1. Structure de la parenté

Chez les Ding orientaux, la structure sociale est basée sur la parenté, où le lien de sang qu’assurerait la mère justifie l’appartenance à une communauté clanique. Cette appartenance est de type matrilinéaire. Les frères de la mère, appelés oncles maternels, jouent un rôle privilégié ; ils sont les premiers responsables de leurs neveux (enfants de leur sœur). À ce titre, un oncle (frère de la mère chez les Ding) a le pouvoir de décision sur l’avenir de ses neveux, de ses nièces, par exemple leur scolarisation, le baptême ou le mariage de telle ou de telle nièce. La place donnée à l’oncle est tellement importante qu’il pourrait jouir d’un certain pouvoir sur ses neveux et nièces. Sa parole pourrait être, à cet égard, bienveillante ou malveillante, de bénédiction ou de malédiction ; elle pourrait en revanche apporter ou non paix, vie ou mort, bonheur ou malheur, selon la croyance traditionnelle des Ding. La famille nucléaire est considérée comme l’unité parentale minimale, c’est-à-dire l’union de la mère et ses enfants, tournés vers les oncles, surtout maternels. C’est cette petite cellule que les Ding appellent eyor (le foyer ou la communauté du feu) et que Isidore Ndaywel è Nziem qualifie de « lignage nucléaire » 51 .

Flavien Nkay, pour sa part, affirme que « la mère et ses enfants entretiennent des liens avec les autres parents consanguins, frères et sœurs de la mère. Ce vaste champ de relations incluant plusieurs communautés de feu (ou lignages nucléaires), se nomme idzim, soitun ventre, en français. Il s’agit du lignage médian ou « communauté du ventre ». Les membres se reconnaissent descendants d’un même ancêtre féminin et entretiennent entre eux des relations suivies de parenté » 52 . Se considérant comme le frère cadet de son oncle, le neveu a, selon la loi du lévirat, le droit d’épouser la femme de son oncle décédé. Les enfants de celui-ci sont « ses enfants » et ils l’appellent « père ». Flavien Nkay parle ici d’une parenté classificatoire, où les termes oncle, père, sœur, mère, neveu, cousin désignent une catégorie sociale. L’influence sociale et culturelle de cette classification va fonder la conscience collective des rapports sociaux et de leur appréciation. C’est à partir de cette classification qu’une personne âgée peut appeler « père » un petit enfant. Dans ce dessein, un enfant appellera « pères » tous les membres du clan de son père, et « mères » ou «  frères » tous ceux du clan de sa mère. Quelle est, alors, dans ce système de parenté, la place du père, car aujourd’hui il joue un rôle important au sein de sa famille nucléaire et vis-à-vis de ses enfants ? C’est un des changements majeurs apportés par le christianisme et la modernité coloniale, en ce sens que le père est le responsable légitime de ses propres enfants : il a des droits et des devoirs vis-à-vis de ces derniers. Traditionnellement, le père s’estimait responsable de ses nièces et neveux plutôt que de ses enfants. Ceux-ci ne lui appartenaient pas, comme nous l’avons indiqué. Mais les enfants avaient de grandes obligations à l’endroit de leurs pères. À la mort 53 de l’enfant, ce sont “ ses pères ” qui héritent de ses biens. Une part de la dot versée pour le mariage de la fille revient au père. Lorsque le fils abat un gibier, il lui réserve certains organes, comme le rein et le cœur. Dans certains cas, le père donne sa nièce en mariage à son fils, pour perpétuer l’alliance entre son clan et celui de l’enfant.

Au-dessus des lignages médians se trouve le clan ou le lignage maximal, que les Ding appellent mb’l. Dans les pages qui précèdent, en effet, nous avons dit que, chez les Ding orientaux, plusieurs communautés de feu, ou lignages nucléaires, formaient des lignages médian ou des « communautés du ventre ». Le clan, ou le lignage maximal, est donc l’ensemble des lignages médians qui se considèrent comme liés entre eux et dont les membres s’estiment porteurs du même sang ainsi que du clan du même nom. Decker précise que chaque clan a un nom, par exemple Ntshum, Iben, Mpwôm, Nsampar, Nsim, etc., un ou plusieurs interdits alimentaires (exemple : écureuil, tortue, chèvre, etc.) et, quelquefois, une devise 54 . Cela facilite, d’une part, la reconnaissance des frères claniques et, de l’autre, la prohibition des rapports sexuels incestueux, soit entre membres d’un même clan, soit entre consanguins. Compte tenu de l’extension de l’espace ethnique, Flavien Nkay fait sienne cette idée de Jean Vansina, pour qui « les Ding orientaux ont leurs frères claniques aussi bien chez les Ambuun que chez les Ding de la Kamtsha, les Ngwi, les Lwer, les Wongo, les Lele et même chez les Kuba » 55 .

Notes
51.

Cfr NDAYWEL E NZIEM, I., Op. cit., cité par NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire Religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 15.

52.

NKAY MALU, F., Les Missionnaires catholiques chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo. 1885-1964, Mémoire de D.E.A. Histoire Religieuse, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 2001, p. 15.

53.

Lire, pour compléter, NKAY MALU, F., La Croix et la chèvre : les missionnaires de Scheut et les Jésuites chez les Ding orientaux de la République Démocratique du Congo (1885-1933), Lyon, 2006 (Thèse), p. 639-643.

54.

De DECKER, J.M., Les clans Ambuun (Bambunda) d’après leur littérature orale, I.R.C.B., Bruxelles,1950, p. 44, cité par NKAY MALU, F., Op. cit., p. 15.

55.

VANSINA, J., « Probing the past of the Lower Kwilu Peoples (Zaïre)”, Paideuma, 12-20, 1974, p. 332, cité par NKAY MALU, F., Op. cit., p. 16.