3. Les Oblats de Marie Immaculée (OMI) au Congo Belge

En 1954, le Père Jean Hébette, omi 247 , écrit : « L’Histoire de l’installation des Oblats au Congo Belge remonte aux temps héroïques de la colonie, pendant l’esclavagisme.’ Il faut avoir tué son père et sa mère pour partir au Congo’, disaient à cette époque révolue les Belges, traditionnellement casaniers. Au fait, les missionnaires eux-mêmes semblaient mésestimer ce pays. 248 Mais Léopold II soupçonnait bien tout ce que l’Eglise pouvait attendre de ces contrées. En effet, « ses prodigieuses richesses naturelles, jadis méconnues, ne l’étaient pas plus que ses ressources spirituelles. Il a fallu les instances pressantes et réitérées du grand Souverain, ses interventions auprès du Saint-Siège, pour que les premiers missionnaires belges fussent envoyés au Congo-Belge. » 249 Ce fut le cas de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (O.M.I.), fondée en 1816 par Eugène de Mazenod (1782-1861), prêtre diocésain et aumônier auprès de la jeunesse et dans les prisons à Aix-en-Provence. Commencé sous le nom de Missionnaires de Provence, l'institut reçoit son approbation officielle le 25 février 1826 sous la désignation de la Congrégation de Missionnaires Oblats de Marie Immaculée. Mazenod lance ses "missionnaires", d'abord dans les missions paroissiales, en Provence et dans le reste de la France, le 14 Octobre 1832. Eugène de Mazenod devient évêque de Marseille, le 24 Décembre 1837. En 1841, il envoie la première équipe des Oblats au Canada, où commence la grande aventure missionnaire auprès des Indiens et des Esquimaux. En 1843, ils s'établissent à Ceylan et, en 1851, en Afrique du Sud. Lorsqu'il meurt, le 21 Mai 1861, les Oblats ont des maisons non seulement en France, mais aussi dans les autres parties de l'Europe et les autres continents.

L'épopée congolaise des Missionnaires Oblats commence donc le 5 mars 1931, lorsque le cardinal Guillaume von Rossum, préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande, ratifie les accords conclus entre Mgr Sylvain Van Hée, de la Compagnie de Jésus, vicaire apostolique du Kwango, et l'administration générale des Oblats de Marie Immaculée. Le Père Hubert Eudore (1893-1962) est le premier Oblat qui arrive à Ipamu en provenance du Basutholand. Il deviendra le premier supérieur de la mission au départ des Pères Jésuites. Du Basutholand viendront encore les Pères Alphonse Bossart (1888-1963), Joseph Picard (1889-1966) et le frère Jean-Baptiste Kock (1888-1964). De Belgique viennent en renfort, en octobre 1931, les Pères Renson et Jean Baptiste Adam. Ils sont accueillis par Y.Struyf, supérieur de la mission, qu'ils décrivent comme "un ancien broussard de légende, homme bourru, aimant ses Noirs d'une affection virile, nullement sentimental et matant sans indulgence leur esprit indiscipliné et fondeur. Ses plus puissantes armes d'apostolat, aurait-on dit, était sa voix de tonnerre et sa férule 250 ". Jusqu’en 1937, les Oblats travaillent sous la juridiction de Mgr Van Hée, vicaire apostolique du Kwango, et ils héritent ainsi de toutes les méthodes d'apostolat de leurs prédécesseurs. L'organisation de la mission est la même : on regroupe, à Ipamu, les gens de toute la partie Nord de l'actuel diocèse d'Idiofa pour le catéchuménat, les sacrements, l’instruction, les travaux productifs et les soins médicaux.

À la demande des Pères Jésuites du district du Kwango, le Père Delouche, premier Provincial Oblat de Belgique, ayant senti les besoins religieux du Centre africain et les espoirs permis, réalisa en 1931 son vœu d’envoyer quatre missionnaires Oblats à l’Ouest du Congo-Belge, chez les Ding, dans le territoire d’Ipamu, qui s’étendait sur plus ou moins 22.000 km², comme en témoigne Mgr Bossart : « Les Oblats ne sont pas les premiers à avoir travaillé sur le territoire d’Ipamu. Avant eux, les Pères Jésuites de Kwango avaient commencé à y implanter l’Eglise ; ils y avaient fondé trois Missions : Ipamu même, Mwilambongo et Kilembe. Et, c’est pour répondre à leur demande que les Oblats de la province belge acceptèrent de prendre en charge l’extrémité Est du Vicariat apostolique de Kwango. La première équipe de missionnaires Oblats arrivait à pied d’œuvre en juillet 1931. D’autres devaient suivre, venant de Belgique, année par année. Le champ d’apostolat que leur confiait Mgr Van Hée couvrait une superficie de quelque 22.000 km carrés et comptait une population assez dense, bien disposée en faveur de l’Evangile. » 251 Les statistiques de 1953 en disent long : « 2.624 baptêmes d’adultes et 1.808 d’enfants, sans compter 1.806 baptêmes en danger de mort. Environ 700.000 communions ont été distribuées. » La superficie du territoire d’Ipamu va croître progressivement jusqu’à 42.000 Km2, en 1937. Les Ding ont considéré les Missionnaires Oblats comme des hommes forts. Voilà pourquoi ils les ont aimés et accueillis. Comme les Ding, deux autres tribus principales –les Bapende et les Bambunda – ont respectivement accueilli les Missionnaires Oblats dans la Mission de Kilembe et celle de Mwilambongo. Chaque tribu prenait conscience de la nécessité d’avoir une mission comme lumière de la Foi et, de ce fait, elle en était fière. D'où, le retard et la difficulté pour des populations moins importantes à accueillir le christianisme et à se convertir. Les missions installées dans les principales tribus citées plus haut ont cependant connu un progrès notable de la foi. De fait, à l’arrivée des Oblats, les trois missions comptaient environ 10.000 catholiques, soit 3% de la population totale, alors qu’en 1934 le chiffre annuel des baptêmes dépassait 2.000. Et, la densité humaine croissant, même de manière éparse, nécessitait un personnel missionnaire important. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale (40-45), on comptait 30 Pères, 3 Religieux (Frères) et 18 Religieuses, 36.000 chrétiens, soit 10% de la population. Après la guerre, on comptait 44 Pères en 1946, et 57 en 1947. Pendant la même guerre, le Congo a connu un développement économique et industriel important grâce à ses matières premières : le caoutchouc, l’huile de palme, l’étain, le cuivre et l’uranium. Toutes les forces vives s’emploient à mettre les Congolais en contact avec les Blancs. Ceux-ci leur apprirent la valeur de l’argent. Mais, de leur côté, les Noirs Ding ont pris eux-mêmes conscience de leurs droits. Déconcertés par l’attitude des Noirs, les Blancs ont changé de méthodes : pour eux, « Les Noirs ne sont pas les Noirs… » Jadis, ils étaient disciplinés et soumis…Les Anciens étaient bien respectueux ; les jeunes n’ont cure que d’indépendance… » 252

Pour des coloniaux comme pour les Missionnaires, c’était à la fois l’écroulement d’un monde longtemps cru éternel et d’un édifice construit par les efforts et la sueur des missionnaires. Ces faits expliquent le changement de méthodes d’éducation chez les Ding. Déjà, elle « ne se fait plus au rythme du rotin 253  » comme ce l’était en 1931. Aussi peuvent-ils, comme l’écrit Jean Hébette, clamer : « Le Noir est, quoi qu’on en ait pensé, dit ou écrit, intelligent autant que vous et moi : ce n’est pas là, convenons-en, une louange excessive. Je n’en veux pour preuve que leur étonnante facilité à assimiler le français, leur intérêt passionné pour la science, les questions parfois bien embarrassantes au cours d’une leçon de catéchisme ou d’histoire sainte. » 254 À partir de 1932, précise le R.P. J. Masson 255 , et progressivement, plusieurs missionnaires 256 Oblats de Marie eurent un remarquable rayonnement pastoral et humain.

Premiers pionniers, ces religieux missionnaires étaient dévoués à l’œuvre d’évangélisation, afin d’assurer l’expansion de la chrétienté, la fondation des premières paroisses et leur extraordinaire développement. Ce fut le cas, par exemple, de la Mission d’Ipamu, à laquelle on ajouta de nombreux postes secondaires. L’apostolat s’étendit dans d’autres paroisses comme Mwilambongo, Kilembe, et plus difficilement dans le territoire d’Idiofa, qualifié déjà de « milieu ingrat », aux environs de 1937 par ses premiers missionnaires. Si, à Kilembe, les Sœurs de la Sainte Famille de Bordeaux se dévouèrent à l’éducation de la femme indigène et aux soins des malades, les Missionnaires, eux, y ont bâti une école, un dispensaire et un couvent pour des Sœurs. Idiofa connaîtra le développement de nombreux commerces, une huilerie et un hôpital.

La prospérité de l’œuvre d’évangélisation a aussi facilité des relations de très bon voisinage entre la mission et la colonie blanche dans des paroisses comme Brabanta (actuellement Mapangu), grâce à son importante usine des Huileries du Congo Belge. En outre, le souci pastoral et religieux des Missionnaires pour les indigènes devait aller jusqu’à assurer l’éducation de la classe nouvelle « d’évolués » 257 des centres industriels et administratifs.

Pour l’enseignement, outre les écoles primaires, les écoles pédagogiques et normales pour les éducateurs, il y avait un Petit Séminaire fondé en 1947 dans le Vicariat d’Ipamu mais transféré à Laba en 1948 ; des écoles artisanales pour l’apprentissage du bois implantées à Mwilambongo, Kilembe, Mikope, Mokala, Koshimbanda afin de former en deux ans scieurs et menuisiers ; une « école du fer » en vue d’apprendre la mécanique, spécialement l’emploi de conducteur de véhicules ; la maçonnerie, la cordonnerie, l’école d’art (modelage, sculpture) à Jaku, dans la paroisse de Mokala, et à Mikope.

En effet, « dès le début, (le roi belge) Léopold II a eu à cœur de s’assurer le concours des missions catholiques pour son œuvre de civilisation et d’établir cette collaboration sur des bases fermes en sollicitant une convention du Saint Siège, qui fut conclue dès 1906. Il espérait ainsi répandre largement un enseignement qui aurait avantage d’être parfaitement adapté à l’âme religieuse des Noirs et de ne pas grever trop lourdement le budget de la colonie » 258 . C’est pour cela que « le Gouvernement, en accord avec les Missions, avait établi un programme scolaire qui définissait l’orientation à donner à l’enseignement primaire et secondaire : le premier avait pour tâche principale d’améliorer le sort de la paysannerie, alors que le second était considéré, dans les débuts, d’une façon surtout utilitaire, (comme) l’administration et les sociétés ayant un besoin urgent d’employés. » 259

Quant à la structure de l’école, elle se présentait de la façon suivante :

  1. Les écoles gardiennes pour enfants de 4 à 7 ans.
  2. Les écoles préparatoires qui, en plus de l’apprentissage de la lecture et l’écriture, avaient comme objectif premier d’habituer doucement le Noir à la discipline.
  3. Les écoles primaires avec chacune trois degrés : inférieur, moyen et supérieur. L’enseignement était dispensé dans la langue des Autochtones et en français. Par ailleurs, il existait, au second degré, une école normale (cas de Mwilambongo) où était assurée la préparation pédagogique pour les élèves qui devraient devenir instituteurs. En outre, les élèves plus âgés qui le désiraient, étaient admis à l’école professionnelle après l’école préparatoire et l’école primaire.
  4. Les écoles professionnelles où des Frères Missionnaires apprenaient des métiers aux élèves doués (briqueterie, maçonnerie, menuiserie, etc.). Signalons également que, pour le passage de l’école gardienne à l’école professionnelle et celle des instituteurs, l’instruction du catéchisme était donnée chaque jour pendant une demi-heure.
  5. Enfin, il y avait des écoles du soir pour les soldats et les travailleurs occupés dans la journée et ne pouvant pas suivre les cours en temps normal comme les jeunes.

Concernant les méthodes d’enseignement des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée, ce sont des méthodes traditionnelles qui furent employées, mais améliorées, adaptées, avec plus ou moins de succès. L’éducation était réaliste et s’adaptait à la fois à son récipiendaire et au milieu où elle était donnée. Ce réalisme concernait la vie concrète de chaque jour et la vie religieuse. Il fallait surtout préparer la jeunesse à faire le lien entre la tradition et la modernité, les coutumes ancestrales et les valeurs occidentales. L’école avait donc un double objectif : assurer l’éducation chrétienne en premier lieu et favoriser la promotion humaine.

Notes
247.

Omi signifie Oblat de Marie Immaculée.

248.

HEBETTE, J., omi, Op. cit., p. 4.

249.

HEBETTE, J., omi, Regards en arrière, in Pôle et Tropiques, Février N°2, 1954, p. 4.

250.

HEBETTE, J.,  « Regard en arrière », in Pôle et tropiques, n° 2,1954.

251.

BOSSART (Mgr), omi, « La jeune Mission d’Ipamu a grandi », in Pôle et Tropiques, 28è année N°6, Novembre-Décembre 1953, p. 110.

252.

HEBETTE, J., omi, « Regards en arrière », in Pôle et Tropiques, Février N°2, 1954, p. 6.

253.

Le rotin était utilisé comme un fouet appelé la « chicotte » (ou fimbo) qu’on appliquait comme peine en cas « d’atteinte au règlement ». Appliqués sur les fesses, les coups de ce fouet pouvaient les déchirer. Ce supplice pouvait être mortel, car sa première apparition dans les textes officiels remontant à 1888 autorisait 100 coups dont 50 par séance. Progressivement, le nombre de coups diminua au fil des années, et dix mois avant l’indépendance du Congo, la peine de la chicotte fut abolie en 1959.

254.

HEBETTE, J., omi, Op. Cit., p. 8.

255.

« Récit des activités des Missionnaires », in R.P. J. MASSON, omi, « Visite au Vicariat d’Ipamu », in Pôles et Tropiques N°4, 1951.

256.

Parmi eux, nous pouvons citer les RR. PP. Bossart, Renson, Novalet, Scolastique-Xavier Deville, Marcel Duvivier, Georges Pescheur, Jacques Delor, René Simon, Hubert de Gedinne, Picard d’Ochamps.

257.

Cfr. NDAYWEL E NZIEM, I., Op. Cit., p. 447-460, où il explique largement ces castes d’Evolués de la colonisation.

258.

TOUSSAINT, R.(Mgr), omi, Problèmes scolaires au Congo, in Pôle et Tropiques n°8-9, 1954 (Août-Septembre), p. 17-19.

259.

MASSON, P., L’œuvre éducative au Congo Belge, in Pôle et Tropiques, n°7-8, Juillet-Septembre 1959, p. 13.