1. Retour sur les questions de recherche

Arrivés aux termes de notre travail, nous reprenons nos questions de recherche essentielles, celle de la caractérisation des pratiques de classes et celle du lien entre ces pratiques et les performances des élèves, pour voir à quel point y nous avons répondu dans notre travail.

1.1. Caractérisation des pratiques de classe

Une des composantes de ce travail visant à caractériser des classes du point de vue du savoir enseigné pour interpréter les performances des élèves après enseignement met en jeu plusieurs échelles de temps et de granularité du savoir. Le savoir enseigné, considéré comme une production conjointe du professeur et des élèves, n’est pas une donnée mais doit être reconstruit pour chaque classe. Nous avons fait le choix de reconstruire le savoir enseigné à plusieurs échelles, macroscopique, mésoscopique et microscopique.

Au niveau macroscopique, une analyse conceptuelle de l’ensemble d’une séquence d’enseignement est menée ; la granularité du savoir est grande, de plus du point de vue temporel, seul l’aspect chronologique donnant l’ordre d’introduction des « blocs » conceptuels est présent ainsi qu’une durée totale.

Au niveau mésoscopique, le choix fait est celui d’une reconstruction thématique du savoir enseigné autour d’une durée de la dizaine de minutes. La vue d’ensemble des thèmes sur la séquence d’enseignement permet de relever des différences entre les classes du point de vue de la chronologie, du contenu et de la durée. Ainsi des liens peuvent être faits entre l’analyse thématique au niveau mésoscopique et l’analyse conceptuelle au niveau macroscopique en associant la chronologie, le contenu et la durée d’un ensemble de thèmes aux blocs conceptuels.

Au niveau microscopique, les éléments de savoir, que nous appelons facettes, sont de la taille d’une phrase. A partir d’un ensemble d’énoncés regroupés par catégories conceptuelles, procédurales, langagières, etc. les productions verbales de la classe sont décomposées en unités, les unités qui sont considérées comme ayant le même sens qu’une des facettes sont comptabilisées. Ce choix de décomposition élémentaire est associé à des hypothèses d’apprentissage. La compréhension se développe à partir de "petits éléments" de savoir que l’élève intègre dans des ensembles déjà acquis. Deux traitements peuvent être faits à partir des facettes, le calcul de la continuité et celui de la densité. Ces traitements sont réalisés suite à deux hypothèses d’apprentissage que nous faisons : la reprise d'un élément de savoir nouvellement introduit peut favoriser son apprentissage (continuité) et la variété des éléments de savoir mis en jeu peut jouer un rôle dans leur apprentissage (densité). Ces deux notions de continuité et de densité caractérisent la chronogénèse et permettent de relier l’échelle microscopique à l’ensemble de la séquence et de différencier ainsi les classes. Ainsi nous avons pu distinguer les trois classes analysées en montrant par exemple que la différence dans leur structure conceptuelle se traduisait en des différences de nombre de facettes ou de continuité dans ces facettes.

De même au niveau microscopique, nous avons analysé les processus de pensée en jeu dans la compréhension du monde matériel que nous appelons tâches épistémiques. La vue d’ensemble de ces tâches sur l’ensemble de la séquence a montré une tendance dans les classes à privilégier certaines tâches plutôt que d’autres et un acteur réalisant plus que les autres ces tâches (professeur ou élèves).

Une analyse menée à l’intérieur des thèmes et reliant le niveau mésoscopique (thèmes) et le niveau microscopique (facettes et tâches épistémiques) nous a permise de mieux caractériser les pratiques de classes. A ce niveau, des thèmes mettant essentiellement en jeu un concept sont choisis afin d’analyser la façon dont ce concept vit dans la classe. La façon dont les facettes sont introduites, le lien qu’elles ont avec d’autres facettes, leur caractère implicite ou explicite, les tâches épistémiques mises en œuvre, les champs d’application, la nature de la situation et les positions des acteurs envers le savoir sont analysées.

Dans notre analyse à l’échelle mésoscopique, nous avons considéré que la façon dont les facettes ont été mises en jeu dans les productions discursives peut avoir une influence sur leurs acquisitions par les élèves, en particulier les tâches épistémiques qui accompagnent leur mise en jeu. Cela nous conduit à nous demander s’il y a des tâches épistémiques privilégiées pour l’introduction de certaines facettes et leur mise en œuvre. Nous pensons que certaines facettes ne peuvent pas être mises en jeu au moyen de certaines tâches épistémiques mais qu’elles sont par contre de bonnes candidates pour d’autres tâches. Par exemple, les facettes « fonctionnement du savoir » ou « procédures » ne peuvent pas intervenir dans des interprétations mais peuvent l’être dans des définitions ; les facettes relatives au contact peuvent par exemple être mises en jeu à la fois par des interprétations et des définitions. Il serait intéressant de voir les liens entre les types de facettes et les types de tâches épistémiques et voir si ces liens peuvent caractériser une classe. Cela peut se faire avec un logiciel comme Transana par exemple où les codages des facettes et des tâches épistémiques seraient croisés afin de voir s’il existe des liens.

L’échelle mésoscopique (liée aux échelles microscopique et macroscopique) nous a paru particulièrement adaptée pour l’étude de la dynamique du savoir, notamment l’étude de la topogénèse et la chronogénèse. L’échelle microscopique est à elle seule insuffisante pour l’étude de cette dynamique mais peut être très intéressante si elle est reliée aux deux autres échelles, macroscopique et mésoscopique.

Nous pensons que la topogénèse peut être vue dans le thème même grâce à une vue d’ensemble des micro-comportements des acteurs pendant ce thème. A l’échelle de la séquence, on ne peut plus parler de topogénèse mais plutôt de tendances topogénétiques dans la classe, puisque les acteurs prennent position par rapport au savoir dans une situation donnée, délimitée dans le temps et qu’ils peuvent prendre des positions tout à fait différentes dans d’autres situations. D’ailleurs l’analyse des thèmes a montré des positions très variées des acteurs d’une même classe suivant les thèmes ; cependant, vus sur l’ensemble de la séquence, ces thèmes nous ont permis de dégager certaines tendances topogénétiques dans les classes. La description de la topogénèse dans les thèmes a été enrichie par la différentiation faite dans le codage des tâches épistémiques entre les acteurs et entre le fait qu’une tâche soit suscitée ou réalisée. Cette double différentiation nous a permis de voir qui réalise plus de tâches (professeur ou élèves) et quelles tâches sont plus du côté d’un acteur plutôt que de l’autre, ainsi que de voir si les acteurs répondent les uns à l’attente des autres (cohérence ou non entre tâches suscitées et réalisées). Cela montre les positions des acteurs dans la mise en œuvre des processus de pensées ainsi que l’installation ou non d’un certain contrat dans les classes. Pour les facettes, la différentiation entre les acteurs n’a pas été faite dans le codage ; elle aurait pu enrichir l’étude de la topogénèse, cependant nous avons essayé de prendre en compte cette différentiation dans la description narrative des thèmes.

L’analyse du savoir (ou des concepts) au niveau mésoscopique nous permet également de dégager la chronogénèse du savoir relatif à ce concept. Cela n’est pas possible si nous gardons une vue se limitant à l’intérieur des thèmes comme pour la topogénèse ; il faut avoir la vue d’ensemble de quelques thèmes ou de tous les thèmes pour voir la façon dont les concepts vivent dans les classes. Le contrat didactique qui est décrit à la fois par la topogénèse et la chronogénèse, par l’évolution de la topogénèse dans le temps, nécessite également une vue d’ensemble pour être observé.

La prise en compte de plusieurs échelles d’analyse et les analyses faites au niveau de chaque échelle et au niveau des liens entre elles nous ont permis de caractériser les trois classes observées et de les différencier. Cette caractérisation montre la complexité du savoir enseigné : celui-ci ne peut se résumer ni au niveau mésoscopique avec une analyse narrative ni aux autres niveaux, de l’ensemble de la séquence et sa décomposition en blocs ou des facettes et tâches épistémiques. Elle montre aussi combien les concepts de chronogénèse et topogénèse sont fructueux ; dans notre travail nous n’avons pas repris la mésogénèse et ainsi nous n’avons pas analysé explicitement le milieu et sa dynamique. Un travail reste à faire pour rendre opératoire ce concept aux différentes échelles et en particulier le mettre en lien avec nos analyses microscopiques en termes de facettes, tâches épistémiques, ainsi qu’avec la continuité et la densité. Plus largement, il faudrait valider de manière systématique la cohérence de notre reconstruction du savoir enseigné aux différentes échelles.