II. - Le paysage

Les lignes qui suivent tentent de rassembler des données géographiques sur le milieu physique de l’espace de notre recherche. Comme nous venons de le dire, aujourd’hui les Ding sont situés entre la rivière Loange à l’Est, la Piopio, à l’Ouest, le Fleuve Kasaï, au Nord et au Sud, une ligne imaginaire qui passe entre le quatrième et le cinquième parallèle. Sur les deux rives du fleuve Kasaï, des colonies des Banzadi longent la rivière jusqu’à Ilebo (village Nkenge). Chez les Lele, précise Isidore Ndaywel è Nziem, se trouvent aussi leurs établissements et, en remontant la Sankuru, ils se sont installés dans le royaume Kuba 36 . Ils occupent également les environs de Mambenga, en aval du fleuve. Leur recherche des forêts aurait sans doute accéléré leur invasion vers le Sud. En effet, écrit le Père Struyf, les Ding « auraient poussé leurs invasions vers le Sud, aussi loin qu’ils avaient des forêts et ils se sont arrêtés là où les rivières coulent dans les plaines » 37 . Flavien Nkay souligne que cette vague d’invasion lui permit non seulement de rencontrer ces populations, les Bambunda, les Bawongo, les Bapende, mais aussi de vivre avec elles. C’est cette invasion qui les a amenés à occuper minoritairement telles ou telles régions, dominées essentiellement par les Ambuun. Il s’agit, par exemple, des galeries frontières des environs d’Idiofa et de Musenge Mputu, du bassin de la Lubwe et d’une partie du cours inférieur de la Loange, Mwilambongo, les secteurs de Musanga, Kipuku et Banga.

L’Ouest, lui aussi, accueille les Ding orientaux, précisément autour de la rivière Piopio. Flavien Nkay écrit à ce sujet : « A l’Ouest, l’écheveau n’est pas facile à démêler. Si les Ngwi occupent une enclave large d’environ 40 Km et d’environ 60 Km sur les deux rives de la Piopio, dans la contrée qui va de l’embouchure jusqu’à la région de Lwele Ekubi où ils rencontrent les Ambuun et les BaDing du Sud-Ouest. On trouve donc les BaDing orientaux à l’Ouest de la Piopio dans les secteurs de Bulwem (groupements Lwem et Zulubanga) et de Kalanganda (village Iyene Mfinda, Iyene Nseke)" 38 . Mais, pour ne pas étendre notre recherche sur toutes les entités territoriales et administratives qu’occupent les Ding et sur tout l’espace ethnique 39 Ding, nous nous arrêterons aux Ding orientaux de l’actuel secteur Kapia, situés entre la Piopio et la Loange, au Nord du secteur Banga. Trois groupements se le répartissent administrativement : Munken Mbel, Ibo et Ntor. Le Chef de chacun de ces groupements est issu de l’unique clan Ntshum. Mais, du point de vue religieux, les Ding orientaux sont majoritairement situés dans les paroisses d’Ipamu et de Dibaya-Lubwe, où l’on peut aussi mieux les identifier culturellement.

Cette région, habitée par les Ding orientaux, connaît un climat tropical à tendance subtropicale à deux saisons : la saison sèche Kisu de mai à août, et la saison des pluies M’vl d’août à mai, une de 3 mois et l’autre de 9 mois. Cette alternance donne lieu à un calendrier agricole local. Pendant la première, les riverains campent sur les bancs de sable (nganda), afin de pêcher, parfois loin de leurs villages, tandis que les hommes de l’intérieur s’adonnent à des travaux des champs et aux grandes chasses. En plus de leurs tâches quotidiennes, les femmes se consacrent à la pêche dans les eaux douces et les marais du Kasaï et de la Lubwe. La saison pluvieuse, qui commence théoriquement le 15 août, se prête à l’ensemencement des champs. Le sol est fertile, surtout dans les forêts en bordure du Kasaï, dans les galeries forestières de la Loange, de la Lubwe et de la Piopio, qui bénéficient d’un terroir argileux 40 . Le manioc, le maïs, les ignames, la canne à sucre et le tabac sont les produits agricoles les plus cités par les auteurs du XIXème et du début du XXème siècle 41 . À ce moment-là, les hommes chassent plutôt individuellement et confectionnent surtout des pièges. À l’heure actuelle, les Ding cultivent également les arachides et les courges ; ils cultivent des petites quantités de riz sur de petites étendues.

Le pays est couvert de deux types de tapis végétal, la forêt et la savane. Sur une bande large de 50 Km en bordure du Kasaï et surtout entre la Piopio et la Lubwe, la région est boisée. Il s'agissait d’une tête de pont de la forêt équatoriale 42  : forêt dense, arbres toujours verts, abondants épiphytes, que célèbre ce texte poétique du R.P. Delaere : «  Nous marchions dans un site enchanteur... À droite, à gauche, en haut, dans un enchevêtrement indescriptible se balançaient d’interminables lianes entortillées, et de partout, à moitié cachés par cette végétation géante, s’élevaient des troncs superbes, droits comme d’immenses cierges, à travers un fouillis de lianes et des feuilles, cherchant là-haut, tout là-haut, des bouffées de lumière et de soleil! Ah! Ces arbres! Quelle force et quelle majesté! Il y en avait des blancs, marbrés de vert et de gris;(...) et puis...et puis...Ah! Quel débordement de vie de, majesté » 43  .Ce beau bois regorgeait, à l’époque, d’une faune nombreuse et variée. Pour les Ding orientaux, la forêt était la principale ressource, la mère nourricière pourvoyeuse des aliments carnés et végétaux. Elle était le domaine de chasse par excellence et façonnait toute la culture et toute la vie sociale. La chasse demeure non seulement une technique de production mais aussi un art. En outre, il existe aussi des Ding orientaux, qui bâtissent leurs villages dans des savanes, mais dont toute l’activité économique se déroule en forêt. Il s’agit des populations situées entre la Lubwe et la Loange, dans le Sud de la Piopio et autour du village Mukoko, dans le territoire d’Idiofa. La savane y est entrecoupée de galeries forestières le long des rivières.

Quatre grandes rivières baignent leur territoire : la Loange (que les Ding appellent Tiomo à l’Est, la Piopio ou Lié à l’Ouest ‘ le Kasaï ou Nzankul, au Nord et la Lubwe au centre. Tous ces cours d’eau sont navigables et poissonneux. On ne s’étonnera donc guère que cette société ait produit une élite très active de pêcheurs et d’habiles navigateurs, les Banzel. Van Wissmann ne tarit pas d’éloges à leur propos : “ Les Ding sont les navigateurs fluviaux les plus adroits que je connaisse : une pirogue complètement équipée, dans laquelle jusqu’à 12 hommes se tenant debout les uns derrière les autres, actionnant des pagaies longues de deux mètres réussissent à se maintenir à la même hauteur que le “ peace ”.Une pirogue ainsi pourvue d’un équipage, présente un aspect magnifique. Les silhouettes solides, musclées d’un brun foncé qu’en cadence balançaient les pagaies de manière élastique, pliaient régulièrement les hanches 44  ». Le réseau de communication a favorisé les échanges commerciaux, les innovations socio-culturelles et les marchés, lieux de rencontre privilégiés, celui de Pangu reste encore maintenant un des plus célèbres. Le troc et les communications traditionnelles par le tam-tam, (ou le lokolé), les cornes d’ivoires, le fil symbolique enroulé sur le bras, ont connu un changement ainsi que les marchés de vente de produits locaux en celui de produits importés. La valeur du dialogue et du communautarisme va céder la place au silence, à la rationalité et à l’individualisme de l’Occident. L’artisanat (la forge) va être remplacée par la technologie.

Notes
36.

NDAYWEL E NZIEM, I., Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Louvain-la-Neuve : Duculot, 1997, p. 121.

37.

STRUYF, Y., « Migration des Bapende et des Bambunda » in Congo, I, 5, 1931, p. 668, cité par NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 7.

38.

NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 6-7.

39.

À la dixième page de son mémoire de D.E.A., Flavien Nkay signale la difficulté de déterminer avec exactitude les frontières et l’étendue de l’espace ethnique ; il en donne les principales raisons et en arrive à cette conclusion : « L’espace ethnique n’est donc pas facile à contenir dans un croquis ou une carte à la manière occidentale. Il peut être éclaté et éparpillé dans des lieux éloignés les uns les autres mais se référant à un berceau, une tradition d’origine, une langue et des usages communs. Il nous semble que l’identité ethnique est, avant tout, la conscience qu’on a, quel que soit le lieu où l’on se trouve, d’appartenir à tel groupe plutôt qu’à tel autre ».

40.

NICOLAÏ, H., « Le Bas-Kwilu. Ses problèmes géographiques », in Bulletin de la Société Royale de Géographie, 1958, p.27.

41.

Lire von WISSMANN, « Exploration du Kasaï », in Bulletin de la Société Royale de Géographie, IX, 1885, p. 647-657.

42.

NICOLAÏ, H., Op.cit., p.33.

43.

DELAERE, « La forêt d’Ipamu » in Missions Belges de la Compagnie de Jésus 1928, p. 218.

44.

Von WISSMANN, Op.cit., p. 651.