4. Rôle de l’Ancien dans l’éducation de la jeunesse.

Le devoir d’initier le jeune à la vie incombe à toute la société. Les anciens se chargent de l’éclosion de l’adulte dans l’enfant. Chaque niveau social a son rôle à jouer dans cette maturation de l’enfant. Est mise en maximes et sentences que l’on cite pour justifier telle ou telle autre manière d’agir l’attitude des parents vis-à-vis des enfants, des aînés vis-à-vis des cadets et des adultes en général vis-à-vis des jeunes. Dans beaucoup de sociétés africaines sud-sahariennes, comme les Pende et les Tshokwe, qui sont plus proches de l’ethnie Ding, l’éducation initiatique est codifiée et vécue intensément à un moment donné de la vie du jeune. Cette période couvre plus ou moins l’espace de six mois. La tradition Ding ne connaît pas cette coutume. Le rôle éducatif de l’ancien dans la vie quotidienne de l’enfant prend un sens particulier. Il vit et travaille sous les yeux du jeune. Ici, les paroles ne sont que secondaires. C’est l’école pratique de la vie, ce que l’on pourrait aussi appeler l’éducation intégrée. Un ancien témoignage nous apprend : « Chez nous chaque elwôn, chaque Iyor et chaque village servent de cadres naturels où les enfants sont initiés à la vie. Nous demandons une seule chose à nos enfants, c’est de nous écouter et surtout de bien regarder ce qui se fait et d’imiter à leur tour. Nous disons à nos enfants : ce que vous voyez et entendez, avalez-le, digérez-le, ne gardez que ce qui vous fait du bien et crachez l’inutile. Surtout n’imite pas n’importe qui. » Un proverbe Ding illustre bien cela : lab biwér bikipuu, opung ilab bitienn binda  (Suis la mode pour ton habillement, mais n’imite pas le parler des autres). Chaque personne peut s’acheter son habit, mais, en imitant les manières de parler d’un autre, elle pourrait provoquer une palabre qui lui coûterait cher. L’elwôn où réside l’oncle maternel, le chef et l’aîné, est, pour ainsi dire, le centre de diffusion du programme de l’éducation, de toutes les lois et de tous les interdits que l’enfant doit suivre. Car le but visé n’est pas de former n’importe quel homme, mais l’homme voulu et désiré par l’Elwôn.

Si l’éducation des enfants dans sa globalité est laissée à tous les membres de la communauté, il y a cependant certains domaines spécifiques réservés aux initiés. À cette initiation sont liés certains rites et cérémonies consécratoires mêlés de sacré. Cette caste d’initiés comprend les guérisseurs, les devins, les forgerons, les danseurs et les tambourineurs. Sous un cadre spécifique, l’apprenti-initié suit son maître et l’écoute. Par rapport à l’initié, le maître est son autorité et a de l’autorité sur lui. Il fait preuve non d’autoritarisme mais du sens de la responsabilité. Cette valeur souvent remplie par le chef de famille lui vient de l’ancêtre décédé qui, pour des raisons de méconduite du chef désigné, intervient dans le rêve en vue de corriger ou de frapper. Tout mal provient soit de la colère des mânes des ancêtres, soit des jeteurs de mauvais sorts. C’est ainsi que l’éradication du mal proviendra soit des sacrifices offerts sur la tombe des ancêtres, soit du port des amulettes reçues du guérisseur (Nganga). Avant la Première Guerre mondiale, la société traditionnelle Ding était fort hiérarchisée et connaissait certes une forme de la notion de l’autorité qui se comprenait mieux à partir des classes d’âges. Au sommet il y avait Munken, le chef des Ding, qui était considéré comme un roi. Des dignitaires-serviteurs 147 hiérarchisés à leur tour formaient le puissant conseil de la cour royale. Chaque serviteur avait une part d’autorité et, avec les autres serviteurs, il facilitait la reconnaissance et le respect de celle du roi. Par leurs différentes fonctions chaque serviteur mettait à contribution son autorité de façon complémentaire et permanente, dans le respect des principes généraux et des acquis particuliers. A la même période, on trouvait ensuite dans la configuration sociale Ding des classes sociales 148 ou classes d’âges qui, excepté les esclaves et les hommes donnés en gage, soit par insolvabilité, soit pour une autre raison, remplissaient des fonctions politiques importantes. Les relations humaines étaient aussi bien harmonieuses que respectueuses au niveau horizontal. Mais, au niveau vertical, elles ne l’étaient pas du tout de la même manière, tant il fallait y introduire la notion de l’autorité qui apparaissait dans le pouvoir hiérarchique et la fonction politique des trois catégories d’âges importantes : le Munken, la noblesse et les hommes libres, chacune d’elles représentant une autorité politique et incarnant une autorité sociale. Tout cela se fait dans la discipline et le chef doit à la fois la garantir et y entraîner ceux qu’il forme. Pendant son éducation familiale, en effet, l’enfant est appelé à suivre les consignes et les règles de l’Elwôn sous l’œil vigilant de son maître et à travers le travail de ce dernier.

Comme on le voit, « l’école traditionnelle » du jeune garçon et de la jeune fille, qui se fait par l’initiation et l’imitation, les aide à prendre des initiatives et à prendre leur indépendance au fur et à mesure qu’ils grandissent. En revanche, la communauté ne les laisse jamais seuls ; ils sont toujours sous l’œil vigilant du père ou de l’oncle, voire des autres membres du clan ou du village. Tous et chacun sont prêts à les corriger non par la punition et la crainte, mais pour les soutenir et les encourager. Les punitions tordent en effet l’esprit des jeunes, estiment les anciens, les rendent timides et brisent leur courage. On ne dira jamais si une action est bonne ou mauvaise. Mais, à travers une histoire symbolique que les anciens racontent à l’enfant, on essayera de lui faire prendre conscience soit de leur regret par rapport à une quelconque attitude d’autoritarisme vis-à-vis du jeune, soit pour vanter les mérites d’un ancien qui a su maintenir l’équilibre d’une communauté, ou d’un chasseur qui a pu nourrir tout le monde en des temps difficiles. Un des avantages – et c’est ce qui fait leur force- des sociétés traditionnelles dans leur tradition éducative, c’est de toujours mettre l’enfant au centre de leurs préoccupations, de considérer comme atypique celui qui n’arrive pas à se plier aux rôles masculin et féminin tels qu’ils sont définis mais de ne jamais le rejeter ni l’exclure, autant que possible, tant que l’équilibre de la société n’est pas menacé. Les anciens appliquent ainsi le principe de l’inclusion. D’où le dicton : « l’enfant est l’enfant de tous et son éducation est une responsabilité qui incombe à chaque membre de la communauté ».

Notes
147.

Cfr. NKAY MALU, F., Histoire de Ding Mbensia d’après les traditions du clan Ntshum (Des origines à 1899), Lubumbashi, UNAZA, Mémoire de Licence, 1979, p. 60-61.

148.

Ibid., p. 104-107.