A ce stade de l’enseignement, l’action ayant été introduite préalablement, on peut dire que le professeur n'introduit pas de concept de physique et reste au niveau des objets et événements.

Tableau 4. Extrait de la transcription de la 2
Tableau 4. Extrait de la transcription de la 2ème séance de la classe Séquence-SESAMES. Début de l'extrait : 56 :40 par rapport au début de la séance. Le professeur est debout juste devant la table du professeur et les élèves sont assis et répondent de leur place (El A, ElB, ElC, ElD remplacent les noms effectifs des élèves)

Voici les facettes qui, de notre point de vue, ont une signification semblable aux énoncés de l'extrait présenté dans le tableau 4 ; pour chaque facette nous donnons les numéros de tours de paroles ayant une signification semblable, nous précisons si elle est nouvelle ou réutilisée :

La première facette est plus distante des énoncés effectifs que les suivantes, c'est pourquoi nous l'explicitons. Les énoncés effectifs (n° 2 et 3) comportent des verbes d'action, lancer et rattraper. Nous considérons que ces verbes sont des instanciations de la situation de deux objets en contact et en même temps ils renforcent l’idée d’action.

Cette analyse au niveau microscopique en facettes s'insère dans l'analyse mésoscopique et macroscopique puisque les facettes sont situées au sein de chaque thème étudié, qui lui même est situé au sein de la séquence observée.