2.2. Facettes

Nous nous sommes rendu compte lors de nos analyses du caractère implicite ou explicite des facettes selon les situations. Une même facette peut être utilisée implicitement dans une situation et explicitement dans une autre : par exemple, quand les élèves de la classe 2, lors de la 1ère activité de la 1ère séance, citent le fil comme objet agissant sur la pierre sans évoquer le contact, ils mettent implicitement en jeu la facette « quand un objet A est en contact avec un objet B il agit sur lui » ; alors que lorsque le professeur de la classe 3 dit que pour repérer les interactions de contact il faut poser la question « l’objet est en contact avec quoi ? », il la met explicitement en jeu. Ce caractère implicite ou explicite l’est par rapport à un registre sémiotique donné : les exemples ci-dessus se situent dans le registre de la langue naturelle dans la mesure où les énoncés renvoient explicitement à une facette ou qu’il faut inférer la présence de la mise en œuvre de cette facette d’après le contexte. Dans le cas des diagrammes système-interactions, qui sont dans le registre des schémas, nous avons vu que cette facette est explicite quand la flèche pleine est employée pour symboliser une interaction de contact alors que dans le registre de la représentation vectorielle d’une force, elle est implicite puisqu’il n’y a rien dans ce registre symbolisant le contact.

Suivant le registre où la facette est explicitée, la compréhension ne se construit vraisemblablement pas de la même façon, en tout cas cela serait à approfondir (cf. Duval, 1995). De même l’implicite dans la langue naturelle ou dans la représentation vectorielle ne joue probablement pas le même rôle dans l’analyse d’une situation matérielle. Par exemple l’implicite du contact dans un verbe d’action comme pousser, tenir, soulever, qui nécessite un acteur et une chose sur laquelle l’action s’exerce ne met probablement pas en jeu le même sens que la représentation d’un objet par un point et de l’action de contact d’un autre objet par un vecteur.

Cela nous conduit à considérer que, dans le cas de l’implicite, le nombre de réutilisations d’une facette est de fait une surestimation par rapport à son utilisation explicite

Cela nous conduit aussi à proposer une différentiation dans le codage des facettes, entre une facette implicite et une facette explicite et une précision du registre sémiotique dans lequel cette facette est implicite ou explicite.

La prise en compte dans le codage des tâches épistémiques des différents acteurs qui réalisent ou suscitent la tâche nous a permis d’enrichir l’analyse de la topogénèse en intégrant dans celle-ci les différentes positions des acteurs dans la mise en œuvre des processus de pensée. Par contre, dans notre codage des facettes, nous n’avons pas pris en compte l’acteur qui mettait en jeu la facette mais avons juste codé la facette en jeu dans la situation et un champ d’application donné. Nous nous proposons de prendre en compte ultérieurement l’acteur dans le codage des facettes (professeur ou élèves). Comme nous l’avons précisé dans le chapitre « méthodologie », nous n’avons pas pris en compte les répétitions faites, dans les productions des acteurs, d’une même facette pour une situation donnée ; nous n’avons codé la facette qu’une fois par champ d’application. Puisque la facette est codée une fois alors qu’elle est produite lors d’une interaction mettant en jeu plusieurs acteurs, le problème se pose de décider l’acteur ou les acteurs dont la production verbale (ou gestuelle) peut être interprétée avec la facette en question. Nous pensons qu’il serait pertinent de distinguer le cas où un acteur assure principalement la responsabilité de produire le savoir traduit par la facette, alors la facette serait affectée à cet acteur et le cas où il y a coproduction d’un énoncé, alors la facette serait affectée à deux acteurs (professer ou élèves). En fait, dans le premier cas, il n’est pas toujours simple de décider de l’acteur principal (professeur ou élèves) mais nous pensons qu’il est essentiel de faire cette distinction pour pouvoir faire des liens entre les résultats quantitatifs du codage et la topogénèse, sinon la plupart des énoncés seront affectés à la fois au professeur et aux élèves et nous ne saurons pas qui assure la responsabilité des éléments de savoir en jeu dans les facettes. Nous donnons un exemple de la détermination de l’acteur principal : si le professeur pose aux élèves la question du sens d’une certaine action et que les élèves donnent son sens, la facette « l’action a un sens » sera supposée mise en jeu par les élèves ; les acteurs principaux sont les élèves dans la mise en jeu de cette facette. Cette différentiation des acteurs pourra alors enrichir la topogénèse. Ceci nous permettra également de voir si certains éléments de savoir ou même certains groupes de facettes sont plutôt du côté du professeur ou des élèves.

La liste des facettes que nous avons construite peut être améliorée afin de mieux rendre compte des différents aspects d’un concept et mieux différencier les pratiques de classes. Les performances des élèves aux questionnaires nous ont permis de nous rendre compte de l’insuffisance de la liste de nos facettes pour relier ces performances aux pratiques de classe. Notamment, la différence de performances de la classe 2 concernant les questions où la notation « force exercée par la Terre » a été employée et celle où la notation « poids » a été employée. L’absence de facette différenciant « poids » et « force exercée par la Terre » ne nous a pas permis d’expliquer cette différence par la continuité des facettes mais nous avons calculé à la place la fréquence du mot poids. Nous proposons de différencier les facettes « poids » et « force exercée par la Terre » et d’ajouter, en plus de la facette « la Terre exerce toujours une force sur les autres objets », la facette « le poids s’exerce toujours sur les objets ». De même, nous n’aurions pas pu interpréter le fait que la force exercée par l’air soit parfois prise en compte dans les réponses des élèves et d’autres fois non, si nous n’avions pas remarqué d’après l’analyse mésoscopique que des contrats étaient établis dans certaines classes, notamment celui établi dans la classe 2 et qui laisse aux élèves le choix de prendre en compte cette force ou non. Nous proposons donc d’ajouter la facette « la force exercée par l’air peut être négligée ».

Le codage des facettes n’a pas été réalisé par une autre personne afin de vérifier sa fiabilité. Nous proposons, au lieu de refaire un double codage et calculer un coefficient de fiabilité, une méthode qualitative qui prend en compte le sens des facettes. Nous proposons de prendre les extraits qui mettent en jeu une même facette (en étudiant le cas des plus réutilisées) et voir s’il y a une similarité suffisante entre eux du point de vue de leur sens. Si des énoncés E1, E2, E3, E4, etc. renvoient tous à la même facette F1, nous supposons qu’il doit y avoir une certaine équivalence entre eux du point de vue du sens.