Les chansons de jumeaux transmettent quelques valeurs. Elles traduisent les réactions des parents des jumeaux lors de la naissance de ceux-ci. Par leur fonction pédagogique, les parents en font usage pour former les enfants, les modeler et les façonner en des valeurs de l’humanité. Les chansons des jumeaux apparaissent comme un apprentissage des us et coutumes de leur société. Cette première réaction est autant chargée de joie que d’inquiétude. Le plus souvent, trois thèmes y sont véhiculés : l’inquiétude, la richesse et la pauvreté. Ces thèmes correspondent également aux trois valeurs qui y apparaissent d’emblée : l’inquiétude, la richesse et la pauvreté. Il paraît nécessaire d’en préciser le pourquoi. Mais, de manière générale, toutes les chansons choisies développent ces thèmes généraux : L’inquiétude, la sécurité, la mort, l’injustice, la sociabilité, l’insociabilité, le mépris, le regret, la richesse et la pauvreté. L’inquiétude est ici comprise dans le sens de regret. Pour les parents des jumeaux, elle tient au fait qu’ils s’estiment incapables de satisfaire des jumeaux, qui exigent des soins particuliers. Cette naissance gémellaire est en effet pour eux une occasion de surdépenses. Ils regrettent d’avoir donné naissance aux jumeaux, considérés comme une surcharge. Leur regret est plus une excuse auprès de leurs enfants que l’abandon ou le refus de ceux-ci.
La richesse provoque, en revanche, chez les parents des jumeaux une réaction différente de la première. La seconde est pourtant « positive » et décontractante : « La naissance gémellaire, est ainsi considérée comme un signe de richesse. Les parents l’ont attendue depuis longtemps, pendant des saisons sèches, des saisons de pluie, elle n’est venue que le jour de « mukal », qui symbolise le dimanche traditionnel. » 126 Or, pour les Ding, ce jour comme celui de la naissance gémellaire, « est considéré comme un jour de fécondité. On adore la cessation des activités tant champêtres qu’humaines. » Par fécondité, il faut entendre, chez les Ding, le signe de richesse. Dans ce sens, le jour de mukal et celui de la naissance des jumeaux sont, pour le peuple Ding, un signe de richesse et de bonheur. Une double richesse : deux ou plusieurs enfants sont une vie ; ils accroissent le nombre de personnes de la famille et, donc, du clan. On ne peut s’en douter, « la mère des jumeaux est source de vie parce qu’elle a donné naissance aux jumeaux qui sont sauveurs par leur pouvoir surnaturel.» 127 Assimilée à Kinkan (un arbre d’argent) dans la mentalité Ding, « la naissance gémellaire est ainsi considérée comme un signe de richesse.(…) L’arbre Kinkan, qui symbolise la mère des jumeaux, est une richesse due à l’accouchement des jumeaux. Ceux-ci ont un pouvoir surnaturel et sont considérés comme sauveurs, voyants ou comme les enfants qui apportent la chance, etc. » 128 Signe de bonheur, les jumeaux le sont, en effet, en tant que porteurs de chance chez les Ding. La mère des jumeaux est elle-même identifiée à l'arbre d'argent, Kinkan; elle est le symbole de la richesse, c'est-à-dire celle d'avoir accouché les jumeaux qui sont eux-mêmes la richesse par excellence. C’est une naissance extraordinaire. « En effet, les jumeaux sont considérés comme des êtres mystérieux qui ont le pouvoir surnaturel. Ainsi, les parents éprouvent de la joie pour avoir accouché des jumeaux qui constituent une source de richesse probable. » 129 La naissance des jumeaux éprouve, en effet, la fortune de la famille ; elle occasionne des folles dépenses pour l’entretien de la mère et des jumeaux eux-mêmes. Pendant la période de réclusion de la mère, son mari doit s’occuper de son alimentation.
Par ailleurs, la naissance gémellaire cache aussi la pauvreté. Elle peut être considérée comme un signe de pauvreté : elle appauvrit les parents responsables. C’est une naissance qui, comme la mort d’un chef Ding, exige beaucoup de dépenses, surtout pour les soins des jumeaux. L’inquiétude que provoque la naissance des jumeaux est due aux dépenses que cause cette naissance. Sa nature est, certes, différente de celle qui est chantée dans les berceuses.
Dans la mentalité archaïque, leur avènement est révélateur des valeurs et des contre-valeurs qui viennent du monde des Ancêtres. Considérés comme à la fois des acteurs du bien et du mal, « les jumeaux sont comme les symboles vivants de ces valeurs contraires les unes aux autres, en raison de leur caractère double, valeurs toujours présentes dans la vie et qui se résument par deux mots : le bien et le mal. Ils sont, par la pensée de la totalité qu’ils incarnent, des instruments privilégiés d’un pouvoir d’intégration des opposés hiérarchiquement, identitairement, et qui, cependant, ne s’origine pas d’eux. » 130
Nous pouvons donc affirmer que, dans les jumeaux considérés à la fois comme des êtres visibles et invisibles (mystérieux) reliant tous les êtres et la Nature aux Ancêtres, apparaissent, d’un côté, les valeurs d’abondance, de bienveillance, du pouvoir, de bonheur, de fécondité, de sécurité/protection, de vitalité/force, richesse, estime, hospitalité, accueil, prestige, dignité, humilité, joie, solidarité, paix, courage, collaboration, etc. De l’autre côté, et en même temps, ces contre-valeurs : la disette, la malveillance, le malheur, la stérilité, la précarité, la pauvreté, la mort, l’angoisse, l’inquiétude, la haine, le rejet, la violence, etc.
MVI OBEOYEN, J., Op. Cit., p. 57-58.
Ibid., p. 65.
Ibid., p. 59.
Ibid., p. 62.
MAYELE ILO, J.-P., Op. Cit., p. 563.