6. Origine historique de la polyandrie chez les Ding orientaux.

C’est le mariage d’une femme avec plusieurs maris, non celui de plusieurs maris avec une femme. La polyandrie n’est ainsi ni la polygamie, ni la polygynie (relations de plusieurs femmes avec un homme). C’est une pratique de mariage collectif, jugée barbare ou taboue par les uns, nécessaire pourtant à la survie de la communauté dans un contexte donné, par les autres. « La polyandrie est pour une femme le fait d’avoir plusieurs époux. Elle existe dans nos sociétés matriarcales, ainsi que dans des peuples minoritaires ou aux faibles effectifs comme au Mali, afin qu’une femme ne reste pas sans enfant 435 Selon Séraphin Ngondo A Pitshandenge 436 , ce sont précisément des sociétés qui accordaient à la femme un statut de faveur, pouvant lui permettre d’avoir officiellement plus d’un mari sans être mal vue. Ce sont les Lele, dans le Kasaï Occidental, qui ont érigé cette forme de mariage collectif en une véritable institution. Communément appelés Lele, les Bashilele couvrent la zone administrative d’Ilebo dans le Kasaï occidental et une partie des zones limitrophes d’Idiofa et d’Oshwe dans la région de Bandundu. Ils sont voisins orientaux des Ding Mbensia. Les populations Lele sont structurées en villages, clans et classes d’âge, qui se regroupent selon la lignée matrilinéaire à laquelle ils appartiennent. Dans cette société structurée de type traditionnel, la polyandrie avait pour nécessité de garantir l’identité et l’authenticité culturelles du clan face aux influences extérieures. Selon Séraphin Ngondo, le mariage collectif ou la polyandrie était aussi « la femme au service de la collectivité ». Plusieurs générations Lele l’ont pratiquée, pour répondre à des besoins vitaux de perpétuation de groupe, pour des raisons économiques (la dot) et sociales (le célibat) puis culturelles (la tradition) face à l’occidentalisation, la colonisation, le christianisme. Elle s’adaptait aussi bien aux influences internes qu’externes. En effet, la femme polyandre est quelque peu considérée comme une aide aux célibataires. En revanche, elle est reine dans sa maison et ne peut ni être contrariée ni trahir ses maris, qui sont tenus à des horaires et doivent éviter l’incompatibilité congénitale.

Les observations de Séraphin Ngondo concluent que la femme collective ou la polyandre a pour rôle, par son mariage, de renforcer et de renouveler les alliances. Elle pallie la carence notable en femmes (du fait de nombreux interdits matrimoniaux et de la polygamie qui permettait aux hommes fortunés d’acquérir quantité de femmes). Elle a plusieurs vertus : c’est « une plante médicinale » pour le bien de la communauté, car le fait d’avoir une femme commune lui épargne un certain nombre d’interdits sexuels liés à l’appartenance clanique ou à la vie quotidienne : deuil, chasse, cérémonies d’initiation, état de grossesse, présence de la belle-mère ! Quand tous ces interdits sont éradiqués, ils apportent de fait du bonheur. La femme commune est aussi « ménagère » de la paix en cas de conflits et curatrice de maladies sexuelles, de certaines formes d’impuissance et de frigidité. Finalement, selon un adage Lele, la polyandrie agrandit le village, car elle retient les jeunes et en attire d’autres de différents villages. Dans ce cas, les jeunes venus d’ailleurs au moment de leur entrée dans leur classe d’âge paient la taxe d’installation comme contribution pour pouvoir bénéficier de l’usufruit commun. Pour l’administration coloniale, la polyandrie était une pratique « sauvage », elle était donc interdite. Avec l’expansion du christianisme et du baptême qui conférait un rang social, la polyandrie devint clandestine : on dispersait les hommes qui pratiquaient ce mariage. On trouva ainsi deux types de villages : le village des païens et celui des chrétiens. Si, chez les Lele, la polyandrie a survécu jusque vers 1991, même clandestinement et à un faible pourcentage, les Ding en avaient déjà arrêté la pratique. Les principales raisons qui contribuèrent à réduire l’influence de ce système de mariage collectif n’étaient pas de renier la culture mais étaient liées à une évolution des mœurs : recours à la contraception, élévation du niveau d’instruction des filles, exode rural des jeunes, foi chrétienne, coût des amendes pour pratique illicite. « Le mariage collectif a un cycle relativement court, passant d’une phase avec un nombre élevé de partenaires que la femme polyandre n’a pas choisis, à une phase avec un nombre restreint de partenaires qu’elle choisit elle-même, qui tend à évoluer vers un mariage conventionnel…La polyandrie apparaît ainsi comme une réponse à la polygamie et au manque apparent de partenaires pour les jeunes hommes, et aux tabous sexuels entourant la grossesse et la période d’allaitement.» 437

Notes
435.

Cfr. WIKIPEDIA, L’Encyclopédie libre.

436.

Séraphin NGONDO A PITSHANDENGE fut le député de la région d’Ilebo de 1982 à 1987, et observateur de premier plan des évolutions de la polyandrie dans sa région natale. Il a écrit La polyandrie chez les Bashilele du Kasaï Occidental (Zaïre). Fonctionnement et rôles, in Les Dossiers du CEPED N°42, Paris Juillet 1996Son étude vient cependant après les Meilleures études sur la polyandrie, faites par Mary Tew (« A form of Polyandry among the Lele of the Kasaï”, in Africa, 1951, XXI, n°1, p. 1-12), dont s’est inspiré Vansina dans son ouvrage sur les Bakuba et les peuplades apparentées.

437.

NGONDO A PITSHANDENGE, S., La polyandrie chez les Bashilele du Kasaï Occidental (Zaïre). Fonctionnement et rôles, in Les Dossiers du CEPED N°42, Paris Juillet 1996, p. 3.