I. - Les origines des Ding

Nous présenterons d’abord les populations Ding des origines à 1780 environ, et leurs ‘mutations’ en vue d’occuper le Bas-Kasaï et de s’y installer, à travers migrations et dispersions. Les travaux d’Isidore Ndaywel 22 et de Flavien Nkay 23 sur la protohistoire des Ngwi et Ding et l’histoire ancienne des Ding Mbensia, nous ont beaucoup servi.

Les Ding ont pour ancêtres des peuples issus du groupe de Bantu 24 venus du Nord, qui abordèrent l’Afrique Centrale par le pays que borde le cours moyen de l’Ubangi (La République Centrafricaine). Selon Isidore Ndaywel, « à cette période, les Ding, les Kuba, les Yans et peut-être les Songo n’existaient pas encore comme peuples autonomes, mais constituaient encore un seul peuple subdivisé, sans doute comme actuellement, en clans et en lignages. Ce peuple était lui-même issu, quelques siècles auparavant, du morcellement d’un ensemble qui regroupait sans doute tous les peuples actuels dont les langues procèdent à la fois du bantu et du soudanais (peuples semi-bantous). » 25 Une ancienne tradition orale Ding, recueillie à travers l’histoire du clan Ntshum 26 , situait l’origine lointaine de ce groupe et aussi de toute l’ethnie Ding Mbensia au lieu appelé Kab-Kab, situé en aval de la rivière Kasaï. À cet effet, le vocable Kab-Kab a été identifié par les traditionnistes 27 comme un lieu ou « un grand fleuve », plutôt que comme principe lié à une structure du pouvoir. Rapproché du concept Mongo de Lokapa Ekopa, signifiant « le partage du pouvoir » ou « la division des pouvoirs de décision », ce terme serait une transformation linguistique secondaire, qui aurait dû associer les Ding Mbensia aux Mongo. En d’autres termes, comme l’écrit Jean Vansina 28 , le lien entre les Ding kabkab et les Mongo du Sud okapa ekopo, les deux signifiants « partage », a été établi. Or, selon Vansina, de Decker, Swartenbroeck et Isidore Ndaywel, certaines populations du groupe Yans-Ding auraient eu une provenance occidentale. Isidore Ndaywel précise que, pour la tradition orale, les Ding Mbensia seraient d’origine occidentale. Mais ce point de vue est resté peu probant pour le traditionniste Ding Mbensia. Celui-ci, note Flavien Nkay, « n’a gardé de Kab-Kab que de vagues réminiscences : Kab-Kab se trouve en bas », « il est le pays où se trouve la grande étendue d’eau sans limites », « il est le pays où se couche le soleil. » 29 Ainsi, pour les Yans-Ding, précise Flavien Nkay, Kab-Kab n’aurait été qu’une étape d’une longue marche qui a conduit les peuples Yans, Ding, Mbuun et Songo d’une origine septentrionale vers leur pays actuel. En effet, « partis de Kab-Kab, les clans Ding Mbensia, sous la conduite du clan Ntshum, remontent le fleuve Nzankul (la rivière Kasaï, selon les Ding Mbensia). » 30 D’où le recours aux théories classiques relatives aux migrations Bantu, afin de rechercher l’origine lointaine des Ding dans le foyer proto-bantu situé aux confins du Cameroun et du Nigeria. Dans cette perspective, les Ding seraient, comme l’écrit Van Bulck, des « vieux Bantu ». Ceux-ci seraient partis très tôt de leur foyer commun du Cameroun vers l’Afrique, dans le cadre général des migrations bantu, déclenchées probablement par l’impact du fer sur les méthodes agricoles. Ayant envahi l’Afrique Centrale, ces migrations auraient constitué quelquesfoyers qui occasionneront l’émergence des États de la savane (Kongo, Kuba, Lunda, Luba). 31

Le plus archaïque d’entre eux, situé probablement aux alentours du Pool Malebo avec le royaume Nguun, c’est celui auquel nous avons rattaché les ancêtres Ding. Il aurait donné naissance au complexe kongo, au royaume Tyo. Ses radiations s’étendent, comme nous l’avons déjà dit, à tout le Bas-Kasaï. Le second foyer se serait développé dans les alentours du lac Maï-Ndombe et Tumba, et aurait inspiré les Mongo du Sud. À cause de sa proximité géographique avec les Bas-Kasaï, ce foyer aurait été un apport non négligeable à l’élaboration des civilisations de cette dernière région. D’une façon générale, il y eut beaucoup de migrations et de dispersions. Les migrants Ding-Yans-Kuba-Songo ont connu une dispersion. Ils ont dû partir du territoire d’Ubangi au Sud-Ouest, pour s’installer, sans précision de date, non loin de la côte atlantique, dans le Kimput reconnu comme un pays Yans. L’arrivée du Portugais Diego Cao dans l’embouchure du fleuve Congo vers la seconde moitié du XVè siècle (1482) marque probablement le moment où l’on aurait parlé pour la première fois des Blancs et serait le point de départ de l’installation de ces migrants. Sur le plan politique, on assista au rayonnement des structures étatiques centralisantes et à leur innovation d’importance à Kimput sur le clan originel, qui devint « royal » par rapport aux autres. Seulement, peu avant Kimput, les Kuba s’étaient séparés des Yans-Ding-Songo vers 1524, pour se diriger vers le Pool, où ils s’éloignèrent définitivement de ces derniers, encore unis avant d’abandonner les régions de la côte.

Mais, au Pool, les Yans-Ding-Songo, devenus des sujets du royaume Makoko en place depuis 1491, ne furent pas heureux. Traités, en effet, comme des esclaves par les Teke, et victimes des corvées, ils durent partir en deux groupes différents : le groupe des Ding, et celui des Yans-Songo. Les Ding furent les premiers à partir, comme les Kuba, vers Kwamouth et, de là, ils remontèrent le Kasaï ou le longèrent, en vue d’occuper le Bas-Kasaï et de s’y installer. Mais ces peuples Kuba et Ding n’y étaient pas les seuls. De fait, en 1600, peu avant, que les Kuba puis les Ding l’aient occupé, des agriculteurs Sakata et des Dia, venus probablement du Nord par le fleuve, l’envahirent dès cette époque lointaine. Dans la même perspective, les Yans remontèrent également le fleuve sur les traces des Kuba et des Ding mais, dépassant l’embouchure du Kasaï, certains clans continuèrent à le longer jusqu’à Bolobo environ. Constatant que la terre dans cette direction était déjà habitée, ils revinrent sur leurs pas et se mirent à longer le Kasaï comme les autres. C’est ainsi qu’il existe des « essaims » de Yans le long du fleuve jusqu’aux environs de Bolobo. Les Yans et les Songo, quant à eux, arrivèrent tous dans la région de Bandundu (confluent du Kwango-Kasaï) d’où ils essaimèrent sur leurs terres actuelles. 32 En revanche, les Sakata et les Dia rencontrèrent des pygmées, installés dans une zone forestière et vivant de la pêche, de la chasse et de la cueillette. L’installation des pygmées fut éphémère ; ils furent chassés par des Sakata, et ceux-ci par les Boma qui, venus de la région du Pool vers le XIe siècle, durent quitter ces terres et s’intéressèrent particulièrement à la métallurgie. « Le Bas-Kwilu n’était donc pas désert à l’arrivée des Yans, Ding et Kuba : il était occupé par les Boma dans sa partie Ouest et possédaient quelques essaims Sakata-Nzadi, le long du Kasaï dans sa partie Ouest ». Jean Vansina précise, néanmoins, que « la véritable histoire de cette région reste obscure, autant que l’histoire des cultures et des sociétés concernées. » 33 Au XIIIe siècle, les cadets des Boma les quittent, traversent le fleuve et s’installent sur la rive droite à côté des Sakata. Enfin, « le foyer géographiquement le mieux localisé autour des lacs du Shaba, donnera naissance aux empires Luba et Lunda, et ce dernier serait situé dans la région des grands lacs à laquelle appartiennent le Buganda, le Ruanda, le Burundi…Les ancêtres des Ding Mbensia, et peut-être aussi ceux d’autres groupes ethniques du Bas-Kasaï, auraient, comme nous l’avons déjà remarqué, vécu dans le foyer du Pool, avant d’essaimer dans leur terroir actuel. C’est à ce niveau qu’est probablement née la conscience ethnique des Ding Mbensia. » 34

Les populations Ding de l'entre Piopio-Loange constituent donc un groupe ethnique homogène, doté d'un langage et d'une structure politique, avec la particularité des chefs Munken, qui les démarquent des autres entités Ding. Elles se rattacheraient, quant à leur origine, à l'ensemble d'immigrants Bantu matrilinéaires qui, en provenance du foyer proto-bantu, auraient abordé l'Afrique centrale par le flanc Ouest. Elles auraient connu ou, tout au moins, subi les radiations culturelles diffusées à partir du foyer Nguun qui, avant le XVè siècle, aurait fleuri aux alentours du Pool Malebo. Pour Jean Vansina, il est clair que le groupe Yans/Ding provient du groupe Teke et s’en est séparé beaucoup plus tard que le groupe Boma. C’est à l’intérieur du groupe qu’est survenu le plus ancien partage entre les Yans et les Ding. Les communications étroites avec les Ding de l’Ouest impliquent deux événements historiques : une rupture et une réunification. Mais les Ding orientaux sont différents de ceux de la Kamtsha seulement de 5 % ; pourtant, ils indiquent le même niveau avec les Yans de l’Ouest.

Plus tard et finalement, les Ding Mbensia seront essentiellement localisés dans la région d’Ipamu, qui fut un grand village vers 1931 avec, au centre, l’église. Près d'elle, l'école des garçons. Au-delà, le quartier des élèves kiter et des catéchumènes, avec, à part, le makwela, le quartier des gens mariés. De l'autre côté, assez éloignée, la maison des Pères, avec ses dépendances : un jardin, une cuisine, un petit élevage, une menuiserie et une scierie montée par le père Jacques Delaere, un atelier de mécanique et une petite huilerie. Plus loin, à bonne distance, la maison des sœurs, non loin de laquelle se trouvaient le quartier des filles, leur école, un dispensaire, une petite maternité , prémices du futur hôpital. « Par ailleurs, précise Jean-Marie Ribaucourt, à Ipamu, comme dans les autres missions, jusque vers 1950, fonctionnaient de grands fours à briques, montés en forêt près des points d’extraction de la terre, et où, bien sûr, surabondait le bois de chauffe. La taille ordinaire d’un four était de 50.000 briques...» 35

Notes
22.

NDAYWEL E NZIEM, I., Organisation sociale et Histoire. Les Ngwi et Ding du Zaïre, Thèse, Paris-Sorbonne, 1972.

23.

NKAY MALU, F., Histoire des Ding Mbensia d’après les Traditions du Clan Ntshum (Des Origines à 1899), Mémoire de Licence en Histoire, UNAZA, Campus de L’Shi, 1979

24.

Le mot Bantu s’écrit de deux façons différentes : Bantu ou Bantou. Invariable, il ne s’accorde ni en genre ni en nombre. Certains auteurs l’ont cependant francisé ; ils l’écrivent : Bantou, Bantous, Bantoue ou bantoues. Dans notre recherche, nous avons choisi de l’écrire Bantu, sauf là où il est noté comme tel.

25.

NDAYWEL E NZIEM, I., Organisation sociale et Histoire. Les Ngwi et Ding du Zaïre, Thèse, Paris-Sorbonne, 1972, T.1, p. 381.

26.

Le clan Ntshum est considéré comme le clan dominant des Ding orientaux.

27.

Un traditionniste, c’est une personne qui fait l’histoire de la tradition.

28.

VANSINA, J., « Probing the Past of the Lower Kwilu Peoples (Zaïre) », Paideuma, 12-20 (1974).

29.

NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 89.

30.

NKAY MALU, F., Op. cit., p. 43.

31.

Cfr. NDAYWEL E NZIEM, I., Histoire du Zaïre, cours dispensé en Ier Graduat, Lubumbashi, cité par Flavien NKAY MALU, Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 90.

32.

Cfr. NDAYWEL E NZIEM, I., Organisation sociale et Histoire. Les Ngwi et Ding du Zaïre, Thèse, Paris-Sorbonne, 1972, p. 384-385.

33.

VANSINA, J., « Probing the Past of the Lower Kwilu Peoples (Zaïre) », Paideuma, 12-20 (1974).

34.

NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 91.

35.

RIBAUCOURT, J.-M. (1997). Evêque d’une transition René Toussaint 1920-1993. Missionnaire au Congo-Zaïre, Kinshasa, Editions Baobab, p. 80-81.