1.1. Objectifs 

Le questionnaire écrit avait pour objectifs des réponses argumentées auprès de nos enquêtés de niveau supérieur afin de compléter les réponses des entretiens semi-directifs des agriculteurs et des étudiants. Ce questionnaire fait apparaître « l’épistémologie » des comportements et des attitudes Ding à partir de ce qu’ils font, de leurs moyens et de la formalisation de tout cela. L’inconvénient est qu’il n’y a pas eu d’interaction ni de relance. Chaque enquêté a répondu à partir de ses connaissances personnelles, sans avoir recours ni à l’enquêteur ni aux éclaircissements de ce dernier.

Les entretiens semi-directifs ont complété le questionnaire écrit envoyé pour des réponses. L’entretien compréhensif ou non directif est centré sur le thème qui est l’acte central de l’entretien. Car il faut comprendre le contenu et le ramener toujours à l’objet de l’entretien. Selon Max Pagès, les techniques non-directives ont deux caractéristiques centrales : la première consiste à « s’abstenir de toute intervention directive dans la champ d’expérience du client qui y introduise une structure (manière de percevoir, valeur, but, etc.) en se substituant à lui et de n’intervenir que pour augmenter l’information du client sur sa propre activité mentale, la seconde consiste à « s’abstenir de diriger le processus d’information du client sur lui-même et à partir de l’hypothèse que le client lui-même s’efforce de communiquer avec lui-même et tâcher de faciliter la communication du client avec lui-même dans le sens où lui-même la dirige » 289 .

Par sa présence, l’intervieweur (interviewer) organise des entretiens avec la (des) personne(s) interviewée(s) pour recueillir des informations (perçues) de leur point de vue, de leur orientation de la question y compris de la réponse à donner. C’est profondément adopter l’attitude compréhensive rogérienne en se mettant en « l’état d’empathie (…) qui consiste à percevoir le cadre de référence interne d’une autre personne avec exactitude et avec les composantes émotionnelles et les significations qui s’y attachent, comme si l’on était l’autre personne, mais sans jamais perdre la condition « comme si… » » 290 . Rien n’entrave la liberté de personnes interviewées de répondre aux questions ouvertes que leur pose leur intervieweur, sans aucune intervention directive, mais avec beaucoup d’empathie et de dialogue. Ainsi, pour la réussite de ses interviews, l’intervieweur exploitera sur le terrain l’une ou l’autre de ces techniques spécifiques de dialogue : « Le silence attentif, l’encouragement sans phrases, le paralangage de compréhension (attitudes, mimiques, ton et regards doivent être convergents en ce qui concerne leur signification de centration sur l’autre et de compréhension de ce qu’il dit ; elles concrétisent l’empathie)». 291

Nous avons préféré le dialogue avec nos enquêtés. Nous avons ainsi fait attention, par exemple, aux encouragements sans phrases et à certaines attitudes, mimiques et tons au cours de notre enquête, faisant rimer empathie avec sympathie et en étant avant tout aimable, positif, ouvert à tout ce que disent nos enquêtés 292 C’est un comportement de base. En effet, par l’empathie, « l’enquêteur doit savoir rester modeste et discret : c’est l’informateur qui est en vedette, et il doit le comprendre à l’attitude de celui qui est en face de lui, faite d’écoute attentive, de concentration montrant l’importance accordée à l’entretien, d’extrême intérêt pour les opinions exprimées, y compris les plus anodines ou étranges, de sympathie manifeste pour la personne interrogée. » 293 . Bref : l’empathie ouvre la porte d’entrée dans le monde de nos enquêtés, de leur intimité affective et conceptuelle, faisant oublier à l’intervieweur ses propres opinions et catégories de pensée, mais lui faisant uniquement penser à la découverte de leur monde plein de richesses inconnues.

Dans notre démarche, il a progressivement paru nécessaire de reformuler certaines réponses de nos acteurs interviewés dans le double but de comprendre ce qu’ils disent mais, le plus souvent, pour faciliter la relance. Nous prêter ici à leur cadre de référence 294 est resté une des clés de la conduite de nos entretiens, sans oublier le charme, la séduction et l’humour comme tactiques pour faire parler et bien faire parler. Cela a énormément facilité l’interaction entre nous et nos enquêtés. De cette manière, s’établit un engagement actif par un jeu de questions provoquant à la fois celui de notre acteur interviewé. « Les principes de l’entretien compréhensif ne sont rien d’autre que la formalisation d’un savoir-faire concret issu du terrain, qui est un savoir-faire personnel » 295 , visant la fabrication de la théorie à partir de l’interprétation du matériau décisivement constitué du seul fait que, par le terrain (observation des faits), nous sommes devenu cet «artisan intellectuel » qui construit sa théorie et sa méthode.

Ce genre d’entretien favorise l’interaction entre enquêtés et enquêteurs, l’engagement du sujet ainsi que sa coopération à la réussite de l’enquête. Des temps de réajustement ou éclaircissement, de relance du sujet rendent possible l’approfondissement de tel ou tel point de vue. Cependant, nous n’avons pas eu de journal de terrain.

Notes
289.

PAGES, M., L’orientation non-directive en psychothérapie et en psychologie sociale, Paris : Dunod, 1965, p. 42-43. Le « client » est aussi appelé l’interlocuteur.

290.

PAGES, M., L’orientation non-directive en psychothérapie et en psychologie sociale, Paris : Dunod, 1965, p. 29.

291.

MUCCHIELLI, A. (sous la direction de -), Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris : Armand Colin/VUEF, 2002, p. 109.

292.

Cfr. KAUFMANN, J.-C., L’entretien compréhensif, Paris : Nathan, 1996, p. 53.

293.

Ibid., p. 51.

294.

Cfr. Carl ROGERS et G.Marian KINGET, Psychothérapie et relations humaines. Théorie et pratique de la thérapie non-directive. Vol. II : La Pratique, Ed. Béatrice-Nauwelaerts, Publications universitaires, Paris/Louvain, 1962, p. 106.

295.

KAUFMANN, J.-C., Op. Cit., p. 9.