Chapitre 4 : Obstacles au niveau de la planification de l’éducation. Les Politiques éducatives.

Pour bien comprendre l’éducation dans l’ethnie Ding et le cadre ou le contexte des acteurs sociaux, il convient maintenant de faire un bref historique du contexte éducatif, c’est-à-dire du cadre du système éducatif de notre pays et de son évolution sur plusieurs années 465 . Il s’agit de repérer les caractéristiques générales du Système Educatif congolais ainsi que les points principaux d’une pratique éducative de ce système et ses principes fondateurs. Les résultats de cette analyse montreront les obstacles dans la planification globale de l’éducation dans notre espace de recherche, mais aussi les caractéristiques de celle-ci à travers les documents officiels congolais sur la gestion des écoles.

Notre objectif est de tenter de connaître l’environnement de l’école congolaise. Car, il faut définir « le cadre » pour comprendre et pour agir. Nous le définirons à travers les politiques de l’éducation de notre pays. Or, une politique de l’éducation revêt à notre avis des caractères généraux, qui aident à comprendre les caractéristiques de l’éducation comme fait politique, c’est-à-dire relevant d’une « organisation concertée ». D’un point de vue général, Louis Legrand 466 en relève trois :

Il s’agit, comme l’insinue l’ethnométhodologie, de ne « plus laisser les gens agir dans des situations extérieures à eux-mêmes, préexistantes, mais bien d’essayer de comprendre la manière dont ils voient, décrivent et proposent ensemble une définition de la situation (définition, par les acteurs sociaux, comme le dit W.I. Thomas, en permanence dans leur vie quotidienne, des institutions dans lesquelles ils vivent) » 467 . G. Lapassade 468 précise que la notion de définition de la situation prend en compte le fait que les situations sont toujours construites par les membres. Et, les individus, continue-t-il, qui attribuent les significations aux événements sociaux au cours de leur face à face quotidien sont toujours des interprètes de ces derniers. La définition du cadre paraît alors indispensable pour mieux comprendre le contexte et la vie des membres dont on veut analyser « la biographie », « la situation elle-même », « la communication verbale et non verbale ». Ainsi, à travers les politiques de l’éducation de la R.D. Congo, nous essaierons de faire ressortir leurs caractéristiques afin de définir des objectifs et des finalités de l’éducation à mettre en œuvre avant toute politique de coopération avec des partenaires étrangers. Nous essaierons de comprendre concrètement les différentes idéologies dans lesquelles s’enracinent ces politiques de l’éducation et où se tissent ces ajustements, ces réformes ou ces tâtonnements. Pour mieux en comprendre les différents registres, nous préférons, dans ces cas, séparer éducation extrascolaire et éducation scolaire. Deux périodes nous aident à aborder la question de l’éducation : la tradition et l’époque contemporaine. Alors que la première correspond à l’éducation traditionnelle, la seconde est assimilée à l’éducation contemporaine. Si celle-ci est ouverte aux effets de la modernité, elle n’escamote pas pour autant les lieux de l’éducation : la famille, la société et l’école. En revanche, il faut tout de suite noter, pour bien comprendre chaque forme d’éducation, que les partenaires varient. Cela est lié aussi à l’évolution historique et aux finalités de chaque style éducatif.

Une brève vision historique du système éducatif de la R.D. Congo nous aidera, dans ce dessein, à comprendre la situation actuelle de l’enseignement dans notre pays. Notre objectif est de rechercher les points d’émergence d’une pratique éducative et leurs principes fondateurs. Cependant, nous allons non pas détailler la structure de ce système, mais en diagnostiquer les problèmes et faire des propositions constructives qui relieront la théorie à la pratique, la volonté et les actions concrètes.

Rappelons que la Convention du 26 Mai 1906 signée, à Bruxelles, entre les représentants du Saint-Siège et du Gouvernement de l’Etat Indépendant du Congo, est un document de base de l’histoire scolaire de notre pays. Elle assurait aux missions catholiques la possession des terres. En revanche, les missionnaires étaient tenus d’assurer l’instruction et l’apprentissage des langues « nationales belges » (le français) par la création des écoles ; ils s’engageaient aussi à prêter leur concours à l’Etat, par l’exécution de travaux d’ordre scientifique, géographique et linguistique. Ce document eut valeur de preuve écrite des accords de Léopold II avec les missionnaires auxquels il confia les écoles car, pour le roi, l’école était la condition pour accéder au service privilégié de l’Etat. De fait, en amont, l’origine de la Convention de 1906 est à situer et à comprendre dans le cadre de la politique globale de l’Etat Indépendant du Congo (EIC) et, plus particulièrement, de la politique foncière : Léopold II accorda de vastes concessions de « terres vacantes » aux entreprises commerciales, pour encourager l’initiative privée pour l’exploitation des richesses naturelles du pays. Cette période d’exploitation directe ou indirecte inaugura une période d’abus sans nombre, que dénoncèrent les missionnaires protestants. Ce même cadre permet aussi de comprendre le développement des implantations missionnaires dans leur ensemble et celui des rapports entre les missions protestante et catholique. La Convention fut annexée à la Charte coloniale du 18 octobre 1908 et a continué à régler les rapports entre les missions et le gouvernement colonial en matière scolaire jusqu’aux années 1925-28, époque où s’organisa l’enseignement financé par les conventions dites « De Jonghe ». Mais ces conventions avec les sociétés de missions « nationales » laissèrent intacte la Convention de 1906 (…) qui a régi les rapports entre l’Eglise et l’Etat durant la période coloniale. Pendant la période de l’EIC et même jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, plusieurs initiatives missionnaires organisaient des actions éducatives afin de former respectivement des catéchistes-médecins et des enfants africains à la formation professionnelle (initiative qui n’a pas eu de réponse positive de la part du Roi). En revanche, l’EIC s’occupa essentiellement de la formation militaire. D’où la création de « colonies scolaires » par l’Etat pour des besoins de recrutement militaire. L’Etat eut ensuite le souci d’avoir des auxiliaires professionnels, ce qui l’amena à reconnaître les centres d’apprentissage militaire et professionnel. Les missionnaires, eux aussi, eurent le même souci de s’entourer d’auxiliaires, sachant lire et écrire, afin de mieux réaliser dès le début leur action évangélisatrice. Ainsi donc, « au début du siècle, les deux réseaux d’enseignement étaient opérationnels. Celui de l’Etat concernait quelques colonies scolaires et écoles professionnelles ; celui des missions (protestantes et catholiques), qui se proposait de toucher le plus grand nombre d’enfants possible, visait l’évangélisation et la formation agricole et professionnelle. Cette dernière option intéressait de plus en plus l’Etat, pour répondre aux besoins croissants de son administration. Il fallait davantage populariser la scolarisation. » 469 Il y eut nécessité, pour l’Etat, de subventionner les écoles (même si ce n’était que des écoles de grands centres), en particulier les écoles missionnaires, et d’intégrer celles-ci dans un ensemble scolaire contrôlé par l’Etat.

Cependant, il existait d’autres textes organisateurs des « écoles » avant et après la Convention novatrice de 1906. Toutefois, le condensé de la présentation historique et complète de l’enseignement du Zaïre selon le Père Jean-Marie Ribaucourt 470 concerne directement notre recherche. Nous y retrouvons, en effet, spécifiquement des éléments de l’organisation scolaire à Ipamu avant 1960 : les fermes-chapelles, des écoles professionnelles, primaires, secondaires, spéciales, des écoles de moniteurs, des écoles ménagères. Selon leurs degrés et leurs formes, ces écoles avaient pour mission d’assurer la formation et le développement d’une élite, de l’enseignement de masse à l’université. Depuis, d’autres textes régissent les écoles. Nous en présentons les enjeux éducatifs et leur « philosophie ».

Notes
465.

A la deux cent vingt et unième page de son livre, Politiques éducatives au Congo-Zaïre. De Léopold II à Mobutu, Busugutsala Gandayi Gabudisa résume le problème de l’histoire de la question scolaire au Congo-Zaïre de l’Etat Indépendant du Congo (1885) à la deuxième République du Zaïre (1995) comme suit : « L’Eglise, fondatrice et organisatrice des premières écoles, voit son rôle passer du monopole de fait au déclin total de son pouvoir ; en revanche, l’influence de l’Etat s’accroît avec sa prise de conscience progressive que l’enseignement doit être un instrument de l’Etat et de lui seul ».

466.

LEGRAND, L., Les politiques de l’éducation, 4 ème édition, Paris : PUF, 1988, p.5-6.

467.

COULON, A., L’Ethnométhodologie, Paris : PUF, 4è éd., 1996, p. 15-16.

468.

Cfr. LAPASSADE, G., Les microsociologies, Paris : Anthropos, 1996, p.10.

469.

NDAYWEL E NZIEM, I., Histoire du Zaïre. De l’héritage ancien à l’âge contemporain, Louvain-la-Neuve : Duculot, 1997, p. 356-357.

470.

Lire RIBAUCOURT, J.-M., Op. Cit., p. 120-123.126-127.