1. Mœurs anciennes positives.

Plusieurs valeurs apparaissent dans ce récit des mœurs anciennes. Nous en relevons trois principales : la solidarité, le partage, le respect. Différents moments les expriment. Chez les Ding, la solidarité est manifestée d’abord à l’occasion d’un malheur que vit un membre d’une communauté. Ici, le chef du village connaît la « mort » de l’aigle, le chef de la forêt, qui est son père, son protecteur et celui de tout le village. En signe de compassion avec le chef, tous les membres du village et des villages avoisinants se sentent solidaires de lui et recherchent ensemble des solutions afin de réparer le dommage causé « sans le vouloir » par le tueur de l’aigle. Ainsi en arrivent-ils, par exemple, à lui faire payer une amende de trois francs au chef de village, à louer et vénérer l’oiseau tué ainsi qu’à conserver des plumes en signe de respect au roi de la forêt. Dans le même récit, on note la croyance des Ding orientaux dans l’aigle comme leur protecteur et celui de la forêt. Protecteur du chef, l’aigle l’est réellement pour tous les membres du village. D’où l’intérêt des « primitifs » pour lui offrir un spectacle louangeux d’importance, par des chansons et des tam-tams rythmés, afin d’exalter ses exploits. Par leur présence autour du chef de village, ils reconnaissent et confirment aussi que l’aigle est effectivement le roi de la forêt. À cet effet, il a un pouvoir sur la forêt et ce qui s’y fait. C’est sans doute confirmer qu’il est le garant de la prospérité des principales activités des Ding orientaux dans la forêt : la pêche, la chasse et l’agriculture. Tambours, chansons, danses et cérémonies organisées à cette occasion montrent la vénération des Ding orientaux envers leur oiseau protecteur.

Cette solidarité est justement vécue par les indigènes des villages avoisinants, ce qui révèle sa dimension collective. Un groupe de personnes face à une personne en difficulté dans un village mais aussi un groupement de personnes de plusieurs villages pour les membres d’un village et leur chef, qui sont dans la peine, la tristesse : ils connaissent un deuil. Peut-être pourrait-on extrapoler en disant qu’il y avait solidarité non seulement entre groupes humains, mais par profession (les chasseurs accoutrés ont exhibé leur talent autour de celui qui a tué l’aigle). Inversement, le chef de village est solidaire et de toutes les personnes qui habitent son village et de tous ceux des villages voisins. Il y a là une solidarité réciproque et soutenue. Il faut noter dans le même récit la solidarité des indigènes en général et des chasseurs avec le tueur de l’aigle, le roi de la forêt : « Tout à coup je vois un groupe nouveau, arrivant à l’extrémité du village : tous avec des lances et des flèches, revêtus de pagnes du pays d’une épaisseur énorme, des grelots aux pieds, la figure barbouillée de rouge et de blanc, gesticulant, tournoyant sur eux-mêmes, lançant flèches et lances.» 94

Un autre élément crucial dans la conception de la solidarité chez les Ding orientaux est le deuil, à la mort d’un des leurs, en signe de compassion et de douleur. Ils le manifestent également en mangeant des patates douces, plutôt que la chikwangue 95 . Beaucoup de moments révèlent le partage entre eux. Aussi, dans le récit de l’Aigle, par exemple, il y a eu communication de l’information («On a tué l’aigle, le chef de la forêt et le père du chef de village») et partage de sa chair. En outre, tous les membres ont partagé la peine causée à leur chef de village par la mort de l’aigle, identifié à son « père ». Après la peine, il y a eu de la joie à partager le butin : « Après cela se fait le partage des plumes entre le chef et celui qui a tué l’aigle ; la chair de l’oiseau est mise dans un pot de terre, tout le monde en mangera.» Profondément, c’est le sens du respect des coutumes, des personnes et des biens que les populations vivaient. Dans les faits, les indigènes manifestent tous leur respect envers le chef de village et, en vertu de la valeur de leurs coutumes, ils manifestent le respect des fondements de leur moralité. Tous ces rites autour de la mort de l’aigle ont un rapport avec la peur, notamment de ne plus être protégé, de ne plus prospérer dans la chasse, la pêche et l’agriculture. C’est surtout la peur de se retrouver seul le jour où l’on connaîtrait un malheur. L’expression des sentiments et des attitudes le confirme : « En se croisant les bras, se frappant le bras droit de la main gauche ;…bientôt les danses recommencent. Finalement le meurtrier doit payer trois francs d’amende au chef. Après cela se fait le partage des plumes entre le chef et celui qui a tué l’aigle ; la chair de l’oiseau est mise dans un pot de terre, tout le monde en mangera. La dépouille est conservée et mise sur un grand pieu fixé au milieu de la cour du village, où les danses se poursuivront bien longtemps encore dans la nuit…danses sauvages et lugubres. » Poursuivant sa réflexion sur les mœurs et coutumes des Ding, Struyf précise que ces peuples respectent énormément certaines créatures. L’aigle est, certes, un oiseau à propos duquel on croit en un pouvoir protecteur et une force vitale ; il est placé à la tête des créatures. Mais le respect s’étend aussi à la forêt, à l’arbre, au palmier 96 , par exemple.

Notes
94.

STRUYF, Y., s.j., Ma première visite aux Ding (Lettre à ses confrères de Louvain), in Missions Belges 1922, p. 133.

95.

C’est une sorte de pâte comestible, faite avec les carottes de manioc.

96.

STRUYF, Y., s.j., Ma première visite aux Ding (Lettre à ses confrères de Louvain), suite, in Missions Belges, 1922, p. 253.