I. - Caractéristiques générales

« En Afrique, l’éducation assure trois fonctions : l’instruction, la socialisation et l’acculturation. L’instruction consiste à transmettre des aptitudes, la socialisation à transmettre le sens des valeurs, des perspectives et l’identité par rapport à l’ensemble de la société. L’acculturation comprend des échanges culturels, le contact d’un système de valeurs avec un autre, voire une interaction de civilisations entières. » 134 Il existe, cependant, une différence entre la socialisation par le système éducatif traditionnel et la socialisation par le système éducatif moderne, la première orientant la seconde.

L’éducation traditionnelle est fondée sur la tradition orale bien plus que sur la tradition écrite, jadis absente. Elle n’est pas avant tout une éducation scolaire de type occidental et individualiste, dont le but est d’insérer le jeune dans une société de concurrence et de production. Elle intègre l’individu dans le groupe et assure la survie de celui-ci dans son environnement naturel et humain. La base de cette éducation, ce sont les valeurs qu’elle véhicule, qui devient en même temps la base de la tradition éducative ou son fondement. En tant que telle, elle a sa logique fonctionnelle interne ; ses valeurs ne sont pas, comme celles de l’éducation scolaire, des valeurs rationnelles, acquises à partir des connaissances enseignées à l’école. Le Ding traditionnel valorise son propre savoir et tient à l’utiliser pour influencer les élites. De fait, précise Jean-Claude Quenum, « l’absolu du milieu traditionnel, c’est la sagesse des ancêtres ou la prééminence du passé ; son savoir est symbolique, magico-religieux. De ce fait, son projet éducatif consiste avant tout à faire du jeune un ‘ancien’, puisque la place privilégiée dans la société est accordée aux ancêtres. » 135 D’une façon générale, l’éducation africaine traditionnelle est fondamentalement caractérisée par son importance dans les sociétés pré-coloniales, son lien intime à la vie sociale, son caractère polyvalent et sa réalisation progressive et graduelle. L’éducation était importante aussi bien dans le cadre familial que de la collectivité. La famille a pour devoir sacré d’assurer la conduite correcte de l’enfant. Quand leurs parents ou les adultes, considérés comme leurs maîtres, doivent témoigner du sens de responsabilité et de sollicitude chez leurs enfants, ces derniers leur doivent, à leur tour, obéissance ; ils jouent en fait le rôle de disciples. La communauté tout entière est tenue également pour responsable de l’éducation. Sous des formes diverses, toute la collectivité prend part effectivement à l’éducation de l’enfant, ce qui justifie l’importance accordée à cette dernière. Dans une large mesure, son éducation est l’affaire de tous, de façon directe ou indirecte tout au long de sa croissance physique et de son développement psychique et intellectuel. Un adulte quelconque ou un aîné peut le gronder, le corriger ou au contraire le conseiller, le consoler ou le récompenser. Sous la direction des aînés ou des anciens, un jeune ou un adolescent est initié à la vie, faisant ainsi confiance à leur sagesse et à leur expérience. Les adultes les font, par exemple, assister aux palabres, leur font écouter, en groupe, contes, légendes et devinettes. Pour leur éducation, les jeunes « retroussent les manches », ils font ce qu’on leur apprend et ne perdent pas une miette de ce qui se dit. Ils apprennent à écouter et à agir en regardant comment font leurs initiateurs. La capacité d’observer silencieusement est l’une des premières choses que l’on encourage dans l’éducation.

Comme on le constate, l’éducation traditionnelle s’enracine dans la vie des hommes : elle est intimement liée à la vie sociale. Comme telle, elle est particulièrement en lien avec l’activité productrice, car l’enfant participe « à la production pour le compte et sous l’autorité des adultes ou à leurs côtés avec une autonomie progressive. » 136 En rapport avec ses capacités et par ses différentes activités, l’enfant se rend utile dans les travaux ménagers, agricoles ou dans l’apprentissage des valeurs de la vie par ses nombreux contacts avec les membres de la collectivité. Ces tâches de production familiarisent l’enfant puis l’adolescent avec les travaux des adultes et les aident à s’initier aux différents aspects sociaux de leur vie future. Outre cette voie qui les ouvre aux aspects pratiques de la vie, l’éducation traditionnelle se fait également à travers des jeux. En imitant les adultes par leur contact avec les matériels et la portée éducative de ceux-ci, par exemple le goût du travail manuel en particulier, les enfants se préparent ainsi à participer à la production ultérieure. A travers son éducation, il est ainsi initié aux rapports avec les hommes, par exemple, en jouant le rôle d’intermédiaire entre adultes, par les actes de la vie quotidienne ou par l’apprentissage d’un métier auprès des adultes. L’apprentissage du métier lie l’enfant à sa fonction sociale d’intermédiaire entre adultes et de maillon efficace de solidarité et de fraternité entre jeunes du même âge, mais aussi entre eux et leurs aînés, entre eux et la communauté tout entière. Par les jeux l’enfant ou l’adolescent sont initiés à la vie sociale ; ils en apprennent les divers aspects : des faits, des comportements. On peut, par conséquent, dire que, à partir de ses différents traits, l’éducation africaine traditionnelle est polyvalente : elle s’intéresse à tous les aspects de la personnalité de l’enfant et de l’adolescent. Elle a pour objectifs fondamentaux aussi bien le développement de leurs aptitudes physiques, la formation de leur caractère et l’acquisition de leurs qualités morales que la transmission de connaissances techniques empiriques et théoriques, en recourant souvent au travail manuel et au travail intellectuel. Du cadre familial de la maison à ce qui en est hors, on en arrive à former, chez l’enfant et chez l’adolescent, d’une part l’attention à la tenue, à la politesse, à l’honnêteté, la probité de l’enfant, et d’autre part, son caractère : la sociabilité, la probité, l’honnêteté, le courage, la solidarité, l’endurance, la morale, le sens et le sentiment d’honneur.

Afin de mieux la réussir, l’éducation traditionnelle se réalise progressivement et graduellement à travers différentes phases et suivant les classes d’âge d’évolution de l’enfant et de l’adolescent. On en distingue en général trois : de la naissance à six ou huit ans, de six à dix ans et de dix à quinze ans. La mère s’occupe de l’éducation dans le cadre familial pour la première période, alors qu’après six ans on assiste à la différentiation sexuelle de l’éducation : les filles sont éduquées par les femmes, les garçons par les hommes. On les initie surtout au travail manuel, mais aussi aux jeux entre filles ou garçons de la même classe d’âge. Cette différentiation sexuelle en éducation se poursuit pendant la troisième période, est consacrée à l’éducation de la vie intime des hommes et des femmes et, par voie de conséquence, à la différentiation sexuelle du travail : les hommes ou les femmes accomplissent séparément leurs travaux ou métiers avec le sens de responsabilité et d’autonomie. Avec Gaston Mialaret 137 , nous pouvons donc dire que l’éducation traditionnelle était caractérisée par une diversité fonctionnelle et elle était presque toujours inséparable de l’éducation sexuelle. La transmission, presque idéale, de l’éducation sexuelle était faite par les oncles, les tantes ou les grands-parents –selon l’usage des différentes communautés. Mais elle était insuffisante pour préparer un enfant à la vie de famille. L’éducation traditionnelle est fonctionnelle : elle prépare autant la jeune fille que le jeune garçon à jouer un rôle important dans la vie : être, par exemple, éleveur ou chasseur, pour le garçon, et, pour la jeune fille, être bonne ménagère pour s’occuper des enfants et cuisiner, tenir la maison. Des aspects particuliers de l’éducation traditionnelle montreront comment un enfantDing est éduqué.

Notes
134.

MIALARET, G. et VIALSS, J., Histoire mondiale de l’Education. Tome 3 : De 1815 à 1945, Paris : PUF, 1981, p. 74.

135.

P. QUENUM, J.-C., Interactions des systèmes éducatifs traditionnels et modernes en Afrique, Paris : L’Harmattan, 1998, p. 30.

136.

MOUMOUNI, A., L’éducation en Afrique, Paris : Présence Africaine, 1998 (2è édition), p. 22.

137.

MIALARET, G. et VIALSS, J., Histoire mondiale de l’Education. Tome 3 : De 1815 à 1945, Paris : PUF, 1981, p. 74.