I. - L’éducation traditionnelle ou l’éducation extra-scolaire en R.D. Congo : depuis la fin du XIX ème siècle. Nature et principes.

Un regard vers la tradition nous fait comprendre en amont l’éducation de l’enfant, avant d’en percevoir l’évolution. Cette dimension temporelle, nécessaire à la maturation de la question, ne manque pas d’avoir quelque influence dans la détermination des finalités de l’éducation et sa réalisation. Pourtant, l’éducation donnée dans la tradition n’a pas nécessairement eu besoin de l’école, car celle-ci n’y était pas encore créée et, même là où elle existait, elle n’était pas facilement comprise.

Par l’éducation traditionnelle, on assure « la formation d’un homme complet, individuel et social, à la fois corps, âme et esprit » ; on vise l’autonomie et la socialisation de l’enfant pour une action « dans la vie, par la vie et pour la vie» 471 . Elle est donnée par la famille et la société. Celles-ci offrent à l’enfant son vécu naturel, qui baigne dans les éléments culturels, que la société est obligée d’inventer logiquement pour la formation de l’enfant. C’est une éducation qui varie cependant selon les groupes, l’ethnie, les objectifs ou le sexe de l’enfant. Cette forme traditionnelle d’éducation est centrée sur la division sexuelle des tâches 472 et est matérialisée par l’initiation et l’imitation. Toutefois, chaque membre de la société est en soi éducateur par son appartenance au groupe et par ce qu’il fait et vit. La multiplicité des métiers fait autant « d’éducateurs » qu’il y a « d’apprentissages » variés ; des « éducateurs » que Pierre Erny appelle « des acteurs traditionnels … : chefs, anciens, juges, prêtres, conteurs, artistes et artisans, guérisseurs, chasseurs, griots, initiateurs, herboristes, etc. » 473 . Il faut les considérer en vue d’une éducation collective et autonome de l’enfant, selon les critères propres à ces acteurs. Education et vie sociale ne peuvent ainsi être séparées, et la participation de l’enfant à la vie commune des groupes le forme au fil des jours. Car ce qu’il fait, entend et voit constitue l’essentiel de ce qui le forme ; il l’intériorise pour la vie et pour sa vie. Cette diversité d’éducateurs est porteuse d’une grande diversité de connaissances et de personnalités, et elle crée une réelle autonomie chez l’enfant.

D’autres enjeux nous concernent immédiatement. La détermination, mieux l’appréciation unanime des métiers et des valeurs à transmettre, varie selon les éducateurs. La personnalisation ou l’humanisation des métiers et des valeurs par l’initiation et l’imitation ne va pas sans poser des problèmes quant à l’identité des enfants. L’initiation, en ce qui concerne les métiers, peut être tout à fait favorable à la construction de la personnalité de l’enfant, si le maître est imitable ; ce qui est le plus souvent le cas. Dans le cas contraire, on pourrait observer un certain manque d’autonomie. Bien plus, les événements et les situations mêmes sont éducateurs et font partie intégrante du contenu de ce que l’enfant est appelé à apprendre au fur et à mesure qu’il grandit ; ce qui l’engage à une attention soutenue et l’implique dans une plus forte compréhension. Ne pourrait-on penser ici à Blaise Pascal : « Ah si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, Oh qu’il leur faudrait obéir de bon cœur ! La nécessité et les événements en sont infailliblement» 474 . Cette éducation au sens de la vie est traditionnellement une dynamique incontournable pour la maturation et la responsabilisation de l’enfant. De cette manière, précise Pierre Erny, on accorde à l’enfant de « pouvoir vivre des choses intenses, fortes, risquées, parfois dangereuses» 475 . En effet, à travers des procédés d’apprentissage traditionnels, tels les rites d’initiation, les symboles, les masques, l’art, les contes, les proverbes, les mythes, les rêves, les langages gestuels. L’enfant pouvait aisément accéder aux valeurs de la vie.

Notes
471.

ERNY, P., Essai sur l’éducation en Afrique Noire, Paris : L’Harmattan, 2001, p. 305. 282. Citation notée comme telle.

472.

TSHIALA LAY, Sauver l’école. Stratégies éducatives dans le Zaïre rural, Paris : L’Harmattan, 1995, p. 12.

473.

Ibid., p. 285.

474.

PASCAL, B., Pensées et Opuscules, Editions Léon Brunchvics n° 553 in Le Mystère de Jésus.

475.

ERNY, P., Op. cit., p. 301.