On voit le plus souvent son aspect statique, c’est-à-dire un héritage du passé, que l’on reçoit afin de s’intégrer dans la communauté. C’est une voie indispensable où se trouvent cachés plusieurs trésors 149 : le jeune doit s’approprier un langage, un corps de connaissances, un cadre général des valeurs admises et un savoir-faire. Il est aidé à découvrir et à comprendre tout cela comme le noble héritage des « sages » ou des « anciens » de la société Ding. D’où la nécessité, pour les jeunes, d’une part, d’écouter les anciens et de leur obéir avec une liberté responsable et d’autre part, la difficulté pour les anciens –ces infatigables maîtres et initiateurs-à conceptualiser leurs méthodes éducatives.
En outre, l’éducation est aussi un facteur de changement social dans les milieux traditionnels. En ce sens, l’éducation traditionnelle a un aspect dynamique : l’héritage est transmis d’une génération à une autre. Par là même, on pourrait dire qu’elle oblige la nouvelle génération à actualiser, à structurer et à organiser, selon son génie propre, ce qu’elle a reçu afin d’assurer sa pérennité. C’est bien le souci de tout groupe humain de se reproduire comme tel dans et par l’éducation.
Toutefois, l’éducation traditionnelle ouvre le jeune à une autre dimension de l’éducation : la connaissance juste des coutumes et l’approfondissement de leur sens, l’observation de leurs valeurs positives : respect du corps, des morts, de l’ancien ; la politesse et la pudeur. On ne le dira jamais assez : l’éducation traditionnelle fait accéder l’enfant à des valeurs telles que la solidarité, la reconnaissance collective d’identité, et le respect de sa propre identité, de ses droits et de ses devoirs. La solidarité met les jeunes en face de leurs préoccupations ou de leur propre éducation. Précisons qu’il s’agit d’une forme de solidarité qui est une vraie prise en charge matérielle. C’est un des aspects de la solidarité clanique qui appelle immédiatement un ensemble de devoirs précis, civils et religieux. La reconnaissance collective engage les membres d’une collectivité à reconnaître et à admettre que « l’enfant est l’enfant de tous.» 150 C’est ainsi que l’enfant s’intègre dans son milieu naturel de vie, qu’il participe et, enfin, que s’établissent des relations interpersonnelles entre lui et les membres de la communauté, dans le respect de ses droits, mais surtout dans la reconnaissance de son identité et l’affirmation de sa personnalité.
Par ailleurs, il peut se faire que, dans l’éducation traditionnelle, l’enfant n’ait pas de liberté de choix pendant son apprentissage. Dans les cas les plus simples, il est, d’une manière ou d’une autre, dépendant de ses « éducateurs traditionnels ». En ce sens, la tâche n’est pas facile. De cette dépendance peut naître non pas le respect de la personne, sa promotion à la liberté, mais une forme de soumission servile. C’est ce que déplore Tshiala Lay : « Entre les élèves et les parents, c’est la politique et l’obéissance inconditionnelle des premiers envers les seconds qui constituaient les fonts baptismaux des rapports sociaux» 151 . Ce texte est suffisamment clair pour nous permettre de dire que c’est le moment de chercher, pour les élèves, une voie de sortie de la dépendance vis-à-vis des « enseignants qui, jadis obligés de jouer le rôle de père, utilisaient les élèves à leur gré, au point d’en faire des ouvriers bénévoles » 152 . Rompre avec de telles pratiques, c’est répondre en partie à l’insistance des enfants qui, influencés par la modernité, réclament d’être autonomes, libres et responsables. Ce sont là des vœux bien difficiles à réaliser : tisser les rapports sociaux sur l’égalité, la parité, l’incorporation dans le processus de la prise des décisions importantes pour leur éducation. Si une telle approche constitue une thérapie efficace des questions sociales dans l’éducation traditionnelle, il reste que, dans le temps, l’efficacité de celle-ci n’est pas acquise, même si on la préserve de tout abus. La violation de la conscience et de la liberté de choix, le paternalisme spirituel et matériel 153 , l’endoctrinement religieux paraissent désavoués de nos jours : on assiste à des attitudes de vengeance envers quelques enseignants de la part des élèves. Il est des cas où pareille proposition ne correspond pas au fonctionnement des « institutions », figées par la hiérarchie. Et pourtant, l’éducation traditionnelle a des aspects inaliénables. Il n’est donc pas inutile de bien la comprendre. L’éducation de petits enfants illustre globalement ce modèle éducatif ancien.
Cfr. CORNAZ, L., L’Ecriture ou le tragique de la transmission, Paris : L’Harmattan, 1996.
COPPIERTERS’T, Jeunesse marginalisée. Espoir de l’Afrique : Un juge des enfants témoigne, Paris : L’Harmattan 1992, p. 60-61.
TSHIALA LAY, Op. cit., p. 57.
Idem.
Idem.