IV. - Le déroulement de l’enquête et les difficultés rencontrées

Notre intérêt porte ici sur les données objectives relatives aux interviews et aux entretiens faits ; ils se déroulent, de jour et de nuit, à l’occasion du décès 368 d’un Ding oriental, à Kinshasa. Pour les Ding orientaux, la mort d’un des leurs est un moment éminemment privilégié de rencontres des différentes générations autour du (de la) défunt (e). Ce moment rassemble une partie de personnes enquêtées. Pendant que les uns pleurent ou discutent, les autres peuvent converser dynamiquement avec nous autour du thème de cette recherche. Toutes ces occasions de veillées mortuaires sont une preuve de pragmatisme : nous pouvions rencontrer des « bonnes » personnes un peu par hasard et les interroger sur-le-champ, car elles pouvaient dire beaucoup de choses sur le thème de notre recherche. Nous avons ainsi « saisi des chances ».

La mort est l’occasion de danses, mais aussi de réunions de famille (dans la plupart des cas, ce sont les membres de famille du défunt). Des tam-tams rythment les chants et les chansons, offrant à tous un merveilleux spectacle de danse pour traduire les sentiments humains. Ils forment tous un contexte littéraire oral. Tout le monde est invité à l’écouter avec attention et admiration, joie et tristesse à la fois, mais surtout à bien l’interpréter. Ce sont le plus souvent des chants de funérailles. Chants et chansons obéissent, en effet, à des règles globales de la littérature orale africaine -traduire ce qui n’est pas écrit- mais constituant un riche rapport de valeurs. Ils servent soit à déplorer la disparition d’un être aimé (jeune ou adulte), soit à rendre un hommage posthume au défunt. Ils peuvent aussi dresser son éloge funèbre, la plupart des cas, à la disparition subite de quelqu’un, laquelle plonge toute la famille dans la consternation et crée un malaise général. Car une mort inopinée apparaît souvent comme un mauvais signe, un présage de malheur. Rarement, ils exaltent la mort libératrice d’un sorcier et les sentiments de résignation de tout homme devant elle.

Quoi qu’il en soit, on ne néglige pas le devoir capital d’organiser dignement les funérailles de quelqu’un. Les notables, les vieux sages, les gens du village et les anciens se réunissent, sous un arbre, pour une palabre où la parole, comme une courroie de transmission traditionnelle, demeure à jamais le support culturel prioritaire et majoritaire du patrimoine traditionnel. Elle assure le lieu de continuité et de solidarité entre les générations passées et présentes. 369 La palabre rend féconde la vie et assure la continuité. Elle a un rôle fondamental dans la vie. Avec un objet différent, se rapportant évidemment au contexte personnel du décès et à celui de son époque, toutes les obsèques sont l’occasion d’une palabre. Tout ceci est très important pour éclairer le sens caché ou non de la mort de quelqu’un ainsi que des valeurs, des comportements et des sentiments transmis.

En effet :

‘«La poésie traditionnelle africaine recourt volontiers à l’image-symbole, aux rapprochements insolites et à la métaphore, et elle a pour fonction de briser les contours du réel et de permettre l’accès au surréel, c’est-à-dire en définitive à la vérité profonde des choses. » 370
Notes
368.

«  Vous aurez constaté, entre autres, que j’ai réalisé quelques entretiens à l’occasion de la mort d’un Ding, ce n’est pas tant pour me souvenir douloureusement de la personne qui, à sa mort, avait mon dossier en main. J’ai aussi choisi des « manifestations », en général, car c’était difficile de faire le porte-à-porte. J’appelle « manifestations », les occasions de deuil, de mariage, de fête, etc. Comme, les gens viennent souvent nombreux à ces « manifestations », je les ai choisies pour y rencontrer des Ding qui viennent également nombreux pour manger, boire, danser, discuter. Là, je pourrais les « attraper » aussi facilement. Bon ! La mort, en général, chez nous, vous voyez que quand il y a un mort et que vous n’allez pas aider, on dirait que vous avez un problème vis-à-vis d’une personne endeuillée, c’est-à-dire que vous ne l’avez pas consolée pendant ses situations difficiles comme un deuil. Pendant ces « manifestations » générales, des gens viennent nombreux, y compris des gens que l’on n’a jamais connus ou vu à Kinshasa ou qui sont devenus invisibles à Kinshasa, par exemple. En tous cas, ces jours-là, ils peuvent apparaître. Beaucoup de gens viennent nombreux se retrouver et se réjouir avec d’autres. J’ai pensé que c’est à de telles occasions que je pourrais rencontrer des personnes difficiles à trouver. Notez que j’ai réalisé des entretiens aussi en dehors des occasions de la mort de quelqu’un, par exemple, ceux conduits chez le papa Mbiapa que je suis allé voir pour cette raison uniquement, à cause de son âge et considéré comme un grand gardien de la tradition Ding, et chez moi, quand des gens sont venues me rendre visite. Pour ce dernier cas, j’ai trouvé qu’ils étaient nombreux, c’étaient des gens de Kapia auprès desquels je pouvais avoir de bons renseignements, je leur ai directement tendu la perche. Il y a le contexte de la mort de quelqu’un, de la visite à domicile, de la fête. Quand j’arrivais à tous ces endroits-là, tout se passait dehors. Malheureusement, il n’y avait pas de feu ; du moins on était dehors, et bien, en train d’échanger jusqu’aux petits matins. Le cadre utilisé, dedans, dehors, pendant une visite à domicile ou une fête, à l’occasion des funérailles d’une personne et de la veillée mortuaire, j’ai constaté que le cadre utilisé a permis la dynamique des entretiens. Tout le monde était à l’aise et avait les conditions nécessaires pour participer au dialogue. Par exemple, chez moi, nous étions dehors, il n’y avait qu’une seule petite distraction : causer, et tout le monde avait une attention soutenue, répondait aux questions et parlait librement. Chez papa Mbiapa également, où nous étions expressément allés pour des entretiens, tout le monde nous a accueillis et nous étions disposés à participer au dialogue. Dans le cadre de deuil, il y avait néanmoins la musique qui résonnait à côté, près de nous, et là, des mamans chantaient et dansaient, sans pourtant trop nous perturber. »

369.

Cfr. CHEVRIER, J., L’arbre à palabres. Essai sur les contes et récits traditionnels d’Afrique noire, Paris : Hatier, 1986, p. 13.

370.

Ibid., p. 20.