II. - Valeurs morales et spirituelles

Les Ding ont le sens de Dieu. Pour eux, Dieu est Bon, Invisible et Créateur de toutes choses, mais ils ne le servent pas. Il punit le mal et récompense le bien après la mort. Dans leur vie comme dans leurs relations, ils pratiquent la modestie, qui consiste à se contenter de peu. Ils sont, en effet, modestes quant à la nourriture. Comme l’écrit le Père Dom, « Heureusement ils arrivent à se contenter de peu : des fruits de la forêt, des champignons, des chenilles, des grillons, des feuilles de manioc, tout cela se mange chez eux : les œufs pourris, on les cuit, la viande avancée de même ; « On ne mange pas l’odeur » disent-ils. » 171 Pour répondre au souci des missionnaires de les associer à l’œuvre d’évangélisation et d’implantation des Eglises, ils avaient cultivé l’esprit d’entraide, ce qui traduisait également leur hospitalité. Ils aidaient les missionnaires à réaliser leur mission non seulement en acceptant d’être catéchistes mais en les portant et en les faisant voyager, la plupart du temps, en pirogue. Tout cela confirmait à la fois leur ingéniosité, leur intelligence pratique mais surtout le don gratuit et spontané. Ils étaient généreux : ils savaient partager. Quand ils attrapaient une bête, par exemple, ils en donnaient une épaule au chef, d’autant plus que, chez eux, la hiérarchie a un sens. Dans le domaine social, en effet, elle se présente comme suit : d’abord, il y a le chef, qui peut être un homme ou une femme ; ensuite, les hommes libres ; et enfin les esclaves. Dans l’ethnie Ding, en effet, il y a une utilisation fréquente du mot « chef » ; on lui accorde une place de grande importance. Cela explique le respect du principe d’hérédité pour la succession : d’abord, le frère d’un chef décédé, puis le fils du défunt ont droit à lui succéder. Comme l’écrit Janssens, « Il y a un chef qui est chef par hérédité ; un dans chaque village et un grand chef de tous les villages ». De plus, pour manifester leur politesse, ces populations donnaient à quelqu’un quelque chose des deux mains. Dans sa correspondance en 1926 à ses anciens élèves de St Michel, le Père Dom affirme que les Ding étaient honnêtes par rapport aux gamins Blancs de l’Europe qui, placés devant une chambre ouverte et menacés par la faim, auraient facilement volé. L’honnêteté des Ding se vérifiait par le fait qu’ils ne volaient pas, sinon rarement, quand ils avaient faim. On pouvait laisser une chambre ouverte, rien ne disparaissait. En effet, écrit le Père Dom, « on les dit voleurs ; c’est une exagération, ils le sont beaucoup moins que les Blancs… Ils vont se couper leurs cinq épis de maïs ; jamais ils n’en prennent six ; évidemment, ils prennent les plus gros, c’est bien naturel, n’est-ce pas ? » 172 Cette remarque est très suggestive. Elle marque l’évolution positive des mentalités et des transformations, qui modifient toutes, surtout, le jugement de valeur vis-à-vis de ces peuples. Car, pour le Père Struyf, qui arriva en milieu Ding avant 1912, ces populations étaient carrément qualifiées de voleurs. Ce changement d’appréciation une année après est dû à l’effort personnel qu’il s’est imposé pour bien regarder les Noirs, mais surtout à l’idée qu’ils ne volent pas puisque Dieu le leur défend et, si quelqu’un arrive à le faire, il pose un mauvais acte ; Dieu va le punir après la mort. Par ailleurs, ils répugnent au vol, puisque le chef punit, fait gifler le voleur ; il lui fait restituer et payer le vol. Aux chefs comme à toutes les personnes, ils devaient de l’obéissance. Quand ils avaient des différends entre eux, ils savaient les résoudre. Tandis que les chrétiens recourraient à la réconciliation pour rétablir les liens d’un amour brisé, les Ding traditionnels résolvaient leurs problèmes par la palabre. D’abord, ils réglaient ainsi leurs différends, afin de rétablir l’harmonie et la paix entre eux, ou entre deux personnes dont l’acte était désapprouvé par les membres du village. Soucieux de poursuivre cet objectif, les Missionnaires arrangeaient des palabres pour les indigènes ; ils en faisaient autant pour les catéchistes, partout où ils passaient. Mais, quand une palabre ne s’arrangeait pas ou se terminait par un meurtre, les Ding avaient assez souvent recours à des violents conflits, pouvant aller jusqu’aux grandes batailles. Pour les éviter, ils tuaient et jetaient à l’eau le coupable d’une palabre, que le chef livrait à l’autre village. La pratique de la palabre telle que les Ding l’ont vécue n’est pas à tous les coups conforme à la valeur de la vie chez eux. La palabre était sans doute initialement conçue pour rétablir l’harmonie et la paix dans une communauté brisée, mais on n’aurait pas dû en même temps enfreindre la règle d’or du respect de la vie. Et pourtant, « livrer, tuer et jeter à l’eau le coupable » ne favorisait ni la réparation de la faute, ni la réintégration du coupable, ni la protection de sa vie au sein de la communauté. Hélas ! Le coupable en est non seulement exclu, mais tué. N’est-ce pas là une contradiction dans les moyens employés pour re-créer l’harmonie et la paix tant souhaitées, face à un même objectif, réparer la faute ou le mal commis par un membre de la société au village ?

Dans leurs relations sociales comme dans certains domaines de leur vie, ces populations devaient avoir du courage et de l’endurance, notamment pendant la chasse qui était, chez eux, un des domaines où ils devaient montrer le plus leur courage. Le Père Libbrecht en rend compte dans son célèbre article Une chasse au Léopard à Ipamu, il y décrit comment, autour d’un des leurs, armé du fusil à balles, les Ding rejoignent les autres chasseurs armés d’arcs, avancent vers le léopard et le tuent. Toutefois, afin de protéger Libbrecht et les autres Blancs contre tout risque d’attaque, ils les prient à la fois de leur passer les armes et de venir après tous les indigènes armés. Il reste vrai cependant que les Ding ne pouvaient pas uniquement compter sur leurs arcs et flèches, pour tuer un léopard. En outre, ceux qui n’avaient ni fusil, ni arcs, ni flèches ne devaient absolument pas s’approcher de cette énorme bête. Le recul de quelques-uns et leur prudence ont sans doute donné à Libbrecht l’impression d’un manque de courage face au léopard, qu’il reconnaît être « une bête terrible ». Selon lui, en effet, « on ne peut compter sur le courage du Noir : seul celui armé de l’Albini était brave ; tous les autres, des couards filant à toutes jambes, y compris celui qui m’avait ravi mon fusil.» 173 Or, c’est après avoir entendu les cris du léopard et repéré sa cachette que tous les marcheurs pris de panique, y compris Libbrecht lui-même, ont décidé de « fuir à toutes jambes ». Une pareille rencontre, aussi brusque que déchirante, a profondément été vécue comme un moment pathétique pour tous : « Donc la bête est là….La bête est peut-être là à nous épier, s’apprêtant à bondir 174 Dans l’article du Père Lebbrecht, nous pouvons relever une contradiction pourtant, dans le même texte, il montre avec quelle bravoure « le Noir armé du fusil se met en tête » et lui saisit son fusil en disant « N’allez pas ; moi je tirerai. » À ces fins, il n’a pas un seul instant hésité à obtempérer : « Je lui cède mon arme », affirme-t-il. En revanche, quand le léopard est tué, observe-t-il, les Ding, « s’élancent et lui criblent la gorge de flèches. Puis c’est une clameur hurlante, des cris de joie et de triomphe, des battements de mains, des gambades et des hurlements assourdissants… » 175 Le courage de ce peuple se vérifiait aussi pendant la chasse aux animaux féroces : éléphants, buffles. Enfin, les Ding étaient courageux à toute forme de chasse, car ils ne pouvaient savoir à l’avance quel type d’animal leurs hurlements et les bruits des grelots feraient « dénicher ». Un autre domaine où ces populations montraient leur courage, c’est la pêche. Il s’agissait de la pêche aux trous et à la ligne, pour les hommes, et de la pêche aux nasses et à la digue pour les femmes. Pour l’une comme pour l’autre et dans quelque rivière, on n’échappait pas à un de ces dangers : un serpent venimeux, un crocodile ou un iguane.

Toutefois, en milieu Ding traditionnel, ces valeurs ont eu aussi leurs opposées, que nous qualifions de contre-valeurs. Il s’agit notamment du mensonge, que les Missionnaires ont constaté à leur arrivée. Ils virent que les Ding n’étaient pas francs. En 1926, dans sa lettre aux anciens élèves du collège Saint-Michel (Belgique), le Père Dom le confirme : « Ils mentent, c’est vrai, avec la candeur que sait y mettre un petit Bruxellois ! Ils acceptent toujours bien la punition infligée ; si je dis à quelqu’un, le matin : « Agenouillez-vous près de l’Eglise », il ne manquera pas d’y venir ; il toussera bien un peu, pour me rappeler qu’il est là, mais il y restera jusqu’à ce que je lui dise de partir.» 176 De son côté, le père S. Van Hee, sj., présente quelques autres défauts des jeunes Noirs « pas encore civilisés », c’est-à-dire païens et non scolarisés. Il écrit : « Portant en eux les germes des défauts de leur race, enclins à la suffisance et à la vanité, tout aussi prompts au découragement, par ailleurs vivant au milieu de mille dangers pour le corps et pour l’âme, en butte souvent à l’hostilité des vieux de l’endroit, ayant à lutter contre leurs propres défauts et ceux de leur prochain, il leur faut une volonté bien supérieure à la moyenne, une vertu parfois héroïque, pour tenir bon, pour marcher droit et poursuivre leur œuvre obscure, mais combien précieuse aux yeux de Dieu.» 177 Selon Van Hee, étaient civilisés, en 1922, des indigènes qui avaient adopté la civilisation chrétienne. Ne l’étaient pas ceux qui baignaient dans « les grossières superstitions du paganisme », par exemple les méfaits, les rixes, les meurtres parfois et les crimes, qu’un missionnaire ou un catéchiste dénonçait à l’autorité. « Un catéchiste, s’étonne-t-il, ne m’apportait-il pas dans ses bras, il y a quelques mois, un enfant nouveau-né que les indigènes s’apprêtaient à enterrer vivant avec sa mère défunte ? » 178 Les Ding ont enfin connu de « la défiance » vis-à-vis des Européens.

Nous pouvons donc replacer les valeurs traditionnelles des Ding dans ce tableau récapitulatif des valeurs africaines traditionnelles Elles expriment les expériences d’ordre spirituel et social, religieux et moral, que les peuples africains ont menées au cours des âges. Nous en reprenons celles qui sont tenues en haute estime et considérées comme des acquis positifs à conserver.

Notes
171.

DOM, s.j., « Mission du Kwango. Lettre à ses anciens élèves de St Michel. Ipamu », in Missions Belges de la Compagnie de Jésus, 1926, p. 218.

172.

Ibid., p. 219.

173.

LIBBRECHT, E., s.j., « Une Chasse au Léopard », in Missions Belges, 1924, p. 444.

174.

Ibid., p. 443.

175.

Ibid., p. 444.

176.

DOM, sj., « Mission du Kwango. Lettre à ses anciens élèves de St. Michel », in Missions Belges de la Compagnie de Jésus, 1926, p. 219.

177.

VAN HEE, « Ecoles rurales et catéchistes dans la Mission du Kwango », in Revue des Missions Belges, Supplément, Avril 1922, p. 3.

178.

VAN HEE, Op. Cit., p. 3.