2. De Sœurs de Saint François de Sales aux Sœurs Salésiennes de la Visitation : Historique et oeuvres

La Congrégation des Sœurs de Saint François de Sales, de Leuze, a été fondée en 1697 par l’Abbé Baudescot, dans l’esprit de la spiritualité salésienne. Quand, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’engouement pour les Missions étrangères s’est emparé de la chrétienté européenne, les Sœurs de Leuze ne restent pas inactives. À la première page de journaux quotidiens de premières missionnaires arrivées en 1929, nous pouvons lire : «En janvier 1925, Sœur Marie Léona Lechien, Supérieure Générale, désireuse d’étendre le règne de Jésus-Christ sur le sol Africain et de répondre aux vœux de plusieurs Sœurs entrées dans la Congrégation avec l’espoir de se vouer un jour aux Missions étrangères, soumit au Conseil le projet de solliciter de Sa Grandeur Monseigneur Rasneur, évêque de Tournai, l’approbation nécessaire pour s’établir dans quelque mission chez les infidèles.

Le consentement fut accordé par l’autorité diocésaine à la condition de ne rien retrancher aux œuvres existantes et de réunir les fonds indispensables à l’exécution d’une telle entreprise. Une tombola en 1925, une « fancy-fair » en 1926, une seconde en 1927 fournirent un capital qui, grâce à la bénédiction divine, devint assez important pour songer à la réalisation du pieux projet. Les démarches faites chez les Révérends Pères Rédemptoristes n’ayant pu aboutir, Mère Léona s’adressa en octobre 1927 à Monseigneur Devos, Préfet Apostolique de la Mission du Kwango, confiée aux Révérends Pères Jésuites » 265 .

Après avoir hésité, les Jésuites acceptent, en 1929, les Sœurs de Saint François de Sales dans leur Mission et les destinent au poste de Mwilambongo fondé en 1926. La première caravane, composée des Sœurs Marie Angèle (Jeanne Duthoit), Marie Imelda (Marie Danlois), Marie Anna (Rosa Lefebvre), Joseph Marie (Marie Tabary) et Marie Victoria (Bertha Debeuf), après l’escale obligée d’Ipamu, arrive à Mwilambongo le 25 juin 1929. Une fois installées, les Sœurs s’appliquent à organiser un pensionnat pour les fillettes et une école pour les jeunes filles ; elles aident les pères au catéchisme et soignent les malades, surtout du sommeil. D’autre part, le zèle apostolique des Sœurs de Saint François de Sales de Leuze pour fonder leur première mission à Mwilambongo avant 1931, sera renforcé plus tard, dans la paroisse de Kilembe, par celui des Sœurs de la Sainte Famille de Bordeaux. Les diaires de la communauté de Mwilambongo et surtout les différentes lettres de la Sœur Joseph Marie fourmillent d’informations et de belles anecdotes sur la vie et le travail missionnaire à cette époque. À partir de 1934, les Sœurs de Sainte Marie, demandent, comme l’indique l’abondante correspondance entre la Mère générale et le Supérieur des Oblats de Marie Immaculée, à être remplacées à Ipamu. En 1937, les Sœurs de Mwilambongo, ayant reçu de nouveaux renforts, détachent une partie d’entre elles et reprennent la maison d’Ipamu, abandonnée par les Sœurs de Sainte Marie. La Sœur Joseph Marie fait partie de la nouvelle communauté et s’occupe activement du laboratoire qui sera plus tard rattaché à l’hôpital. Les Sœurs de Saint François de Sales continuent avec le même zèle les oeuvres entamées par celles qui les ont précédées dans les divers domaines de l’éducation des jeunes filles, de l’instruction des femmes catéchumènes, des consultations de nourrissons et des soins des malades. Elles ont eu une grande influence, surtout dans les réalisations médicales. L'assistance médicale était donnée dans les Missions à tous les « indigènes » par les religieuses infirmières diplômées qui sont au nombre de six. Les quatre missions d'Ipamu, Mwilambongo, Kilembe, et Brabanta ont un dispensaire où sont soignées toutes les maladies, tropicales et autres, et où se présentent chaque jour de nombreux indigènes. Près de 100.000 consultations y ont été données pendant un an. Les infirmières se sont exclusivement occupées des malades, des femmes enceintes et des petits enfants.

À la demande de l'autorité médicale supérieure, un laboratoire 266 pour les analyses et recherches bactériologiques a commencé à fonctionner à la Mission d' Ipamu et une religieuse infirmière diplômée est spécialement affectée à ce travail. L'installation et l'équipement de ce laboratoire sont poussés activement car il est appelé à rendre de grands services dans toute la région, principalement pour lutter contre les épidémies. Un petit hôpital est installé à Mwilambongo, où sont hébergés les malades venant de loin pendant la durée de leur traitement. Il existe une consultation de nourrissons dans les Missions d'Ipamu, Mwilambongo et Kilembe, où de nombreux enfants sont présentés régulièrement chaque semaine. Par suite de changements survenus dans le personnel des religieuses, et à cause des difficultés de communications, il leur a été impossible de multiplier ces centres de consultations dans la brousse comme elles l'auraient désiré. Cependant, il a été établi un de ces centres importants de travailleurs, à Mangaï, à 15 Km d'Ipamu. On compte que s’établiront d’autres centres, grâce aux renforts que l’on peut espérer encore.

En 1954, Monseigneur Himmer, évêque de Tournai, conçoit l’idée de fusionner la Congrégation des Sœurs de Saint François de Sales avec celle des Sœurs de la Visitation Sainte Marie. Cette dernière congrégation, fondée en 1836, par Mère Augustine Deleplanque dans le diocèse de Tournai, était aussi présente dans la Mission du Kwango, notamment à Sona Bata, Ngi et Mukila, dans le diocèse de Kenge. La fusion définitive a lieu le 8 décembre 1955 et la nouvelle institution prend le nom de Congrégation des Sœurs Salésiennes de la Visitation. Chez les Ding orientaux, ces Sœurs sont encore présentes à Ipamu et à Dibaya-Lubwe. Elles sont aussi implantées, dans le diocèse d’Idiofa, dans les paroisses de Mwilambongo, Idiofa et Mokala. La nouvelle congrégation, restructurée, qui a réalisé cette union, se rattachait tout naturellement à la spiritualité de Saint François de Sales, basée sur l’amour de Dieu et des pauvres. Les Religieuses ont pour objectif d’instruire les jeunes filles issues de milieux pauvres, de soigner les malades et d’assurer la santé maternelle et infantile, de s’occuper des orphelins et des personnes abandonnées, ainsi que d’élever le niveau matériel, moral et spirituel de la femme. 267 La Sœur Léontine Kinzongo 268 , regroupe et analyse profondément les œuvres des Sœurs Salésiennes en trois rubriques : les actions éducatives, les actions sanitaires et les actions pour le développement communautaire.

Chez les Ding orientaux, aujourd’hui, les Sœurs Salésiennes de la Visitation assurent l’éducation primaire des enfants à Dibaya-Lubwe, tandis qu’elles ont une école secondaire ; le lycée Nso-Oso, à Ipamu. Si, à Mokala et dans d’autres paroisses où elles sont implantées, quelques Sœurs sont affectées soit à l’école primaire, soit à l’école secondaire, elles ont des œuvres sociales, par exemple le lycée de Mwilambongo. Avant la Rébellion (1964-1965), à Ipamu comme partout où elles avaient une école primaire, les Sœurs Salésiennes formaient les femmes à s’occuper de leur foyer et à éduquer leurs enfants selon la morale chrétienne et les habitudes occidentales. Elles formaient également les filles dans des écoles ménagères, péri et post-primaires, qui voulaient développer des aptitudes suffisantes pour envisager un mariage avec un mari intellectuellement bien formé, à l’issue de leur formation. Toutefois, les Sœurs d’Ipamu, ne disposant pas d’une école d’apprentissage pédagogique, envoyaient quelques filles à Mwilambongo pour se former à devenir monitrices des écoles du premier degré (1ère et 2ème années primaires). La formation professionnelle consistait à connaître les grands principes généraux de la pédagogie, de la méthodologie et la marche à suivre pour l’enseignement des différentes disciplines. Y étaient formées des monitrices éducatrices de la jeunesse féminine ; elles font preuve de qualités personnelles, du sens de la responsabilité et du goût de l’effort. En 1955, l’EAP sera transformée en une école de monitrices qui était alors la seule école secondaire pour les filles venues d’horizons différents du diocèse d’Idiofa. En 1962, elles font étudié aux Humanités (Etudes secondaires après les Etudes primaires), Option Pédagogie, alors qu’à Mwilambongo, les garçons avaient depuis 1941 une école normale. Cependant, quelques difficultés n’ont pas manqué de nuire à la qualité de l’enseignement dans toutes ces écoles. Néanmoins, les Sœurs ont souvent été attentives à la qualité du personnel enseignant et de l’enseignement, et, de ce fait, les résultats en sont bons. Elles assurent aussi l’instruction catéchétique des femmes et des jeunes filles. Avant la Rébellion, ce type d’instruction était organisé à deux niveaux : le postulat qui, durant 15 mois, était destiné à tout païen qui avait envie de devenir chrétien et pouvait participer sans aucune condition à l’instruction religieuse. Quant au catéchuménat, il durait 3 ans car c’était la préparation au baptême. Les futurs baptisés devaient faire preuve d’endurance et de persévérance pour bien se former. Pour organiser la catéchèse en ce temps-là, les Sœurs rassemblaient tous les catéchumènes à la Mission. Mais, avec la fin d’une Eglise missionnaire et le commencement d’une Eglise autochtone après la rébellion des partisans de Pierre Mulele 269 , les missionnaires durent s’immerger dans des villages ou des quartiers, afin d’organiser la catéchèse de façon nouvelle. L’efficacité d’une telle activité était garantie par la formation des communautés ecclésiales vivantes qu’on appelle, au Congo, « Kimvuka ya Lutondo » ou « la communauté de charité » regroupant les chrétiens en de petites communautés dans les villages. Les Religieuses Salésiennes aident encore les jeunes filles à se former intégralement dans des mouvements d’action catholique comme Les Jeunes Bilenge ya Mwinda, les Kizito-Anuarite et les Gen Focolari. En outre, elles s’investissent dans les mouvements « Familles Salésiennes » qui réunissent « les personnes en recherche d’une vie de sainteté selon la spiritualité de Saint François de Sales.» 270 Dans le pays des Ding orientaux, Ipamu accueille actuellement les membres de ces mouvements dans le diocèse d’Idiofa le plus souvent et l’on en trouve plus spécialement à Mwilambongo. Le souci particulier d’assurer la promotion féminine en milieu rural engage les Sœurs Salésiennes à encadrer les jeunes filles désoeuvrées. Elles les forment dans des centres sociaux et leur apprennent un métier. Le Centre Social Tomisa d’Ipamu, par exemple, fonctionne actuellement avec à peu près 50 élèves. Nous ne pouvons dire avec précision quand les Sœurs Salésiennes ont cessé de s’occuper du Centre social de Dibaya-Lubwe, créé par le DPP (Développement Progrès Populaire).

Nous voyons à travers ces actions que ces Sœurs assurent une formation hospitalière et intellectuelle. L’hôpital d’Ipamu et le Centre de santé et maternité de Dibaya-Lubwe (1967) sont deux activités majeures et très appréciées d’elles dans le domaine de la santé chez les Ding orientaux. À Ipamu, elles contribuent au développement de l’Institut Technique Médical (ITM) dans les domaines du matériel, des finances et les relations humaines. Cet Institut est le développement de « l’Ecole d’aides infirmières et d’aides accoucheuses » fondée en 1965 à titre privé par les Sœurs Salésiennes. Le succès de l’option « accoucheuse » leur a permis d’atteindre un de leurs objectifs : la promotion de la femme dont un bon nombre de jeunes filles a pu bénéficier. De plus, les Soeurs se sont dévouées aux soins des malades dès la création de l’hôpital, en apportant, comme pour l’ITM, des ressources humaines, matérielles et financières. L’hôpital est un hôpital général de référence, comme le Centre de santé de Dibaya-Lubwe est actuellement devenu, lui aussi, un centre de référence. Cet hôpital commence avec la fondation d’une petite maternité, en septembre 1927 sur l’initiative des Sœurs de Sainte Marie de Namur et des Pères Jésuites, et en 1928, un petit dispensaire est construit. C’est à leur arrivée à Ipamu, en 1937, que les Sœurs de Saint François de Sales, de Leuze, vont prendre en charge le dispensaire et la maternité d’Ipamu. Dans le cadre, elles formaient les femmes à l’hygiène, à la santé infantile et maternelle ; leur action sanitaire est également présente à Mwilambongo. Par ailleurs, les Sœurs Salésiennes entreprennent, en communauté, des actions de développement pour permettre à chacun de se prendre en charge de façon autonome et d’améliorer ses conditions de vie. Elles procèdent par la « conscientisation » et « l’animation » des personnes dont l’instruction scolaire. C’est le meilleur moyen : grâce à l’école, les femmes cessent d’être analphabètes. Selon Monsieur Makenesi, il s’agit de l’« action de sensibiliser quelqu’un à une chose, la lui faire percevoir, comprendre…Sensibiliser et conscientiser, c’est éveiller l’attention de la population cible pour trouver elle-même la solution d’une situation donnée. C’est aussi rendre conscients tous les villageois de leurs problèmes. Quant à l’animation, elle se définit comme « une manière d’aider les gens, les stimuler par de nombreuses séances et rencontres à parler de leurs problèmes, mieux connaître leur village et ses possibilités. » 271 En amont, ce double travail consiste  « à libérer les femmes de la peur des croyances superstitieuses et de la trop grande emprise des coutumes ancestrales sur elles. » 272 Libérées d’une bonne partie de leurs chaînes, elles se prennent en charge et ont des responsabilités ; c’est le début de l’émancipation de la femme. Plusieurs autres initiatives locales sont prises par les femmes dans le domaine du développement ; elles se retrouvent aussi dans des Associations comme celle des « Mamans Bongisa » d’Ipamu (1992), qui a pour objectifs principaux « d’organiser avec les moyens locaux des activités génératrices de revenus autres que l’agriculture ; d’exploiter au maximum les technologies appropriées ; de se former pour devenir des femmes et épouses responsables et d’apprendre à gérer les revenus domestiques. » 273 Existe aussi le groupe des Mamans de Dibaya-Lubwe (1997), qui a « pour objectif l’amélioration de l’alimentation familiale » 274  ; elles font l’élevage des porcs ; elles vulgarisent la culture d’oignons par l’approvisionnement en graines et par des conseils techniques.

Notes
265.

Journal de voyage des Sœurs de Saint François de Sales, p.1.

266.

Ce laboratoire sera longtemps tenu par Sœur Josèphe - Marie (Marie Tabary), Française d'origine, infirmière et excellente dentiste (Lire RIBAUCOURT, J.-M., Op. cit., p. 79-80).

267.

Le souci des Religieuses de s’occuper de l’éducation des filles Ding afin de les aider à devenir des bonnes futures épouses a profondément rejoint les valeurs prônées par la société : une fille devait être épouse et mère. Toutefois, les Religieuses comme les mamans Ding n’avaient jamais porté le deuil toute leur vie de quelques filles qui entraient au Noviciat. Car, pour ces mamans, leurs filles devenaient autrement mères et cela pour une fécondité spirituelle. D’un côté, elles recevaient l’éducation humaine et spirituelle qui consistait dans l’hygiène d’une maison, à l’apprentissage des travaux ménagers, et de la beauté du travail accompli. Mais elles avaient aussi droit à l’instruction scolaire.

268.

Léontine KINZONGO-ANOS est une religieuse des Sœurs Salésiennes de la Visitation. Elle a écrit : Contribution des Sœurs Salésiennes de la Visitation à la promotion féminine dans le diocèse d’Idiofa, inédit, Mémoire de Gradué en Développement Rural, ISDR/MBEO, 2000. Nous renvoyons largement nos lecteurs à ce texte pour les détails historiques.

269.

Cfr. Equipe pastorale d’Idiofa, « Construire une Eglise zaïroise authentique », cité par NKAY Malu, F., Le petit Séminaire de Laba (1947-1997), éd. Baobab, 1999, p. 44.

270.

Cfr. KINZONGO-ANOS, L., Op. Cit., p. 24.

271.

MAKENESI, M., Cours sur le développement communautaire, inédit, ISDR/MBEO, cité par L. KINZONGO-ANOS, Op. Cit., p. 41.

272.

KINZONGO-ANOS, L., Op. Cit., p. 42.

273.

Ibid., p. 43.

274.

Ibid., p. 44.