I. - Les formes de la palabre et un exemple de palabre :

La tribu africaine organise des palabres sous deux formes : des mini-palabres et de grandes palabres. Selon le type de problèmes, il existe des palabres pour une simple négociation et celles qui sont organisées pour régler un conflit. Leur « taille » se définit par le choix du lieu et la nature de la situation sociale qui va être traitée, dans le village. Un grand ou un petit espace public montre qu’il s’agit d’une grande ou d’une petite palabre et, respectivement, d’une situation grave ou moins grave. Toutefois, la communauté ne déconsidère aucune situation présentée aux sages au titre d’une palabre. Toute palabre a comme structure : la convocation (l’invitation), les pré-palabres pré-enquêtes avant sa tenue, la preuve, les assises, la délibération amenant la suite des pré-palabres : cette fois après les assises, pour harmoniser les vues, la communication de la sentence et la réconciliation.

Procédure : Pour comprendre le problème évoqué dans une palabre, on écoute attentivement la personne qui a fait des pré-enquêtes auprès des partis en cause en vue de connaître ce dont il va être question et de le partager entre toutes les personnes qui y participent. Il faut commencer à négocier et à comprendre le problème exposé. Cela se fait par élaboration progressive, et le sens de celle-ci est déterminé de manière collective, par petits ou grands groupes, où tous sont engagés. Les pré-enquêtes et ce qui se dit et se fait pendant l’élaboration progressive du sens par groupe, constituent des pré-palabres. De cette manière, le sens se construit grâce aux apports des différents partis : la parenté, les sages, le chef de clan, la foule. La situation est comprise par tous grâce à la négociation qui se déroule avec le profond désir de collaborer et il s’en dégage une connaissance morale approfondie. La parole est échangée dans le respect mutuel, sans brimer qui que ce soit et avec un enrichissement pour chacun, grâce aux proverbes, aux devinettes et aux chansons, qui apportent à chacun des valeurs morales et des principes vitaux qui renforcent avec la tradition l’essentiel du vivre-ensemble. Les partenaires les plus importants sont les sages ou les notables, qui sont garants de l’ordre public et jouent le rôle de « juges » dans la recherche du vrai, à travers les mots échangés. Les partis en cause sont composés de la personne qui accuse et de celle qui est accusée, chaque parti se faisant assister par ses « juges » et sa famille : les ascendants, l’oncle, le chef de clan. Il y a la foule, celle qui représente la communauté locale, témoin de ce qui va se dire et se faire pendant et après la palabre, l’espace public n’étant jamais déserté. L’objet des débats est varié : conflits, mariages, pouvoir, avoir, santé en sont les principaux thèmes, mais ils sont abordés dans l’objectif général de la palabre, c’est-à-dire l’harmonie et la paix de toutes les personnes et de la communauté.

Pour mieux comprendre la palabre en milieu traditionnel Ding, donnons-en un exemple. Deux familles veulent marier chacune un de leurs enfants. La famille de la fille va exposer la situation à son chef de clan et aux sages du village. Elle leur dit également le nom du garçon que veut épouser leur fille, et le nom de ses parents. Les sages du village en informent la famille du garçon, le chef de clan du garçon et l’oncle du garçon. Les parents en parlent personnellement à leur enfant pour le disposer à recevoir les sages ou les « juges » qui vont l’interroger à l’avance pour l’enquête. À des moments différents et de façon discrète, les sages vont également faire des pré-enquêtes auprès de la fille et de chaque famille. Dès que le compromis est trouvé, on fixe une date et on invite à la palabre les deux familles. L’invitation est lancée aussi à toute la communauté locale, le soir par annonce vocale, par le chef du village ou l’un de ses notables. Au village, on choisit un lieu idéal, souvent sous un arbre verdoyant et reposant, et chaque personne qui répond à l’invitation amène son siège. On prévoit du vin, des cacahouètes, des cigarettes, des pipes traditionnelles, bref tout ce qui peut servir à la communauté tout le long de la palabre, mais particulièrement à la fin de celle-ci et avant que chaque participant ne retourne chez lui. Tel est le cas lorsque le garçon a le droit d’épouser la fille considérée comme la nièce de son père qui est en principe une femme de droit. Mais un problème peut se poser : la fille refuse d’accepter un tel mariage parce qu’en droit coutumier son oncle ne recevra pas de dot, et c’est humiliant pour elle qui a grandi en ville et n’accepte pas cette forme de mariage, traditionnel et coutumier, qui pourrait ne pas aller jusqu’aux mariages civil et religieux. On est appelé à aider la fille et le garçon, et les deux familles à s’entendre en vue de rétablir l’harmonie et de sauver l’héritage traditionnel et tribal. Il faut reconnaître que la solution d’un pareil problème, comme d’ailleurs le fait ordinaire de contracter un mariage coutumier dans cette ethnie se fait toujours autour d’un « arbre à palabre », pour permettre la confrontation, le dialogue, les échanges, la négociation, afin que soient rétablies la paix et la solidarité.