2. Les Alliances matrimoniales

Le mariage, dans la tradition des Ding orientaux, ne se définit pas comme une affaire personnelle résultant du consentement mutuel des fiancés ou de la simple inclination de leurs cœurs. Il constitue plutôt un enjeu entre différents groupes claniques et différentes générations. Il instaure une circulation des hommes, des symboles et des biens à l'intérieur et en dehors de l’entité ethnique. Quant à ses formes, voici une description originale du Père Janssens : “Les Ding pratiquent la polygamie et achètent la femme. 160 à 200 mitakos est le prix de la femme ce qui est environ vingt francs. La prostitution se pratique chez eux à grande échelle. Quelques hommes libres ont une femme libre et ont des esclaves dont les enfants leur appartiennent” 419 . Ce texte illustre un certain nombre des choses.

D’abord, l’existence des unions polygyniques où un homme conclut des alliances avec plus d’une femme et parmi celles-ci, des esclaves. Le nombre des femmes était surtout le fait des aristocraties régnantes qui s’en servaient, non pas seulement comme symbole de prestige mais aussi comme instrument de puissance politique. Pour ces raisons, la lutte contre la polygamie sera la plus ardue menée par les missionnaires et la colonisation belge.

Ensuite, l’auteur parle de la “prostitution à grande échelle”. Il s’agit plutôt de la polyandrie qui consiste à attribuer une femme à une classe d’âge. Ce phénomène a été observé chez les populations du groupe Leele-Kuba et Ding-Mbuun 420 .

Enfin, on n’achète pas les femmes, mais on paye une dot, qui était plutôt symbolique. Cette dot est répartie entre le grand-père de la fille, son père et son oncle. Les Ding pratiquent essentiellement le mariage dit “ préférentiel ”, qui consiste en ce que le grand-père (le père de la mère) marie sa petite fille (mutil) à son neveu ou à son arrière-neveu. Le mariage a été, pour les missionnaires, un important enjeu pastoral dans le cadre de la formation des familles chrétiennes considérées comme la base d’une christianisation en profondeur. Mais les nouveaux convertis s’affrontent aux défis de la vie concrète au village. Les exigences de la nouvelle foi s’opposent diamétralement aux us et coutumes du pays : culte des morts, consultation des devins et des guérisseurs, polygynie, polyandrie. Ce sont ces problèmes dont les Oblats de Marie Immaculée héritent de leurs prédécesseurs en 1933. Avec eux et le concours des Sœurs de Saint François de Sales, le catholicisme s’enracine véritablement et prend son envol. Progressivement, des catéchumènes de tout âge et sexe fourmillent à la mission d’Ipamu. Cela va accroître son prestige grâce à la résidence épiscopale et à un hôpital qui y sont construits. Les villages sont quadrillés par les catéchistes et les prêtres itinérants qui fondent des écoles, érigent des chapelles et constituent des quartiers exclusifs pour chrétiens. Mais cela n’a pas suffi à soustraire les Ding orientaux aux « ténèbres de la barbarie » et à les conduire aux lumières de la « civilisation », car les questions fondamentales et existentielles comme la parenté, la maladie et la mort n’ont pas trouvé de solution comme l’avaient envisagé les missionnaires. Les nouveaux convertis, à défaut de recourir aux pratiques prohibées par leur nouvelle religion, dans un élan de syncrétisme, s’approprient les symboles chrétiens pour se protéger contre les sorciers, conjurer le mauvais sort, soigner leurs malades et se procurer le bonheur. L’action missionnaire a toutefois eu un impact certain chez les Ding orientaux. Ceux-ci n’ont pas été des acteurs inactifs ; ils ont contribué non seulement à propager la nouvelle foi, mais aussi à tirer tous les bénéfices que cette opportunité leur a offerts : la formation d’une élite, la proximité des institutions hospitalières et l’ouverture au monde moderne.

Notes
419.

JANSSENS, Op.cit., p.4. Les “mitakos” sont des barres de cuivre qui servaient d’unité monétaire à l’époque.

420.

NDAYWEL E NZIEM, I., Op.cit., p. 59.