2. Les Missionnaires de la Compagnie de Jésus et la fondation d'Ipamu.

La longue histoire de la Compagnie de Jésus est si connue qu'il serait fastidieux de la reprendre. Il convient seulement, de rappeler qu’elle fut fondée par l'Espagnol Ignace de Loyola (1491-1556). Le groupe prit, en 1540, le nom de Compagnie de Jésus, oeuvrant dans l'enseignement, la direction spirituelle et les missions lointaines. En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, une première présence des Jésuites dans l'ancien royaume Kongo date de 1548, année de fondation d’une école à San Salvador. Cette tentative de Mission au cœur de l'Afrique Noire a échoué, mais les Jésuites vont récidiver. Ils reviennent au Kongo en 1619, pour reprendre le projet de la fondation d'un collège qui fut actif de 1624 à 1669. C'est de cette époque que date la publication du catéchisme kikongo, du Père Mattheus Cardoso.

À l'époque contemporaine, les Jésuites arrivent dans l'État Indépendant du Congo en 1893. En effet, le territoire confié aux Scheutistes par le bref Quae catholico nomino, du 11 mai 1888, du pape Léon XIII sur l’insistance de Léopold II, était trop vaste pour être évangélisé par une seule congrégation. C'est ainsi que, par le décret « Iam anno » du 8 avril 1892, le Saint Siège érige la Mission du Kwango, dont il confie la direction aux Jésuites Belges, selon le fameux principe de territorialisation. Cette vaste mission s'étend de l'Inkisi à l'Ouest jusqu'à la Lubwe, frontière de la Mission du Kasaï, à l'Est. Faute de personnel, l'occupation effective du territoire ne se fera que progressivement. La thèse de Fernand Mukoso 239 retrace avec minutie les origines et les débuts de cette légendaire mission. Après de nombreuses tractations impliquant le Saint Siège et un échange tous azimuts de correspondances, les Jésuites acceptent de reprendre le territoire compris entre la Lubwe et la Loange, que les Scheutistes du Kasaï avaientabandonné depuis 1919. Ils vont à l'assaut de leur nouvelle mission depuis leur poste de Wombali, fondé au confluent du Kwango-Kasaï, le 4 juillet 1902. À partir de l'année 1920, ils procèdent d'abord par des visites ponctuelles, avant de choisir de s'installer définitivement à Ipamu, chez les Ding orientaux, en 1921. Reprenons un large extrait du récit des débuts de cette nouvelle mission par l'un des plus actifs pionniers, le Père Y.Struyf : "Les Pères de Scheut abandonnèrent la mission de Pangu en 1919.(...) Tous les bâtiments de leur unique poste de Pangu étaient en argile couverts en paille. La grande chapelle avait des colonnes en briques ; la cuisine aussi était en briques. A leur départ, un incendie détruisit toute la mission. Il ne resta debout que la cuisine. A quoi attribuer cet incendie? Mystère !! Le Père Brielman se rendit le premier, à Lubwe, pour y voir les chrétiens et leur procurer les sacrements. Il fit une seconde tournée, en compagnie du Révérend Père De Vos et à Lubwe et à Mangaï. C'est alors qu'ils ont inscrit un grand nombre de chrétiens qui venaient avec leur carnet de baptême. Les registres de l'état religieux n'étaient pas à voir. C'est plusieurs années après le départ des Pères de Scheut, que les registres sont arrivés à Ipamu. Ils se trouvaient dans le Haut-Kasaï. Après ces visites, le Père Van Derijst, parti de Kikwit, traversa la région inconnue et mal famée des Ding et arriva à Ipamu, grand centre de Ding Mukene-Mbele. Cet endroit avait été indiqué par M. Huysmans, l'administrateur territorial d'Idiofa. Ipamu se trouve vers le milieu de la région cédée, à 17 kilomètres de la rive du Kasaï, au milieu d'une magnifique galerie forestière. Les indigènes étaient favorables à l'établissement d'un poste missionnaire. Ceux-ci pourraient disposer de grandes forêts pour les plantations. De retour à Kikwit, le Père revient une seconde fois (à Pangu). Il y trouve déjà une cinquantaine de femmes catéchumènes : Bangoli et Banzari, sous la surveillance du catéchiste régional, Paul, homme marié et établi par les Pères de Scheut à leur départ, pour maintenir les chrétiens dans la bonne voie. Celui-ci avait fait construire un grand hangar, dont les murs et le toit avaient été couverts en feuilles de forêt. Ce hangar se trouvait en pleine forêt. Plus à l'Est, quelques misérables huttes avaient été construites, sous les palmiers, ancien emplacement d'un hameau du village. Là se tenaient une vingtaine de Bangoli, anciens catéchumènes de Pangu. C'est là où le Père dressa sa tente et se fit construire un abri. La nouvelle mission d'Ipamu était établie. Au mois de septembre de cette même année 1921, arriva le Père Struyf, par la voie du Kasaï. Débarqué au poste de C.K., il fut conduit en tippoi 240 par les Bangoli, de village à village, jusqu'au nouvel emplacement." 241

Les débuts de la mission devaient être particulièrement durs. Contrairement aux Scheutistes qui, à Pangu, avaient, au départ, bénéficié d'une infrastructure rudimentaire offerte par la C.K., les Jésuites ont bâti, on pourrait dire, ex nihilo, au milieu d'une grande forêt et parmi deux populations qui avaient l'air de se craindre, les Ding et les Ngwi, reconnus comme anthropophages. De fait, les conditions matérielles et morales n’étaient pas décentes : le manque d’habitation convenable, le froid, les fourmis voyageuses et les tornades, l’emplacement de la mission au milieu d’une grande forêt, le manque d’entente entre les Ding et les Ngwi, tout cela rendait la vie dure. 242 Si l'historiographie dominante a souvent mis en avant le zèle du missionnaire et sa volonté obstinée d'installation d'un nouveau poste, l'adhésion des autochtones et leurs efforts répétés ne peuvent, en aucune manière, être occultés. Ces anonymes, sympathisants de la nouvelle religion ou non, qui venaient chaque matin avec leurs "petites haches", pour faire naître une mission, sont dignes de mémoire. En 1923, deux autres prêtres Jésuites (Puters, mort à la mission en 1924 et Delaere, promoteur de l’énorme scierie d’Ipamu), aidés par deux aides-laïcs (Fooz et Broux), viennent renforcer la petite communauté naissante. Au Sud, remontant la Lubwe, les deux missionnaires jésuites fondent Mwilambongo en 1926, en territoire majoritairement peuplé par les Ambuun, mais où vivent, comme nous l’avons indiqué plus haut, des minorités de Ding orientaux, de Wongo et de Pende pour établir la liaison avec la mission de Kilembe, érigée plus au Sud par le Père Foubert en 1923. À l'Ouest, sur la rive gauche de la Kamtsha, les populations, bien disposées, bâtissent à leurs propres frais le poste secondaire de Mateko mandwelo. Ce poste était prêt à recevoir les missionnaires lorsque les Jésuites quittèrent Ipamu en 1933. Un autre poste était créé à Longwama, dans le Nord, chez les Balori. Les missionnaires ne s'établissent pas en permanence dans les grands centres naissants comme Mangaï, Dibaya-Lubwe, Pangu, Eolo et Panu où les commerçants Blancs et les agents de l'État colonial règnent en maîtres.

En ce qui les concerne, les Jésuites ont réalisé diverses activités. De leur installation en 1922 à leur départ définitif en 1933, dix Jésuites 243 sont passés par Ipamu. De cette base, ils vont, en effet, essaimer dans tout le territoire des Ding orientaux et de leurs voisins, installant des catéchistes et érigeant des chapelles.Sur le même territoire, dans les environs immédiats et lointains d'Ipamu, ils érigent des écoles-chapelles à Bantshion, Kibwadu, Lubwe, Bambudi, Bankumuna, Bampum C.K. et Kasangunda. Ces postes ruraux, régulièrement visités par un prêtre itinérant, sont habituellement dirigés par des catéchistes, anciens de Pangu ou formés plus tard à l'école d'Ipamu. Dès le début, ces catéchistes ont servi de guides et d'interprètes aux missionnaires dans leurs pérégrinations à travers le pays des Ding orientaux. Lorsqu’ils augmenteront en nombre, les Pères les installeront dans chaque village où ils seront d’actifs propagandistes de la foi chrétienne, des nouveaux acteurs dans les rites mortuaires traditionnels qu'ils chercheront vainement à orienter vers le christianisme. Ils furent aussi des intermédiaires entre les agents coloniaux et les indigènes, car ils étaient les seuls au village à savoir lire et écrire et à parler la langue comprise par tous. La mission elle-même est organisée sur le modèle d'une ferme-chapelle. Dès le début de leur ministère, les Jésuites se sont attelés à la formation des catéchistes-instituteurs appelés à assurer l'instruction aux enfants des villages. Il s'agissait de jeunes gens à qui l’on enseignait quelques rudiments d'écriture, de calcul et de lecture, tout juste assez pour les rendre capables de lire et de comprendre le catéchisme pour le transmettre aux autres. Le père Delaere décrit cet enseignement en ces termes :"Mon occupation principale est la classe, c'est-à-dire la formation d'une élite et donc des futurs catéchistes. Quand je dis classe, il faudrait bien remarquer que l'enseignement qui se donne ici est on ne peut plus primaire; il faut bien commencer par le commencement; quand mes enfants sauront lire et à peu près écrire, on pourra songer à voler plus haut. » 244 Les Pères avaient envoyé au petit séminaire de Lemfu, dans le Bas-Congo, quelques-uns de leurs enfants, les plus doués.

En 1931, la Sacrée Congrégation de la Propagande confie le territoire situé approximativement entre la Kamtsha et la Loange à la province belge des Oblats de Marie Immaculée. Le dernier Jésuite quittera, non sans regret, Ipamu en 1933 :" Le poste devient un beau centre d'activité spirituelle et matérielle. 600 garçons au poste, 250 ménages indigènes, 450 filles chez les sœurs. Une grande menuiserie avec moteur, une belle scierie, actionnée par une locomobile; 2 nouveaux aides-laïcs en avaient pris la direction. Une nouvelle Chevrolet faisait le transport. Mais la joie fut de courte durée. Une belle partie, la plus populeuse de la mission du Kwango, fut donnée aux Oblats. Ipamu tombait dans la région cédée. Et cela, au grand regret de la plupart des missionnaires. Mgr Van Hee, de concert avec les Supérieurs réguliers et ecclésiastiques, cédait un territoire à peu près grand comme la Belgique, avec une population de plus de 300.000 habitants, statistique donnée par les Pères Oblats eux-mêmes. Tout fut laissé aux Pères Oblats; les Jésuites partirent seulement avec leurs effets personnels. » 245 C’est pour aller prêter mains fortes à leurs confrères dans le district du Kwango que les Jésuites durent quitter Ipamu. Un des premiers missionnaires arrivés sur place le 1er octobre 1931 écrit : "L'aspect extérieur de la mission nous a causé une très bonne surprise, tout est rangé avec ordre. Plusieurs fois par jour, l'église se remplit de plus d'un millier de Noirs; ils regorgent et débordent à l'extérieur, à tel point que cette grange est trop petite. Et c'est une grange, je vous assure! Trois petits autels forment tout le mobilier de la maison de Dieu... Dans nos chambres, pas une armoire, pas une étagère ; une chaise abîmée, une table grossière aux planches disjointes, un lavabo fait sur place, un lit de camp auquel sont attachés quatre piquets pour la suspension d'une moustiquaire...Du sable comme parquet, et des habitants ! De grosses araignées qui vous couvriraient la paume de la main, une chauve-souris, un grillon de ces pays-ci, dont le cri a un son bizarre et une force étonnante...Tels sont les meubles et les compagnons que je retrouve le soir quand je viens prendre mon repos 246 ." Dans la mission d’Ipamu, les champs sont éloignés du village et les sœurs y allaient en visite, transportées en hamac (tippoï). Prière, classe, catéchisme, travail manuel et soins médicaux, telles furent les activités organisées à Ipamu.

Notes
239.

MUKOSO, F., Les origines et les débuts de la mission du Kwango 1879-1914, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1993.

240.

C’est un hamac.

241.

STRUYF, Y., Historique de la Mission d’Ipamu, Notes manuscrites, 1938.

242.

Cfr STRUYF, Y. Op. Cit.

243.

Les Pères Van Derijst, Y. Struyf, Puters, Deleare, Libbrecht, Lambrette, Dom, Mertens, D'Hooghe et Van Tilborg.

244.

DELAERE, J., « À Ipamu », in Missions belges de la Compagnie de Jésus, 1923, p. 45.

245.

STRUYF, Y., Historique de la Mission d’Ipamu, Notes manuscrites, 1938, p. 5.

246.

RENSON, E., « Mission du Congo Belge » in Mission OMI, 1932, p. 190.