2. Mœurs anciennes négatives.

Il s’agit de l’esclavage et de l’enterrement des chefs avec des esclaves vivants. À travers le regard d’un homme d’Eglise, on voit apparaître deux préoccupations : rechercher sans doute ce qui serait susceptible d’occasionner une gêne à l’évangélisation des peuples et, surtout, mieux connaître les personnes que les missionnaires doivent « civiliser ». De cette manière, ils pourraient « sauvegarder l’avenir de la naissante chrétienté d’Ipamu ». On peut à juste raison comprendre la ferme proposition de Struyf d’écarter absolument les chrétiens d’Ipamu, considérés comme un danger dans ce « village indigène corrompu ». Il existe, enfin, une forme d’esclavage par assimilation : les familles ou les clans livrent des personnes à d’autres, en vue de payer une dette au créancier. Assimilées aux esclaves, ces personnes n’étaient libérées que si la famille avait réellement payé sa dette. En 1923, Struyf va effectivement confirmer que ces indigènes aux mœurs sauvages en ont de « vraiment barbares et cruelles » autour de la mort et de l’enterrement à l’occasion de la mort d’un chef ou d’un notable de village. Ils enterraient avec leurs chefs des esclaves vivants. Or, dans ses notes manuscrites, Janssens écrivait déjà en 1912 au sujet d’un enterrement ce triste épisode que nous ne pouvons trahir : « Quand un homme libre meurt, on l’enterre avec ses richesses et le chef avec des esclaves, auxquels on brise bras et jambes et qu’on enterre vivants. Un esclave est enterré avec ses habits.» 97 Voici les faits saillants : « Enterrement de personnes vivantes. C’est l’habitude d’enterrer, encore vivants, plusieurs esclaves, à la mort d’un chef ou d’un notable de village, homme ou femme. Ces esclaves doivent descendre dans la fosse pour recevoir le cadavre, et il se passe alors des scènes lugubres. Les uns n’opposent aucune résistance, d’autres doivent être liés par les mains et les pieds, puis assommés à coups de bâton. Ici, à la Mission, se trouvent plusieurs personnes qui auraient dû être ainsi enterrées ; les unes se sont enfuies, d’autres ont été sauvées par l’ancien chef, Benoît, dont je vous ai raconté la mort tragique. Ayant appris qu’on allait enterrer vive une fillette de l’autre côté de la Lié, le chef était parti en hâte avec ses chrétiens, pour la délivrer. Elle est actuellement à la Mission ; c’est une jeune fille très intelligente ; elle a été baptisée il y a quelques mois. Comme elle a été sauvée par les Bangoli, elle se considère comme faisant partie de la famille de ce chef. Depuis que je suis ici, voilà à peine une année et demie, un garçon et deux filles sont venus se réfugier à la Mission, parce qu’ils devaient être enterrés vivants. Ce garçon, un beau matin vint me dire qu’il allait retourner chez lui, qu’il a des rêves, qu’il ne pourra pas échapper à ses maîtres…J’eus toutes les peines du monde à le dissuader ; il aurait certainement été tué, ou enterré vif. Il y a quelques mois, à 11 heures du soir, on vient m’éveiller. C’était le chef du village indigène d’Ipamu ; il venait demander de l’aide à la Mission, pour aller délivrer, à 2 heures d’ici, une petite fille qu’on devait enterrer vive le lendemain matin. Vers 4 heures, ils sont revenus portant une toute petite fille, qui ne soupçonnait pas ce qu’on allait faire d’elle ! J’ai écrit tout de suite à l’agent territorial qui se trouvait dans la région, à deux journées de marche, pour lui exposer le cas. Ce qui est arrivé, précise Struyf, c’est cette histoire qui est, du reste, celle d’un grand nombre de nègres. Originaire d’un village situé sur la rive droite de la Lié, la petite, âgée de 5 ans, était orpheline de père et de mère ; dans le village, elle n’avait plus qu’un frère pour la surveiller. Comme tout nègre, elle avait la manie du vol, et un jour, elle prit, dans le champ d’une vieille femme, quelques arachides. La mégère la surprit en flagrant délit, s’en empara et en fit une esclave, puisqu’elle ne voulait pas restituer les quelques touffes d’arachides volées. C’est ainsi la coutume, chez tous les Bantu, d’exiger 100 pour un ! » 98

Vu les mœurs barbares chez les Ding orientaux, pouvait être esclave, comme on le voit, une personne qui vivait de façon non conforme à leurs us et coutumes. La manie du vol, le manque de respect de ce qui est vénéré (personne, arbre) pouvaient valoir à quelqu’un d’être esclave. L’âge et le sexe d’une personne ne comptaient pas quand il semblait nécessaire d’avoir un (e) esclave. La plupart du temps, c’étaient des esclaves que l’on enterrait vivants. Les missionnaires ne pouvaient plus cautionner la pratique d’enterrer des esclaves vivants, car ils devaient sauver la vie des innocents et des personnes qui avaient des références morales et religieuses très fortes. Ils agissaient plutôt dans l’esprit de l’Eglise que des coutumes, bien qu’ils eussent tous le noble devoir naturel d’enterrer une personne morte. Certes, les missionnaires comme les indigènes Ding avaient le respect des morts, mais à travers des intentions et des rites très différents. En revanche, les missionnaires ont eu le tort de ne pas se concerter avec ces peuples avant de supprimer leurs mœurs et leurs coutumes anciennes et sauvages. Ils n’ont pas non plus tenu compte des objectifs poursuivis par les Ding, à travers les cérémonies d’enterrement, qu’ils appelaient superstitions. En effet, ils ont refusé qu’on enterre un chrétien selon les mœurs anciennes des Ding orientaux, avec des danses sauvages, des cris et des pleurs. Pour eux, cela ne reflète aucun respect des morts, mais s’oppose aux coutumes indigènes de ces peuples et à leur façon de respecter les morts. Pourtant, c’est là que les Ding se montrent très fortement respectueux de leurs morts, afin d’éviter  « le retour au village », du (de la) défunt(e). Par tous les rites organisés, les Ding orientaux affirment leur croyance en la survie du défunt. Par exemple, le jour de son enterrement, on lui donne quelques objets (ustensiles de cuisine, outils de travail, une chaise longue, par exemple), ou l’on plante un arbre vert du côté de la tête, signe de la vie. Les populations Ding ne renoncent pas à la croyance en la survie. Ils sont près de leurs morts. Et, par les chansons et les danses, ils consignent comme un des héritages à léguer à la postérité ce qui était important pour la personne décédée : valeurs (respect, vie, personne, travail, pouvoir, etc.) et personnalité.

Finalement les Ding orientaux connaissent les valeurs matérielles et économiques. C’est le cas, par exemple, du terrain, des maisons et des produits de la terre. Tandis que le terrain est un bien public, les maisons et les produits sont des propriétés privées, c’est-à-dire qu’il existe des valeurs collectives et des valeurs individuelles. Le terrain appartient à la société, à la collectivité, les maisons et les produits sont cependant personnels, individuels.

Notes
97.

JANSSENS, Notes sur la Mission de Mpangu. Z/III/b/3/1/21, Mpangu Saint Pierre Claver, 15/05/1912 (Notes manuscrites).

98.

STRUYF, Y., s.j., Mœurs et coutumes, in Missions Belges, 1923, p. 252-253.